Il y a environ trois mois...«
Monsieur ? -
Raah putain, vous avez idée de l’heure qu’il est ici, bordel ?! -
Veuillez me pardonner, Monsieur... -
Non, non, c’est rien... Vraiment... J’imagine que vous ne m’appelez pas sans raison au beau milieu de la nuit... -
Le complexe de Cauldron Lake a émis il y a deux heures une situation de broken arrow, Monsieur. -
... -
Des renforts ont été envoyés aussi rapidement que possible, avant qu’on n’ait obtenu l’autorisation nécessaire pour désactiver le brouillage pour les satellites... -
Le... Le sujet a bien été extradé avant, non ? -
Oui, Monsieur... Mais l’avion a été attaqué. Il s’est écrasé aux larges des côtes californiennes. -
Bordel... -
Ils sont tous morts, Monsieur. Tous. Le matériel informatique a été détruit... -
Et.. Et le sujet ? -
Introuvable, Monsieur. -
Mon Dieu. Ne me dites pas qu’il est dans la nature ! -
Ça m’en a tout l’air, Mon... Monsieur, que faites-vous ? -
A ton avis ? Je m’habille, abruti ! L’état-major est au courant ? -
Oui, Monsieur, bien sûr, Mon... -
Alors, ne perdez plus de temps avec moi. Appelez la Maison Blanche. Je serais dans le Bureau ovale d’ici quelques heures. Il est urgent de le retrouver ! »
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La nuit précédenteTandis que Félicia Hardy se tenait sur le balcon de la terrasse d’Aoki, et hésitait à engager leur relation à un barreau supérieur de l’échelle, Minami Kanzaki, elle, fêtait avec des amies le contrat qu’elle venait de décrocher avec un studio de production pour un film ! Un film qui serait au cinéma ! Elle n’avait pas un rôle principal, mais un rôle assez intéressant, malgré tout. Elle jouait dans un
slasher l’une des filles qui serait égorgée par un psychopathe. La vie, parfois, peut être ironique, mais c’était pour elle la fin d’une année de galère, de petits boulots, de déprimes, de squats. Elle ne pouvait que remercier Mlle Kou, mais elle n’avait pas eu le temps de lui envoyer un seul message avant que ses amies ne l’emmènent en boîte, histoire de fêter l’évènement, et aussi histoire qu’elle baise un coup pour s’ôter définitivement toute forme d’anxiété. Minami, en effet, était célibataire depuis plusieurs mois.
Il ne lui avait fallu qu’une heure pour trouver chaussure à pied, comme on dit. Un homme charmant, élégant, avec un costume, qui avait l’air plus jeune que son âge. Le regard séducteur, le sourire en coin, avec une barbe mal rasée, le genre mauvais garçon. Minami, elle, avait beaucoup bu, et avait également été droguée par ses amies, afin qu’elle soit moins timide. Ce gars lui avait rapidement plu. Il avait de la conversation, de l’humour, et dansait affreusement bien. Et qu’est-ce qu’il était sexy ! Elle l’imaginait volontiers avec une bouteille de champagne dans la main, une rose entre les lèvres, lui préparant un dîner romantique. Elle s’était retrouvée dans sa voiture, une Cadillac à l’ancienne.
«
Comme dans les films ! s’était-elle exclamée.
-
Nope, comme dans les Seventies, darling ! A une époque où ça faisait cool de fumer un joint au volant ! Putain de société de merde ! -
Tu l’as dit ! »
Elle ne savait même pas son nom, mais elle avait beaucoup bu. Pas assez pour perdre toute sa lucidité, mais suffisamment pour faire confiance à un homme
charmant avec un sourire. Ce dernier avait enfoncé la clef, et avait fait tourner le moteur, et avait tourné sa tête vers elle, avant de préciser quelque chose, son regard se faisant étrangement sérieux :
«
Au fait... Il y a quelque chose qu’il faut absolument que je te dise avant qu’on aille plus loin. -
’Me dis pas que t’es gay, ou je vire lesbienne ! »
Elle gloussa, et son visage se fendit d’un léger sourire amusé.
