Dans la salle de concert, l’excitation était à son comble. On pouvait sentir les basses vibrer sur l’estrade vide, n’offrant pour l’heure que la vue des instruments de musique vides. Les gens hurlaient, parlant entre eux, et une soirée infernale se préparait. Le premier groupe à se présenter, conformément au programme, serait un groupe de rock venu de Finlande, Poets of the Fall. Un groupe qui était surtout connu en Europe de l’Est, et qui, au sein du festival, s’inscrivait dans le cadre d’une découverte des groupes étrangers et méconnus. Une bonne idée, que Félicia cautionnait... Mais elle n’avait pas vraiment le temps d’admirer le concert.
Depuis une fenêtre d’un couloir, elle pouvait voir cette foule impressionnante, et continua ensuite à marcher, rejoignant le bureau de Barry. Les deux femmes portaient des uniformes masculins. Un œil observateur aurait pu relever la supercherie, mais les personnes qu’elles croisaient avaient tous l’esprit ailleurs, ne se préoccupant guère de deux gardes isolés. Fort heureusement, la porte du bureau de Barry n’était pas fermée, et la Chatte Noire l’ouvrit sans problème... Pour constater qu’il n’y avait personne. Jurant en silence, elle écouta Aoki suggérant où il pourrait se trouver.
«
Ouais... On devrait continuer à aller le chercher. »
C’était plus fort qu’elle : Félicia avait un mauvais pressentiment sur ce qui allait se passer. Le duo sortit du bureau, et elles marchèrent un peu au hasard. Si Barry était au milieu de la foule, elle avait encore plus de chance de gagner au Loto que de le retrouver. Néanmoins, elle devait tenter le coup. Fort heureusement, dans le ciel, elle devait avoir une bonne étoile, car Wheeler ne fut pas dur à retrouver. Il se tenait devant un distributeur de café, et en commandait un. Aoki la laissait gérer ça, et Félicia lui sourit.
«
Tu trouves que j’ai un meilleur contact que toi avec les hommes ? »
Barry était nerveux, et attrapait son gobelet en plastique, en maugréant dans sa barbe.
«
Ça va pas, ça va pas, ça va pas... -
Où est Alan, M. Wheeler ? -
AH !! »
Au cœur du Stadium, le spectacle commençait enfin, après de longues minutes. Un guitariste se tenait seul, sur la barre, donnant quelques accords, avant que la voix de Marko, le chanteur ne se mette à résonner, dans l’obscurité :
Do you remember standing on a broken field
White crippled wings beating the sky
The harbingers of war with their nature revealed
And our chances flowing by
If I can let the memory heal
I will remember you with me on that field
Les lumières explosèrent alors, et, dans des accords frénétiques de guitare électrique, le groupe s’élança furieusement.
«
Je... Je vous ai déjà dit tout ce que je savais, okay ?! -
Je me permets d’en douter, M. Wheeler... »
Félicia se tenait face à lui, et avait levé une main, l’abattant sur le distributeur de boissons, à gauche de sa tête. Barry avait la trouille, elle le lisait dans les yeux, et ce n’était pas à cause d’elle. Quelle conne ! Elle était passée à côté de l’essentiel pendant toute la journée. Barry Wheeler en savait
évidemment plus qu’il n’avait osé l’avouer, mais il n’avait pas envie de se confier à des individus qui, pour lui, travaillaient pour l’armée.
«
Vous... Putain, vous avez pas droit de me harceler comme ça ! Je vais prévenir mon avocat, si vous continuez, et je vous promets que... -
Ne faites pas de promesses que vous ne pourrez pas tenir, M. Wheeler. Où se trouve Rose Marigold ? -
Rose... Qui ? Madame, je n’ai jamais entendu parler de... »
Les lumières se mirent alors à clignoter brièvement, pendant quelques secondes.
