++++++THE BEDUn cauchemar, encore ? Oui, c'est évident. Assis, tu regardes autour de toi, scrutant avec un regard presque apeuré chaque ombre de la pièce, chaque recoin ténébreux dont tu t'attends à y percevoir un mouvement. Mais la seule chose qui bouge, c'est la forme féminine qui partage tes draps froissés et l'espace impersonnel de ta chambre aux volets ouverts. Ta poitrine se soulève de moins en moins rapidement tandis que tu reprends enfin tes esprits et ton habituelle contenance, essuyant tes lèvres d'un revers de main encore un peu fébrile. Ce songe là devait être vraiment terrible, pour te mettre dans pareil état... Et c'est précisément cela qui te fait pester intérieurement, presque jurer. Tu ne supportes pas l'idée de te dire que le sommeil dévoile les faiblesses que tu t'évertues à cacher. C'est bien pour cela que tu dors normalement si peu, n'est-ce pas ? Comme un enfant, tu crains la nuit et ce qui rôde dans le drapé de ses interminables heures. Plus qu'un autre, tu sais ce qu'il faut craindre de l'entre-jours.
Regarde à côté de toi. Elle remue encore un peu sous les toiles de la literie, son mouvement abaissant légèrement le drap qui laisse apparaitre la rondeur de ses fesses. Elle est désirable, c'est bien ce que tu penses pendant que tu embrasses ses courbes d'une oeillade. Pourtant, comme pour toutes les autres, ce n'est pas vraiment pour ça que tu l'as attirée dans ton lit. Ni pour la baiser -terme que tu n'aimes pas parce qu'il est on ne peut plus vrai, hypocrite. Cette jeune femme n'est présente que pour t'éviter de dormir seul. Pathétique, pitoyable. Crois tu qu'une créature si saugrenue te préservera de la sinistre litanie de tes songes ? Tu es le seul à l'entendre et le seul qu'elle emportera.
Oh... Que compte tu faire en passant ainsi tes mains sur son corps endormi ? En prenant l'un de tes seins entre tes doigts ? La voilà qui gémit vaguement, à peine dérangée. Elle ne tardera pas à se réveiller sous tes attouchements, sous la caresse de ta verge raidie. Baise la pour oublier la nuit, oui. Tu sais que ça ne t'empêcheras pas de voir l'image d'une autre face se superposer à la sienne quand tu la pilonnera. Tu sais que ça ne calmera en rien le malaise obsédant qui t'as fait t'éveiller en sursaut.
Elle proteste un peu. Mollement. Tu sais comment lui faire dire oui.
Ordure.
Qu'importe. Elle jouira. Même si c'est une mise en scène.
++++++THE BATHROOMElle est partie. Comme toutes les autres, tu ne la recontacteras que si tu as besoin d'une compagnie plus disposée à ouvrir les lèvres du bas que celles du haut. Elles ne sont jamais que des passe-temps, des exutoires pour te tenir compagnie. Peu importent ces filles. Tu ne l'as même pas raccompagnée à la porte, préférant finir ton café pendant qu'elle récupérait ses talons en se demandant comment elle allait rentrer chez elle. Toi, tu es encore nu dans ta cuisine, assis devant le bar ouvert qui fait connexion avec ton living-room. Tes doigts pianotent sur les touches de ton pc portable, consultant l'édition internet des journaux du jour. Pas de traces d'Eux. Pas plus que d'habitude, disons. Tu aimes te dire que c'est parce qu'ils te craignent, pas vrai ? Ils ne te prennent pourtant pas au sérieux. C'est simplement qu'Ils sont occupés, ou plus discrets. Et si Ils le sont, c'est que quelque chose se trame. La question serait de savoir quoi, mais tu n'es jamais qu'un chasseur. Le Veilleur qui les renvoie vers les Artères de Soufre. Aucune enquête, aucune recherche particulière Simplement la mort, dispensée au gré de tes sorties.
Tu abandonnes l'ordinateur et la tasse de café. Il est temps que tu te prépares.