«
Non... Mais il faut que je le dise, car ça surprenait généralement toujours mes ex’... Darling, je suis un putain d’enfoiré de psychopathe. -
Whaa ! »
Il ajouta, commençant légèrement à sourire :
«
Et, tu vois, ce que j’ai prévu pour ce soir, c’est de te ligoter sur le lit d’une chambre d’hôtel, de t’enlever tous tes vêtements... -
Mmmh... C’est que ça devient intéressant, là ! -
...Puis de prendre un couteau, de t’ouvrir le dos en deux à partir de la colonne vertébrale, de t’arracher les os de tes bras et de tes jambes, et de faire du banjo avec. »
Le regard de Minami se voila légèrement. Elle fut brièvement tentée de s’enfuir, d’ouvrir la porte et de courir, mais, quand elle vit les lèvres de l’homme s’élargir, elle comprit qu’il se payait sa tête.
«
Putain, t’es givré comme mec, toi ! »
L’homme éclata de rire, et haussa les épaules, puis posa sa main sur la boîte de vitesse.
«
J’suis un homme dangereux, poupée... -
Mmmh... J’aime le danger ! -
Prêt à faire un tour sur le Bolid’, Bonnie ? -
Go, Clyde ! »
Et l’homme démarra en faisant crisser les pneus sur le bitume.
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Le matinGénéralement, Félicia faisait la grasse matinée, mais, ce matin, elle fut la première à se réveiller. Il était six heures et demie du matin, ce qui était plutôt étonnant, car, avec Aoki, elle dormait parfois jusqu’à dix ou onze heures du matin... Surtout quand elle ne travaillait pas le matin, comme c’était aujourd’hui le cas. Cette dernière l’avait appelé hier soir en se faisant passer, une fois n’est pas coutume, pour une grosse cochonne. Félicia était venue assez rapidement, et, comme à leur habitude, elles avaient fait l’amour, d’abord sur le balcon, ensuite dans le salon, et enfin dans la chambre d’Aoki. Et, comme à chaque fois, ça avait été super. Félicia s’était défoulée à fond, et elles s’étaient endormies ensemble, Aoki se contentant de lui dire qu’elle n’avait pas eu une journée excellente.
Félicia, quant à elle, avait peu dormi. Ou, du moins, s’était réveillée tôt, le sommeil la fuyant. Elle était perturbée, troublée par cette femme qu’elle voyait de plus en plus, et qui prenait une place de plus en plus importante dans sa vie. Entre leur première rencontre et maintenant, bien des choses s’étaient passées. La Chatte Noire, qu’elle s’était jurée de faire disparaître, avait pris une place de plus en plus importante dans cette nouvelle vie qui ressemblait jour après jour à l’ancienne.
*
Le lendemain, je m’étais persuadée que ce que je ressentais pour elle n’était que physique... Mais, plus notre relation avance, et plus je comprends que mon désir pour toi n’est pas que sexuel. J’ai besoin de toi, de ta présence... Rien qu’entendre ta voix alléchante me supplier de venir te baiser me mouiller... Je croyais pourtant être plus forte que ça, mais je suppose qu’on a tous besoin d’une oreille, d’une épaule sur laquelle se reposer... Surtout après tout ce que j’ai vécu...*
Les dernières semaines n’avaient pas été particulièrement reposantes, et Félicia s’était fait de nouveaux chasseurs. Il y avait, pour commencer, cette Kuroneko, cette arrogante Shadow qui avait fantasmé sur elle, et dont elle pouvait à tout moment revoir les agents sur les toits de la ville. Il y avait Peter Parker, son ex’, qui, comme à son habitude, avait choisi le meilleur moment pour revenir dans sa vie, attirant avec lui son lot d’emmerdes. Et il y avait Batman, le Chevalier Noir, et Milton Industries, avec tout ce que cette énorme firme dissimulait... Et, au milieu de tout ça, ses soirées avec Aoki. Généralement, elles étaient purement sexuelles, mais il arrivait parfois que ce soit l’occasion de se confier. Habituellement, elles discutaient dans le lit, après avoir fait l’amour, en se caressant tendrement, et refaisaient ensuite l’amour. Félicia avait craqué sur cette femme perverse, qui n’hésitait pas à coucher avec les élèves dont elle avait la charge dans son bureau. Elle lui avait raconté ses petites folies, excitant Félicia. Aoki était une véritable perverse.
