Ce que je vois dans le miroir en me levant ? Un regard sombre. Mal réveillé. Des cernes sous mes yeux. Mais ça n'empêche pas mon teint d'être clair et sans défauts. Ma peau est tendue sur mes pommettes hautes. Mon nez est plutôt droit. Une bosse le déforme à peine. Il a été cassé plusieurs fois, et le bout est légèrement tordu. Mais ça fait mon charme. Je vois aussi la trace blanchâtre d'une cicatrice, qui se trouve au-dessus de mon oeil gauche. Elle va de la naissance de mes cheveux à la base de mon sourcil. Elle continue ensuite sur un centimètre ou deux sur ma pommette. Revenant à mes sourcils, je remarque qu'ils forment une sorte d'accent circonflexe pour suivre le tracé de l'arcade sourcilière. En-dessous, deux yeux agrandis par le manque de sommeil me fixent. Deux orbes, claires comme le cristal. J'ai l'iris argenté. C'est surprenant, mais je trouve ça vachement classe.
Ayant fini d'étudier mon visage fatigué, j'observe ma chevelure. C'est une crinière auburn. Les mèches, lourdes et bouclées, sont emmêlées. J'ai l'impression d'avoir été en contact avec du 220V. Je passe mes doigts à travers, et ils se démêlent facilement. Bientôt, ma crinière est domptée. Et somptueuse. Elle retombe gracieusement sur mes frêles épaules. Je suis fine de constitution. Mais je travaille à me muscler. Chaque jour. Mes épaules sont le plus souvent recouvertes d'épaulières en métal, harnachées avec des liens de cuirs autour de mon cou. Là où les liens se rejoignent, un autre s'épanouit sur ma gorge, portant en pendentif en métal ouvragé, avec une pierre-de-sang en son coeur.
Cette pierre de sang me donne force et courage. Elle me rend invincible. Aucune arme blanche ne peut percer la fine barrière invisible qui me recouvre telle une seconde peau. Aucune arme à feu ne le peut non plus. La magie ricoche. Le feu s'éteint. L'eau s'évapore. L'électricité ricoche aussi. Et ainsi de suite. Grâce à elle, je peux me battre durant des jours. Grâce à elle, je suis Firebird. Parce qu'elle me permet aussi de concentrer mes pouvoirs. J'ai un don avec le feu. Je le fais naître ou s'éteindre. Je le fais brûler à l'instar d'un brasier à partir d'une étincelle. Et inversement.
Mais les épaulières ne sont pas les seules composantes de l'armure légère que je porte. J'ai aussi un espèce de mini-bustier métallique, que je passe par-dessus une pièce de tissu, pour camoufler ma poitrine de taille raisonnable, haute et ferme, aux regards indécents. Mon ventre plat est exposé, nu, mais protégé par la pierre-de-sang. A ma taille fine succède des hanches à peine plus large. Ces hanches sont cerclées d'une ceinture métallique, plus larges sur les côtés, et qui se termine par un motif ouvragé sur le devant. A cette ceinture sont accrochés (par l'intérieur) des pans de tissu et de cuir pour protéger ma féminité dépourvue de pilosité des regards indiscrets.
Mes jambes, fines et athlétiques, ne sont pas masquées par ces bandes de tissus et de cuir. Elles sont d'une longueur raisonnable. Assez pour me permettre de grandes foulées. Mes cuisses sont fermes, et mes mollets aussi. Je marche pieds nus la plupart du temps. Surtout pour courir. Et quand je me bat, de toute façon, la pierre-de-sang les protège des écorchures.
Même s'il n'y avait pas la pierre-de-sang, j'ai suffisamment de sang froid et de résistance à la douleur pour ne pas me formaliser d'avoir les pieds en sang. Par exemple, ma cicatrice sur le visage... Je n'ai pas cillé quand la hache s'est abattue, me fracturant l'arcade sourcilière. J'ai aussi tenu bon pour éviter que la hache ne me tranche en deux. J'ai une détermination à toute épreuve, et malgré la douleur, j'ai repoussé l'assaut. J'ai aussi rendu coup pour coup. Je suis tenace, et rancunière. Très rancunière. En y repensant d'ailleurs, mes sourcils se froncent. Si je voulais faire un jeu de mot, je dirais que j'ai la rancune tenace...