«
Oh mon Dieu, il arrive... »
Ce type en savait définitivement plus qu’il n’osait l’admettre, et Félicia commençait à sentir sa patience partir à toute allure. Il était temps qu’elle ait des réponses sur ce qui se passe ici !
Turn the page I need to see something new
For now my innocence is torn
We cannot linger on this stunted view
Like rabid dogs of war
POTF n’était pas vraiment un groupe très connu au Japon, mais ce nouveau son semblait ravir le public, de même que le spectacle des lumières stroboscopiques. Tous dansaient, joyeux, et, si les lumières de l’estrade continuaient à fonctionner sans problème, au fond de la salle, plusieurs lampes secondaires s’éteignirent brusquement, comme si les ampoules venaient de griller sur place.
«
Qu’est-ce qui arrive, Barry ? Bordel, à quoi est-ce que vous jouez ? -
Mais... Mais lâchez-moi, espèce de tarée ! »
Il la repoussa, puis se mit à courir rapidement, retournant dans son bureau.
«
Barry ! l’appela Félicia.
Barry, bordel ! »
Elle s’élança à sa suite. Le bureau était plongé dans l’obscurité, et, quand elle appuya sur le commutateur, elle constata que la lumière ne s’alluma pas.
«
Putain, putain, putain, où est-elle, où est-elle ? »
Il avait ouvert les tiroirs de son bureau, et réussit à en sortir, avec ses doigts tremblotants, une lampe-torche, qu’il alluma, éclairant le visage de Félicia.
«
Ah ! Ne braquez pas ça sur mon visage ! -
Oh... Désolé... -
Qu’est-ce qui arrive, Barry? -
Si vous êtes revenus me voir, c’est que vous le savez déjà. -
Où est Rose, Barry ? -
Je... -
Avec nous », intervint soudain une voix grave, masculine, venant de l’entrée du bureau.
La lampe-torche de Barry se braqua sur le nouveau personnage, qui s’avéra être une parodie d’agent secret japonais, en costume-cravate.
«
Vous êtes qui, vous ? -
Agent Kazuhora, Wheeler-san. J’appartiens aux services secrets japonais, et j’aurais des questions à vous poser concernant un certain Alan Wake. »
Félicia avait la sérieuse impression que les évènements étaient en train de se précipiter.
When the love in letters fade
It's like moving in slow motion
And we're already too late if we arrive at all
Les ombres étaient là, mais, dans la foule, personne ne les voyait, jaillissant de l’arrière du stade, les hurlements des individus pris à l’intérieur mourant dans les mouvements frénétiques des spectateurs, au milieu des accords de guitare électrique et de la voix qui rugissait à travers les puissantes enceintes du Stadium. En hauteur, Mr. Scratch avait un sourire ravi sur les lèvres.
«
La musique est parfaite... Mais un cavalier ne saurait danser seul... »
«
Vous êtes qui ? -
Des personnes qui ont toute autorité pour agir sur le sol japonais, Hardy-san... Pas comme des agents externes du SHIELD. -
Oh non, vous n’allez pas me sortir le couplet du flic local hargneux face à l’étranger ? Il se passe quelque chose de grave ici ! Où est Rose ? -
En sécurité, et, au cas où vous ne l’auriez pas noté, je... »
Toutes les lumières s’éteignirent alors... Et tous purent alors entendre les hurlements paniqués de la foule. Félicia s’approcha de la fenêtre du bureau, et vit des nuages noirs planant sur le public, s’abattant sur eux.
«
Ça y est... Ça a commencé... Le cauchemar se répète... »
Félicia n’eut pas le temps de poser une seule question que la vitre explosa brusquement, livrant passage à un nuage noir qui se matérialisa en plein milieu de la pièce. Dans son costume impeccable, et sa barbe mal rasée, Mr. Scratch venait d’apparaître.
Une nouvelle musique s’enclencha alors sur la piste :
une musique dérangeante et perturbante.
«
Aoki... Je crois qu’il est temps que tu deviennes ma Reine... Pour animer la soirée. »