*
Et j’aime ça... Putain, ce que je peux adorer ça... Si je ne me retenais pas, je la baiserai tous les jours...*
C’était terrible à dire, et, pour autant, Félicia n’avait toujours pas prononcé les fameux mots... Mais ça approchait. Ce n’était pas Aoki qui les dirait, mais le doute n’était plus permis. La Chatte Noire était même prête à accomplir pour elle son gros fantasme : aller à Tekhos se faire greffer un sexe masculin. Elle avait dévalisé une bijouterie yakuza pour obtenir de quoi financer l’opération. Aujourd’hui, elle comptait le lui dire. A dire vrai, elle aurait du le lui dire hier soir, mais Aoki était bien trop fiévreuse pour cela.
Décidée de songer à autre chose, la Chatte Noire alla vers le journal, et ouvrit une page au hasard... Ne surtout pas penser à Aoki et à leur nuit, ou elle se toucherait encore. La première fois, Félicia avait dressé Aoki, mais cette dernière s’était vengée. Elle adorait le bondage...
*
N’y repense pas, stop !*
Félicia avait préféré lire la page. Une chronique musicale :
« LE CINQUIÈME FESTIVAL DE ROCK INDÉPENDANT DE SEIKUSU EST PRÊT »
Elle lut brièvement, nue, en ayant préparé un café :
«
Tous les deux ans, la commune de Seikusu, avec le concours de plusieurs associations, organise un vaste festival international de rock indépendant qui se tiendra pour plusieurs jours autour du stade de notre chère ville. Les pelouses environnantes ont été réquisitionnées pour l’occasion, et des groupes prestigieux émanant de tous les recoins du globe sont attendues. Mais ce qui fera surtout la force de ce cinquième festival sera la présence du légendaire groupe ‘‘Old Gods of Asgard’’, l’agent du groupe, M. Wheeler, ayant accepté que le groupe participe pour la promotion de son nouveau single, après plus de trente ans d’absence (cf. encadré), ‘‘Balance Slays the Demon’’... »
Coup d’œil rapide sur l’encadré, alors qu’elle buvait dans la tasse.
« OLD GODS OF ASGARD
Une carrière exceptionnelle !
Assez méconnue du grand public, et seulement des plus grands connaisseurs, ‘‘Old Gods of Asgard’’ (OGA) a été fondée en 1971 par les frères Anderson. Venant des pays de l’ancienne Scandinavie, les frères Anderson ont décidé de fonder un groupe de rock, dont le succès, retentissant, a toutefois été modéré par le fait que ces derniers se produisaient surtout dans des endroits isolés, des ranchs, ou de simples fermes. Ils ne recherchaient pas le succès. C’est dans des conditions assez mystérieuses que les frères Anderson auraient connu une panne d’inspiration, et se seraient retrouvés dans un institut psychiatrique pour artistes. Leur retour en fanfare a commencé l’an dernier avec la sortie du single ‘‘Balance Slays The Demon’’, disque d’or dans de nombreux pays, et dont le succès ne s’arrête plus. Leur présence au festival de rock indépendant de Seikusu est une immense fierté, selon les organisateurs, qui... »
On frappa alors à la porte. Des coups forts et répétés, qui firent sursauter Félicia.