Outre ça, je sais que l'éclat dur de mon regard indique l'aspect sans pitié de ma personnalité. Sans pitié, implacable... Je déteste la lâcheté. Je déteste l'hypocrisie. Je déteste la faiblesse. Être faible, c'est ma hantise. Je m'entraîne donc tout le temps. J'adore ça. J'adore me battre. J'adore aussi conquérir les sens d'un homme. Je ne me soumet jamais quand ça n'en vaut pas la peine. Je suis un peu comme.. Comme une lionne. Il faut que je sache que l'autre est plus fort que moi pour accepter sa domination le temps d'une étreinte.
Je secoue la tête. Au lieu de m'observer dans le miroir, je ferais mieux d'aller m'entraîner. Au moins, ça chassera la fatigue de mon esprit et de mon corps engourdi. Allez Firebird, au boulot.
Oui, je m'appelle Firebird. Enfin, je me fais appeler Firebird. Mes parents n'étaient pas d'accord sur mon prénom. Ma mère voulait m'appeler Andrea. Mon père, c'était Deirdre qu'il préférait. A la maison, c'était donc assez embêtant. Je devais répondre aux deux noms. Et ça m'a vite tapé sur les nerfs. A treize ans, alors qu'ils venaient d'avoir leur sixième enfant (encore un garçon), et que j'étais la seule fille, j'en ai eu marre. Je me suis enfuie.
J'habitais auparavant un petit village (enfin petit... 50 000 habitants tout de même) situé aux confins des Landes Dévastées. J'ai pris des vivres, des armes, et je suis partie. Mon entreprise a été périlleuse. Dès le départ, j'ai été confrontée à des monstres. A des guerriers. A.. Pleins de dangers. Au début, j'ai été blessée. Capturée. Une tribu de monstres m'a mise aux fers. Avec d'autres. Hommes, femmes, enfants... On a dû travailler dans les mines de diamants pour extraire le minerai qu'ils revendaient.
J'y suis restée trois ans. Trois longues années. Au moins il n'y avait pas d'autres abus que de nous épuiser aux travaux de mines. C'était toujours ça de pris. Un jour, alors que j'étais envoyée dans les plus fins boyaux à cause de ma frêle constitution, j'ai trouvé la pierre-de-sang. Immédiatement, quand je l'ai prise dans mes mains, j'ai senti comme une grande chaleur réchauffer mon corps frigorifié. La pierre a réveillé mon don lié au feu. Une traînée de flamme a filé, de mon corps jusqu'à la sortie de la mine. Terrifiée au début, je suis sortie rapidement. La pierre serrée entre mes doigts, je me suis cognée à l'un des monstres. Une sorte de minotaure. Il a grogné, et sa hache s'est abattue sur moi. C'est là que j'ai récolté ma première cicatrice. Celle que j'ai au visage.
La pierre m'a donné le courage de riposter. La force de l'empêcher de me trancher en deux. La force de retourner son arme contre lui. Je me suis ainsi libérée. Et à partir de cet instant, pas un jour ne se passait sans que je ne m'entraîne. Je ne voulais plus jamais me retrouver dans pareille situation. Je me suis confectionner un semblant d'armure. J'y ai incrusté la pierre, et je suis devenue... Firebird. Oui, je me suis créé une identité. Je n'étais plus ni Andrea, ni Deirdre. J'étais quelqu'un d'insaisissable. Je finis par être connue de tout Terra, ou presque. Et détestée par la majorité des marchands d'esclaves.
Un jour, acculée, je sentais que je faiblissais. L'homme qui me faisait face avait le pouvoir de neutraliser la pierre-de-sang. Et il gagnait du terrain. Au moment où il allait m'asséner le coup fatal, j'ai roulé sur le côté. Au lieu de me cogner contre le mur comme je le croyais, je suis.. Passée à travers. Mais non, je n'ai pas atterri dans une maison. J'ai plutôt été projetée dans de l'herbe. Quand j'ai ouvert les yeux, j'étais au milieu d'un espèce de bois. Autour de moi, des gens se promenaient. Ils me jetaient des regards désobligeants. "Ah ces jeunes" qu'ils disaient. Ils me traitaient d'ivrogne. De délinquante. Je ne comprenais pas.
Et puis, la police est arrivée. Des hommes en uniformes ont voulu m'arrêter. Je me suis enfuie. Je ne connaissais pas cette ville où j'avais atterri. Mais je les ai semé facilement dans les ruelles. C'était il y a une semaine. J'ai appris quelques trucs depuis. Mais je n'ai pas d'existence légale ici. Je vole, je me cache. Et je m'entraîne toujours.
J'ai vingt-trois ans. Je suis perdue. Aidez-moi ? Non, je ne demande jamais d'aide. Je suis fière, et je me débrouillerais. Enfin j'espère.
