«
Nyaaa... Mmm... Grrrr... ! »
Jouant sur le grand tapis rouge au centre de la chambre,
Liana était en train de s’attaquer à une grosse pelote de laine, plantant ses dents à travers, avant de la faire rouler sur le tapis, puis de la poursuivre, l’attaquant à nouveau, sa queue de neko se dressant fièrement en l’air. Dans un coin, une massive cheminée en pierre crépitait, un tableau ornant cette dernière. Le tableau montrait un paysage hivernal, montrant, dans un coin, les tours noirâtres de Fort-Hiver, éclairées par des feux au milieu de la tempête. Le cadre du tableau précisait le titre de l’œuvre : «
Phare ». Elle avait été réalisée par l’un des esclaves de la famille Hiver, il y a de nombreuses années. Mélinda l’avait silencieusement regardé, avant de contempler la grande baie vitrée montrant le paysage. On ne voyait pas grand-chose. En montagne, la nuit tombait vite, et le vent sifflait. Il y avait de la neige un peu partout sur les vitres, et, depuis les parties visibles, la vampire voyait des flocons tomber en cadence.
La chambre comprenait une mezzanine où on trouvait le lit, un grand lit 2 places. Liana pouvait éventuellement dormir sur le canapé, mais Mélinda ne voyait aucun problème à ce que la neko dorme avec elle. Elle réfléchissait au déroulement de la semaine. Elle avait reçu le planning du colloque, et le contempla à nouveau :
LUNDI
09h – 12h : Conférence par Alexeï DIVINSKY : Historique de l’esclavage ashnardien : la pratique de la violence et son évolution à travers les siècles
14h – 17h : Conférence par Izaël LACHSTRICK : La question de la légitimité de la violence : éléments de droit comparé entre l’esclavage infernal et l’esclavage ashnardien
MARDI
09h30 – 13h : Table ronde sur le thème : L’efficacité des méthodes alternatives
15h – 19h : Conférence par Jonas DEMETER : Le maintien de la reconnaissance de la violence légitime
MERCREDI
09h – 11h30 : Conférence par Jung BARROW : Panorama des différentes pratiques esclavagistes : de la nécessaire distinction entre l’esclavage industriel et l’esclavage de qualité et ses conséquences
14h30 – 18h : Présentation de l’Exposition de l’Art esclavagiste à la Galerie des Arts
JEUDI
10h – 13h : Conférence de Mélinda WARREN : Pour une réforme des pratiques esclavagistes : la prédominance du lien de confiance entre maître et esclave au profit d’un lien de terreur
15h – 20h : Table ronde sur le thème : L’intérêt de la violence esclavagiste
VENDREDI
11h – 17h : Conférence de clôture du colloque*
Mélinda ignorait ce qui était le plus fort dans ce planning : qu’on ne mentionne à aucun moment les pratiques nexusiennes (bien que cela soit compréhensible, Ashnard comparant Nexus à un tas de nobliaux ambitieux et antipatriotiques), ou qu’elle allait devoir s’exprimer pendant trois heures d’affilée devant ses confrères. C’était la durée normale d’une conférence : trois longues heures. Elle n’allait pas faire que parler, bien sûr, car les trois heures incluaient aussi une période de questions. De plus, dans la mesure où une conférence démarrait généralement 15 ou 20 minutes en retard, sa durée réelle approchait les deux heures. Mélinda préparait néanmoins cette conférence avec une certaine excitation. De grands pontes étaient venus à ce colloque, comme à chaque fois. Et, s’il y aurait son éternel rival à Ashnard, Jung Barrow, Mélinda avait aussi vu d’autres esclavagistes bien plus puissants qu’elle, ceux qui faisaient partie de ce qu’elle appelait «
l’esclavage industriel », soit ces grands propriétaires terriens qui possédaient des centaines, voire même des milliers d’esclaves, entassés dans des cités-esclaves tyranniques, et qui étaient utilisés pour entretenir l’industrie et l’agriculture de l’Empire ou de ses alliés. La tâche de Mélinda serait d’essayer de convaincre ces puissants. Certains étaient même venus en personne.
En gros, toute une bonne partie du gratin esclavagiste était réunie à Fort-Hiver, et la sécurité, naturellement, y était renforcée. Tandis que Liana jouait, et que Mélinda consultait ses notes, de nombreuses patrouilles survolaient le fort. Outre les gardes, il fallait également compter sur les détecteurs magiques, nombreux, les démons, les chiens de guerre infernales, qui ne craignaient pas le froid, et qui erraient dans les cours, leurs gueules infernales soupirant, prêts à cracher des flammes, les gargouilles qui se tenaient sur le toit de tourelles, et observaient toute la zone. L’importance du colloque avait amené Sire Hiver à des mesures de protection draconiennes. Chaque esclavagiste et sone sclave personnel avaient reçu une carte d’identification à présenter aux gardes. Il y avait deux gardes devant chaque chambre, sans compter ceux qui se promenaient dans les couloirs. Impossible de sortir ou d’entrer sans tomber sur des gardes. Dans la mesure où certains esclavagistes étaient parfois paranoïaques, la sécurité du fort avait été l’une des priorités de Sire Hiver.