«
Police ! entendit-elle.
Ouvrez, s’il-vous-plaît ! »
La police ? Félicia paniqua sur place, tournant la tête à droite et à gauche, hésitant à fuir, avant de se calmer. Elle n’avait rien à craindre des flics. Elle se ressaisit vite, enfila une robe de chambre, et entreprit de réveiller Aoki, sa belle Aoki qui dormait paresseusement dans le lit.
«
Aoki... Debout, Aoki, la police est là... »
On frappait à nouveau. Visiblement, ils étaient assez pressés. Est-ce que l’une des élèves d’Aoki avait porté plainte ? Non, ils seraient déjà entrés, sinon... Félicia avait un mauvais pressentiment, et Aoki finit par ouvrir. Deux policiers se tenaient dans le couloir, avec des yeux rouges et des cernes. Ils n’avaient pas dormi de la nuit, d’où leur agitation, et commencèrent à poser des questions sur Minami Kanzaki. Félicia ne dit rien, restant en retrait, et, vu la manière dont ils parlaient, et dont ils ne songeaient même pas à regarder les décolletés très tentants des femmes, ça devait être terrible... Et Félicia savait ce qu’il y avait... L’enquête devait aller vite, pour qu’on tombe sur Aoki... Cette dernière se rendit dans sa chambre pour s’habiller, visiblement bouleversée, et les deux flics virent alors la cafetière.
«
Je ne voudrais pas abuser, mais... Est-ce qu’on peut en prendre ? On n’a pas dormi de la nuit... -
Ah, euh... Oui, bien sûr ! répondit Félicia, perturbée également.
Je... Je vous en prie... »
L’homme la remercia, et l’autre lui posa alors une question :
«
Et... Qui êtes-vous ? »
Félicia avait sa chevelure blonde, soit sa forme normale, et répondit rapidement :
«
Félicia Hardy. Une... Amie... Je peux l’accompagner ? -
Et bien... »
L’autre policier, celui qui buvait du café, confirma en hochant la tête. Félicia rentra donc dans la chambre, et alla rapidement s’habiller, ne disant que quelques brefs mots à Aoki.
«
Je viens avec toi, Aoki... »
C’était tout ce qu’elle pouvait dire. Inutile de lui mentir en lui disant de ne pas s’inquiéter, ou que tout irait bien, car c’était faux. On ne réveillait pas les gens à sept heures du matin pour des histoires banales.
Le trajet vers le poste de police fut assez silencieux. Les deux flics éteignirent la radio, ne parlant pas entre eux, et Félicia se contentait de tenir la main d’Aoki. La voiture s’arrêta sur un parking, et ils débarquèrent dans des couloirs assez sales, aux murs décrépis. La police ne roulait sur l’or que dans les films, et tout le monde s’agitait dans tous les sens, même si tôt. Le crime n’attendait pas. Les deux agents conduisirent les deux femmes dans un bureau, et s’assirent, tout en reprenant du café.
«
Bien... »
Ils s’étaient présentés dans le couloir. Celui qui parlait s’appelait Hanzue, et l’autre Mitoshi. Ce fut Hanzue qui posa la première question.
«
Mlle Kou, je vous remercie d’être venue ici... Rassurez-vous, vous n’êtes nullement poursuivie, nous voulons simplement votre aide... Autant vous le dire d’emblée, Mlle Kanzaki a été retrouvée assassinée dans une chambre d’hôtel par une femme de ménage, suite à la plainte de clients se plaignant d’entendre une musique extrêmement forte... Je voudrais savoir si vous connaissiez bien Mlle Kanzaki, et si vous saviez si elle avait des problèmes particuliers, des menaces quelconques... »
Très délibérément, Hanzue avait négligé de décrire l’
état dans lequel on avait retrouvé la femme. Le coup était déjà suffisamment dur à encaisser comme ça.