C’était comme cette musique... Une musique que Shizuka aimait bien, et qu’elle s’écoutait bien.
Une musique qui parlait de sensations, d’amour, et du toucher. La musique était en deux temps, comme si elle racontait une douce rêverie romantique. Un prologue lent et poussif, comme si les deux amants commençaient à se voir, à s’approcher, à hésiter, et une partie plus évasive, plus poétique, que Shizuka avait toujours assimilé à un
premier baiser. Et là, alors qu’elle ne parvenait plus à lutter contre son corps, alors que son âme était emportée par des courants irrépressibles, alors qu’elle se laissait lentement guider, Shizuka
entrait dans cette seconde phase. Ce qu’elle ressentait pour Hinata pouvait tout à fait s’assimiler à de l’amour... Pas cet amour égalitaire et normal, celui qui façonnait les couples et les familles, car elle n’aurait jamais osé pouvoir se mettre au même pied que la Princesse d’Edoras, c’était cet
autre amour, cet amour de servitude volontaire, cet amour qui était une sorte de vénération, cet amour irrationnel et inexpugnable.
Si Hinata avait l’impression de rêver, Shizuka, elle, avait le sentiment de
flotter. Elle était ailleurs, emportée par leur baiser, ailleurs, dans un autre monde, un monde où elles n’étaient pas dans un lit, où elle n’était pas en train de faire quelque chose que sa conscience réprouvait totalement. Elles étaient dans une bulle, une
bulle du toucher, une bulle des plaisirs éternels et éphémères, une bulle où tous les possibles se mélangeaient autour de cette simple sensation : le
toucher. Un frottement de lèvres, fugace, de la salive qui se partageait, des langues qui se touchaient et se titillaient. Était-ce du plaisir qu’elle ressentait ? Pouvait-on
seulement assimiler
ça à du plaisir ? Ce n’était pas comme quand on lui offrait une glace à la fraise, et qu’elle l’avalait joyeusement, que sa langue en frissonnait. Ce n’était pas ce sentiment de fierté et d’intense satisfaction qu’elle ressentait quand elle réussissait un exercice particulièrement difficile, et que leur supérieure, dans un franc sourire, ne pouvait que la complimenter, sous le regard surpris, admiratif, et parfois envieux de ses camarades. C’était quelque chose d’
autre, quelque chose qui ne pouvait s’exprimer par des mots, car aucun mot ne lui semblait alors pouvoir définir ça. Hinata la retourna, et Shizuka se retrouva couchée sur le dos. Si elle avait pu analyser objectivement ce qu’elle voyait, il était probable qu’elle n’aurait eu qu’une chose à dire : la Terre Promise, le Paradis... On la cherchait dans le ciel, on la cherchait dans les autres dimensions, on la cherchait à travers des équations mathématiques, on la cherchait à l’autre bout du monde, mais elle était là... Là, elle vous pendait sous le nez, et elle se gaussait de vous, elle riait de cette sinistre ironie. Les gens faisaient des merveilles et construisaient des machines immuables, alors que le
bonheur était juste là. Sous notre nez.
La princesse retourna sur elle, posant ses mains sur ses épaules, et elles se caressèrent à nouveau, s’embrassant. D’une main, Hinata se déshabilla, tirant sur la ceinture, et Shizuka le
sut. Elle sut ce qui allait se passer. Un étau lui enserrait le cœur, sa respiration était lourde. Elle regarda le corps nu d’Hinata, mais il n’y eut aucun frisson pervers, aucune brusque excitation de désir qui serait liée à la vue de ses seins. Oh non, c’était
tout son être qu’elle contemplait, toute sa personne qu’elle admirait, la moindre parcelle de peau. Si Shizuka avait été
moins émue, elle en aurait pleuré, mais elle était trop abasourdie pour le faire. Elle posa ses mains sur le corps d’Hinata, les caressant lentement, ses doigts glissant sur sa peau nue. Le
toucher... Elle touchait. Et c’était merveilleux. Elle n’aurait pas su le dire pourquoi, mais, en cet instant,
tout ce qu’elle avait pu accomplir lui semblait insignifiant. Tout, sauf cette sensation de frottement le long de ses doigts.
Hinata se mit à parler en s’allongeant à côté d’elle. Rupture. Comme si Shizuka avait atteint le point névralgique, la respiration revint, et les sensations. Le lit. La musique atteignait le point de chute, celui où on sentait le rêve toucher à sa fin, où on sentait que le voyage était terminé, qu’on était arrivé à destination, qu’il était temps de se réveiller. Shizuka se tourna lentement, croisant le regard d’Hinata. Elle n’avait jamais fait l’amour, elle était trop prude pour y songer, pour envisager de
le faire avec Hinata, mais, quand cette dernière lui parla, elle
sut. C’était une intuition, une intuition aussi inébranlable que le plus haut des monts. Elle sut ce qui allait se passer, et elle sentit son estomac fondre. Et, même si Hinata était en train de planer à cause des effets secondaires de sa maladie, Shizuka
savait... Elle savait que ce qu’elle ressentait était vrai. La Princesse retourna contre elle, retourna l’embrasser contre la joue, se frottant contre elle... Un geste, un signe, et la danse reprendrait. Oui, un seul geste, une seule caresse... Il suffisait de
relancer le toucher, et ce serait bon. Ce serait même parfait, comme un rêve éveillé... Pourtant, Shizuka écarta un peu son visage.
«
Hinata... Princesse, je... »
Instant de panique. Accroissement du rythme cardiaque. Le cœur bondissait dans sa cage thoracique, et Shizuka s’écarta alors. Elle sortit du lit, les joues rouges.
«
Je... Je... »
Elle se mordilla les lèvres, et entreprit alors de se déshabiller. Elle n’eut qu’à tirer un peu, et tous ses vêtements tombèrent. Elle s’offrit dans toute sa nudité, une toison de poils autour de son sexe.
«
Je veux savoir... Je... Dites-moi que... Que vous me désirez... Que ce n’est pas un effet de mon imagination, et que... Et que... »
Elle se mordilla à nouveau les lèvres, avant de poursuivre :
«
...Et que tout ça est bien réel... »