Le jet de la douche sur le corps de Félicia lui procura le plus grand bien. Elle resta à l’intérieur de sa cabine pendant une dizaine de minutes, avant que le jet ne se termine, savourant le contact de l’eau chaude sur son corps. Elle se décrassait, ôtant toutes ses traces de boue, tout en utilisant ces salvatrices minutes pour réfléchir davantage. Son cerveau se baladait entre Aoki, le SHIELD, et l’Ombre Noire... Elle avait clairement eu tort d’emmener Aoki avec elle, et elle le constatait, maintenant. La pauvre était en état de choc, et on ne pouvait pas le lui reprocher. Elles avaient été coursées par une voiture animée toute seule, et par des types armés de haches. Félicia, elle, avait de l’expérience. Aoki restait une simple femme avec des tendances sexuelles un peu spéciales. Félicia ne pouvait que se sermonner de l’avoir invité avec elle, d’avoir sous-estimé la menace, d’avoir continué à croire que Barry Wheeler ne leur avait pas dit toute la vérité, et l’avait volontairement surévalué pour mieux se faire mousser auprès de deux belles filles. Son erreur de jugement avait été fatale. L’Ombre Noire, quelle que cette chose puisse être, existait bel et bien, et elle était dangereuse. Lentement, mais sûrement, le scénario de Bright Falls était en train de se reproduire. Il fallait retrouver cette femme, cette Rose Marigold, qui, d’après les informations de Félicia, serait en mesure de les aider.
*
Une chose est sûre : je ne peux plus impliquer Aoki. Qu’elle le veuille ou non, elle restera ici.*
Félicia avait pris bien trop de risques, et elle serait, sur ce point, intransigeante. La Chatte Noire pouvait être aussi conciliante que têtue, ce qu’Aoki avait déjà pu constater, et constaterait encore maintenant. En allant vers les douches, l’Américaine avait eu l’occasion de voir à quel point cette aventure avait troublé Aoki. Sa démarche était lente, ses yeux étaient hagards, et elle parlait très peu, en état de choc. C’était une chose que Félicia pouvait comprendre. Elles continuaient donc à se doucher, et les douches s’arrêtèrent en même temps, les abandonnant dans un délicat cocon de chaleur, que Félicia quitta tout de même rapidement. Elle savait que les douches, par souci de rapidité et d’efficacité, proposaient ensuite un service de nettoyage automatique, consistant par des sortes de vapeur qui permettaient d’adapter le corps à température ambiante, tout en le séchant. La Chatte Noire sortit pourtant toute nue, avant que le programme ne s’enclenche, et alla chercher une serviette dans un box à côté. Elle la tenait sur ses épaules quand Aoki sortit à son tour, et, sans rien dire, alla se blottir contre ses bras.
Silencieusement, Félicia lui caressa le dos, glissant sur ses belles hanches, des hanches qui avaient jadis été plus joyeuses, qui avaient supporté les élans vigoureux de son corps, qui avaient supporté ses claques, ses coups, ses coups de langue... Vu l’état patraque dans lequel se trouvait Aoki, la Chatte Noire, qui avait de plus en plus la figure du «
mâle » protecteur et rassurant dans leur couple, aurait presque été jusqu’à lui proposer une partie de sexe, afin de la remettre d’aplomb. On négligeait par trop les vertus thérapeutiques du sexe, et, si elle y pensait en s’amusant, elle y pensait, au moins. L’une de ses mains, quant à elle, continuait à glisser le long du dos d’Aoki, filant de plus en plus bas. Cette douce rêverie se termina quand Aoki lui posa alors une question :
«
Tu pourrais me supporter combien de temps comme ça, collante ? »
Étonnante, la question fit ciller les sourcils de Félicia, qui pencha un peu sa tête en arrière. Aoki avait la sienne basse, penchée vers ses pieds, et elle rapatria l’une de ses mains, s’en servant comme appui pour la poser sur le menton d’Aoki, le redressant ainsi, amenant leurs yeux à se croiser. Félicia répondit par un tendre baiser à l’intention de cette dernière, leurs lèvres se collant brièvement, légèrement humides. Elle reprit son souffle, et le rompit ensuite, avant de déplacer sa main, filant de son menton à sa nuque.
«
Tu mériterais des baffes pour poser une telle question, Aoki... Il est évident que je pourrais te supporter aussi longtemps que tu le voudras. N’oublie pas que j’ai des ascendances félines : coller les autres, ça me connaît. »
Un chat avait beau être plus indépendant qu’un chien, quand il était domestiqué, il dépendait quand même beaucoup de son maître, et pouvait se montrer très collant... Surtout quand il avait faim.
«
Tu penses que l'on pourra se reposer après que tu aies vue ce supérieur ? enchaîna Aoki.
Je suis déjà épuisée... »
Félicia pencha légèrement la tête sur le côté, réfléchissant brièvement, avant d’apporter une réponse :
«
Toi, en tout cas, c’est une certitude. Tu vas assister à cette réunion parce que tu as vu des choses, mais, après ça, tu iras faire une bonne sieste dans une chambre... Et ça, ce n’est pas négociable ! »
Quant à elle, c’était une autre histoire... La Chatte Noire était versatile par nature. Elle continua encore à la câliner, frottant tendrement son corps contre elle, puis entreprit de s’habiller. Ses affaires étant au sale, elle opta pour d’autres vêtements plus formels, à savoir un uniforme qui traînait dans les casiers. Ressemblant à une vraie soldate, avec ses vêtements verts kakis, Félicia sortit, et s’enfonça dans les couloirs, pour rejoindre le bureau de
Lloyd Dawkins. Félicia tapa à la porte, et entendit Lloyd leur dire d’entrer.
Son bureau comprenait une bibliothèque, plusieurs chaises confortables, un ordinateur avec écran plat, et, au niveau de la décoration, un énorme poster de Bruce Springsteen avec le drapeau américain, et la mention «
BORN IN THE U.S.A. » à la place des étoiles.
«
Allez, installez-vous, posez vos fesses. »
Il se permit une petite observation en voyant la tenue de Félicia :
«
Ne me dites pas que vous venez de rejoindre les Marines, ou je rejoins immédiatement votre affectation. »
Un léger sourire traversa les lèvres de Félicia, qui s’assit.
«
Nous venons au sujet de ce que Norman m’a demandé de faire... Et je viens vous demander d’offrir provisoirement une chambre à Aoki. Je la soupçonne d’être poursuivie par une créature dangereuse et dotée de puissants pouvoirs paranormaux. »
Lloyd cligna lentement des yeux, et il s’écoula quelques secondes, avant qu’il ne regarde Aoki, et ne lâche :
«
Vous pouvez me répéter ça ?! »