Le duo quitta donc le stade, avec plus de questions que de réponses, et une nouvelle piste : une jeune femme. La Chatte Noire avait conscience que tout ça était en train de la dépasser, et que ces histoires de meurtres prenaient des proportions ahurissantes. Une ville rasée, l’armée, un écrivain disparu, des pouvoirs magiques ancestraux liés à la création artistique... Elle en avait presque oublié ce type dans les sous-sols, et, surtout, cette page... Cette mystérieuse page que Félicia avait ramassé, sur une «
réalité alternative », une zone «
obscure ». Félicia était bien placée pour savoir que ce genre de zones existaient, comme la fameuse Zone Négative, que le SHIELD avait utilisé durant la Guerre Civile pour créer une prison spéciale, afin d’y enfermer les supers-héros résistants. Alors, il était tout à fait possible de penser qu’une autre réalité puisse exister, plus terrible encore que les aberrations susceptibles de sortir de la Zone Négative... Une réalité alternative qui avait tout d’un mythe lovecraftien.
Dans la voiture, Aoki se mit à parler, essayant de savoir ce qu’il fallait faire, s’il fallait laisser le SHIELD se charger de cette enquête, ou continuer. Félicia ne dit rien, restant silencieuse. Le SHIELD... Elle savait qu’ils étaient bons, ce n’était pas la question, mais, après tout ce qu’elle avait fait, elle se voyait mal laisser tomber. Cependant, d’un autre côté, pouvait-elle continuer à exposer Kanzaki au danger ?
«
Par quoi on commence donc ? » demanda finalement Aoki, se raccrochant encore à Félicia.
La Chatte Noire réfléchit encore un peu, et tourna sa tête vers elle.
«
On va aller à Seikusu Base Camp, trancha-t-elle.
Nous sommes en-dehors de la ville, il suffira de couper à travers la forêt pour rejoindre la base. »
Seikusu Base Camp était la base militaire américaine de la ville. Sa création remontait au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Elle avait toujours été une base de ravitaillement de seconde zone, servant avant tout à ravitailler les avions et les bateaux qui se rapprochaient en carburant. Seikusu Base Camp était aussi connu des habitants natifs de Seikusu, car la base militaire organisait parfois des visites. Les bases militaires américaines servaient d’infrastructures pour les Japonais, et servaient de moyens pour parler aux petits Japonais du rôle de l’armée, de la situation militaire en Asie du Sud-Est, ainsi que de l’Oncle Sam. On parlait surtout de la Chine, et des problèmes récurrents que les deux pays se posaient autour de la souveraineté des Îles Senkaku. Félicia, qui traînait dans la base, savait que les Américains envisageaient de plus en plus la possibilité d’un conflit contre les Chinois, à partir de ces trois petits archipels inoccupés, ce qui n’était pas sans rassurer les hommes et les femmes comme elle. Félicia n’était pas une militaire, et elle se voyait mal partir à la guerre.
*
Pourtant, c’est bien une guerre que je risque de mener contre cette Ombre Noire, si j’en crois les élucubrations de ce Barry...*
Félicia démarra, et sortit du parking, tout en expliquant à Aoki ses idées.
«
Je vais aller au SHIELD faire part de nos découvertes, mais Norman nous a investis là-dedans, et je ne compte pas m’arrêter comme ça. Ça a titillé ma curiosité, pas toi ? La base dispose de registres et de puissants moteurs de recherche. À partir de ça, on devrait pouvoir retrouver cette Rose. Et je veux aussi que tu la voies. Si jamais les choses se gâtent, Aoki, c’est là-bas qu’il faudra que tu te rendes. Et, sur ce point, je suis catégorique ! »
Félicia tourna même la tête vers elle, comme pour appuyer ses dires, tandis que sa voiture s’enfonçait dans la forêt. Un GPS indiqua le chemin vers la base, et elle filait à travers une route sinueuse, voyant de nombreux bambous autour d’elle. Son allure était assez réduite, car il y avait plusieurs lacets, des virages, une visibilité réduite, et une chaussée limitée. Félicia alluma la radio, et une musique déferla dans l’habitacle :
War, des Poets Of The Fall :
When I thought that I fought this war alone
You were there by my side on the frontline
And we fought to believe the impossible
When I thought that I fought this war alone
We were one with our destinies entwined
When I thought that I fought without a cause
You gave me the reason why
Dehors, des nuages gris et lourds s’avançaient, annonçant un orage, et, alors que Félicia avançait, elle s’arrêta en voyant une voiture en arrêt sur le bas-côté, les feux de détresse allumés... Et un homme lui faisant de grands signes. Un Japonais avec des lunettes. Félicia ralentit, et abaissa la fenêtre.
«
Madame ! Madame ! Il faut appeler les autorités ! Il faut appeler les autorités ! »
Les autorités ?
«
Qu’est-ce qui se passe ? -
Un train, il y a un train qui s’est renversé dans la forêt !-
Un train ?! »
Qu’est-ce que c’était encore que cette histoire ? Félicia s’arrêta, et rangea sa voiture à côté de l’autre. Elle regarda Aoki brièvement :
«
Je... Je crois qu’il faudrait mieux qu’on aille voir ça. »
Ce type pouvait tout à fait être un pervers, mais il n’en avait pas le look. Il portait un bermuda, une chemise bleue, et unappariel photo en bandoulière.
«
Ma femme et moi prenions des photos, profitions du paysage avec un pique-nique quand ce truc est carrément tombé du ciel ! Malheureusement, je n’ai pas de réseau... »
Et, sans plus attendre, l’homme se mit à partir. Félicia fronça les sourcils.
Il y avait effectivement un train qui s’était écrasé dans la forêt. Un train de marchandises, et plusieurs trams s’étaient étalés le long de la forêt.