Depuis son bureau circulaire au sommet du donjon, le châtelain regardait, depuis une baie vitrée, la région au loin. Il n’était pas sans ignorer l’existence, même au sein de l’Empire, de groupes terroristes antiesclavagistes, qui se confondaient généralement avec les anarchistes démocrates réclamant, à coups de bombes, d’attentats et de prises d’otages, l’instauration d’une démocratie. Cette lie n’était pas particulièrement dangereuse, et bien moins solide ou active qu’à Nexus, mais l’était tout de même suffisamment pour que certains esclavagistes se sentent gênés. Cessant d’observer les lieux, son domaine, Sire Hiver se tourna vers une série de cartes sur un coin, en observant plusieurs, celle présentant le domaine, et celle présentant le château. Fort-Hiver comprenait plusieurs petits villages dont les activités touristiques rapportaient un peu d’argent. Les finances de la seigneurie reposaient essentiellement sur tout un complexe minier permettant notamment de produire du fer, et d’autres ressources minières. Fort-Hiver disposait aussi d’une carrière, protégée par de hauts murs pour permettre l’extraction de pierre.
Le château, quant à lui, se présentait comme une structure en deux parties. D’un côté, le périmètre extérieur, qui était une grande cour en pente où de nombreuses patrouilles s’affairaient. Des chiens infernaux accompagnaient les gardes, et on pouvait voir des tentes, des cages vides, ou presque... Les jumelles celkhanes permettraient sans doute aux commandos de voir un sinistre spectacle dans ces cages en fer.
Il y avait des gens à l’intérieur. Ils portaient des haillons, et, pour les plus chanceux, grelottaient, les autres étant morts de froid. C’était là l’une des cruelles punitions de Sire Hiver pour tous ceux qui commettaient l’erreur de se rebeller dans les mines ou dans la carrière. Ils étaient enfermés comme des bêtes dans des cages, ou mis au pilori, et devaient endurer ce froid hivernal. Malheureusement pour ces derniers, leur punition était tombée au cours de la tempête.
Le long du périmètre extérieur, on ne trouvait que des gardes, et ceux que les Celkhanes avaient tué n’alerteraient pas beaucoup la garde. Il était fréquent que, avec des bourrasques, des gardes inexpérimentés tombent dans le vide et se brisent le cou. Les Celkhanes avaient actuellement réussi à traverser le premier mur, et se tenaient prêts d’une espèce de grosse tente chauffée et éclairée dans la cour extérieure, où plusieurs esclavagistes se tenaient avec d’autres. Cette grosse tente abritait en effet une patinoire. Sire Hiver avait naturellement pensé au confort et aux loisirs, et ce fut dans cette tente qu’un neko perçut une présence extérieure. Il ne fut néanmoins pas le seul à les sentir.
Dehors, l’un des chiens de guerre s’arrêta sur place, et se mit à grogner, montrant d’énormes dents avant de s’approcher de l’une des tours. Il tirait sur sa laisse, agité, et les deux gardes se consultèrent du regard, avant de s’approcher de la tour. L’un des deux tapa à la porte, et attendit un peu. Les deux gardes portaient de longs manteaux noirs et des casques avec des fourrures. L’un des gardes à l’entrée regarda par la trappe, et ouvrit.
«
Ben quoi, les gars ? Vous vous les gelez ? »
Cette réflexion lui valut une bourrade de la part d’un des deux patrouilleurs, qui s’aventura au rez-de-chaussée, attirant avec lui des flocons de neige. Plusieurs gardes étaient en train de se détendre en jouant aux cartes.
«
Le chien a senti quelque chose ! expliqua l’homme en désignant la bête, qui continuait à grogner.
-
J’ai rien senti d’anormal, moi... rétorqua le sergent.
-
Une chance que je ne me fie pas à l’avis des blaireaux ! lâcha le patrouilleur.
Vous avez relevé les gardes du haut ? -
La prochaine relève est dans une heure. »
Le patrouilleur soupira, continuant à tenir le chien infernal par la bride. Ce dernier continuait à grogner, de plus en plus nerveux.
«
Moi, je dis qu’il y a quelque chose de pas net. Les chiens infernaux ne s’excitent pas sans raison. Il a du ressentir de la chair fraîche. -
Peut-être un esclave qui s’est échappé du donjon... -
M’étonnerait..., objecta un autre garde, assis.
Vu l’état dans lequel ils sont, ils sont totalement incapables de ce genre de prouesses. »
Le patrouilleur grinça des dents.
«
Fermez vos gueules, minables ! On grimpe au sommet de la tour ! Le premier qui chiale surveillera les cages, ou donnera à manger aux clébards ! »
Une perspective guère encourageante : le dernier garde qui avait fait ça avait perdu sa main, le chien l’ayant dévoré au passage. Les gardes se rendirent à l’avance, et prirent leurs fléaux, leurs hallebardes, leurs boucliers et épées, avant de commencer à monter, sans se douter qu’ils avançaient vers une escouade de Celkhanes.
[* : La police utilisée pour le planning du colloque est
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