Misha et Tysha restaient silencieux dans la pièce, sachant très bien que, quand leur Maîtresse était en train de négocier, de faire des affaires, il était très inconvenant de venir la diriger, et de demander des explications. Elles étaient polies, bien élevées, et savaient où étaient leur place. Aussi, tandis qu’Hardos parlait, et expliquait plus en détail à la vampire le contenu de sa malédiction, elles restèrent sagement dans un coin. La Maîtresse ne les avait pas congédiées, et elles ne partiraient que si elle le leur ordonnait. Pour elles, c’était là un avantage, un moyen de savoir des choses sur ce que leur Maîtresse faisait, et d’en parler ensuite aux autres. Si le harem pratiquait la politique du secret à l’égard de l’identité de ses clients, les filles, entre elles, n’avaient aucun scrupule à en parler. Elles évitaient juste de le dire devant les clients, en parlant seulement à leur Maîtresse, qui se chargeait ensuite de faire le tri.
Hardos expliqua donc à cette dernière que sa malédiction le contraignait à partager son corps avec sa sœur jumelle, cette dernière prenant son corps à la tombée de la nuit… Avec cette conséquence, étonnante, que le corps d’Hardos se transformait alors. C’était étonnant, et laissait entendre un puissant sortilège magique. La vampire ne disait rien, concernant ses atouts dans sa manche. Elle connaissait effectivement de telles relations, mais, si elle pouvait aider Hardos, son aide, naturellement, ne serait pas gratuite. Ce dernier s’en était doté, et commença par lui offrir un aphrodisiaque végétal, émanant d’Alraunya. Mélinda papillonna légèrement des yeux. Elle avait entendu parler de cette légendaire forêt magique, qui se déplaçait le long de Terra, mais, selon ses dernières informations, Alraunya était morte, et la forêt, soit avait disparu, soit avait été reprise par l’une de ses créatures. Il n’y avait aucune ondulation sanguine dans le pouls d’Hardos indiquant que ce dernier pourrait être en train de mentir, et il lui avoua avoir aussi d’autres présents, au cas où, tout en n’hésitant pas à se proposer à son service, à vie.
*Il est visiblement résolu à se séparer de sa sœur..*
Elle pouvait faire de lui un gigolo, mais les activités commerciales de Mélinda ne se limitaient plus qu’au sexe. Il était possible de lui trouver d’autres fonctions, et, de plus, elle doutait que sa sœur soit du genre à abandonner son frère. Vu leur lien, elle chercherait à rester proche de lui… Et, si Hardos ne voulait pas l’impliquer dans leur troc, Mélinda, elle, pouvait toujours le faire. Cet homme avait l’air vigoureux et décidé, suffisamment fort pour avoir traversé Alraunya, et en avoir rapporté sa sève. Bien des gens qui cherchaient cette forêt n’en revenaient pas en vie.
Après sa demande, il s’écoula un flottement, un battement de quelques longues secondes, avant que, finalement, Mélinda ne lui réponde. Elle remua légèrement sur son confortable fauteuil, s’humecta les lèvres, et regarda ensuite Hardos.
« Je peux vous mettre en relation avec des mages pour réaliser cette opération, annonça-t-elle. Bien que n’étant pas magicienne, cette opération nécessitera cependant aussi de recourir à des alchimistes, afin de reconstituer le corps de votre sœur. Et, de fait, séparer deux esprits unis depuis si longtemps, sans séquelles ou lésions psychologiques, est un exploit réservé à certains mages très influents… Le genre de personnes qu’on ne rencontre pas habituellement avant plusieurs mois, au minimum, et qui vous coûtent une fortune colossale. »
Elle exposait calmement les faits, et joignit ses mains devant elle.
« Je peux prendre en charge toute la logistique, les frais, et vous assurer un entretien avec l’une des magiciennes les plus réputées d’Ashnard d’ici la fin de la semaine. Mais, comme vous vous en doutez, ce ne sera pas gratuit. Votre aphrodisiaque est un produit précieux, je peux le sentir, mais nettement insuffisant pour couvrir les frais… »
La vampire l’avait annoncé en maintenant sa phrase en suspens. Elle redressa lentement sa tête, décroisant ses beaux doigts, et continua à observer l’homme.
« Je m’attacherai de vos services à vie, trancha-t-elle. Si vous avez été voir cette Alraunya, c’est que vous devez être un aventurier. Sachez que, parallèlement à mon harem, j’entretiens une guilde… Une guilde que j’ai récemment rachetée, et qui a besoin d’aventuriers. Vos ‘‘babioles’’, comme vous les appelez, si elles présentent une quelconque valeur marchande, seront accordées au patrimoine de ma guilde. »
La vampire se pinça à nouveau les lèvres, laissant planer quelques secondes de silence supplémentaires, afin de laisser le temps à Hardos de digérer cette information, et ce qu’elle impliquait. Cependant, la vampire n’avait pas oublié la condition impérative posée par Hardos, et y revint donc :
« Votre sœur ne fera pas partie de ce marché, mais vous devez bien comprendre que, si elle souhaite d’elle-même, par la suite, se rapprocher de vous en rejoignant mon service, je ne saurais l’en empêcher. Je suis une femme qui accorde une grande importance à la notion de famille, et l’éclatement familial est quelque chose qui m’est insupportable. »
Le marché étant entendu, Mélinda sortit de son bureau un papier, et écrivit dessus, indiquant les différents termes de leur contrat, puis le tendit vers Hardos.
« Vous n’avez plus qu’à signer. Indiquez-moi ensuite un endroit où vous contacter, et je vous y ferais part du rendez-vous avec le magicien qui s’occupera de votre problème. »
La messe était dite.