Le reflet de toi que tu peux voir dans le miroir de ta grande salle de bain renvoie, comme toujours, une image flatteuse. Ton statut n'a pas souillé la beauté de tes origines profondes. Pas extérieurement. Pourri de l'intérieur, tu l'es. Pas complètement, mais... Ca viendra. Ooooh oui. Ca viendra. Est-ce que cela se verra sur cette peau douce légèrement mordorée par le soleil ? Est-ce que la corruption de ton âme éternelle flétrira la chair de ses muscles puissants qui te confèrent cette silhouette parfaite, mélange des plus heureux entre puissance et séduction ? Nombreux sont ceux qui cherchent à atteindre l'idéal masculin que tu représentes. Séduisant, charmant, attirant, désirable... Tu l'es. Oui. Cela, on ne peut guère de le contester. Et cela passe aussi par ce visage, cette gueule d'ange au regard aussi azuré que las, parfois balayé par les mèches blondes et errantes qui te tombent sur le front.
Tu fais bouger les muscles de ton dos par habitude, pour les sentir. Elles ne sont plus que l'ombre de ce qu'elles étaient. Tes ailes. Ces attributs divins qui signifiaient la magnificence de ton origines ne sont plus que des
reliquats osseux qui, lorsque tu les exposes, sont parsemés de lambeaux musculaires et nerveux. Tu ne voleras plus avec ça. Mais tu as poussé le vice jusqu'à limer les extrémités pour qu'elles puissent trancher et empaler. Cela n'est pas très céleste. Useras tu de ces appendices pour ouvrir plus rapidement ton chemin vers le domaine gémissant des Autres ? Ils t'attendent de pied ferme. Une éternité de souffrance pour les avoir traqués comme des bêtes. Les morceaux de ton auréole brisée feront de superbes cornes, une fois fichés dans ton front. Même lorsque que tu chuteras enfin, quand tes doigts lâcheront le bord de ce ravin dans lequel tu es destiné à être englouti, tu conserveras cette aura de grandeur décadente.
L'élégante chemise noire que tu enfiles dissimule les disgracieuses cicatrices qui déterminent l'emplacement des racines de tes ailes. De leurs cadavres. Tu en portes toujours le deuil, vêtu de la couleur de cette nuit que tu abhorres pourtant. Ton costume d'aujourd'hui est entièrement noir, comme souvent. Comme la voiture de sport que tu sors de ton garage pour la lancer à travers les rues de la ville en direction de la tour de ta société, dans le quartier des affaires.
+++THE BUSINESS COUNCILC'est amusant. La plupart des personnes autour de cette table où se tient le conseil d'administration de SkyQuest apprécient chacun une partie propre de ta personnalité, comme si ils en représentaient physiquement la facette. Ces humains sont attirés par toi. Ils n'y peuvent rien. Tu dégages quelque chose de fondamentalement intriguant pour eux, de par ta nature. Les anges plaisent à l'humanité, mais les Déchus les révèrent. Parce que les souillés dans ton genre rappellent à ces êtres éphémères qu'on peut être au sommet, porté par de grandes ailes lumineuses et pourtant s'écraser sur le sol assez fort pour s'en briser chaque os. Les Déchus sont la représentation de la faiblesse, de l'échec, de l'errance. Des notions tellement humaines... Comment pourraient-ils ne pas t'aimer, toi qui es leur modèle ? Bien sûr, personne n'en sais rien. Tu l'as caché intelligemment. Tu en as joué juste ce qu'il fallait. La ruse et la tromperie ne sont-elles pas des armes maléfiques ?
Ta secrétaire personnelle, cette traînée de
Natsumi Kaido, ne t'aime pas. Elle te désire. Cette femme transpire le stupre et l'envie. Tu ne l'ignores pas -comment le pourrais tu ?- et tu sais qu'elle fera certainement une excellente succube. Taillée pour le rôle, jusque dans ses courbes abusives. Ce que Natsumi préfère et qui l'excite tant, c'est ce trait de toi qui pousse les autres à ne te donner que leur méfiance : ta froideur. Tu n'es pas agréable à fréquenter, toujours un peu distant et sec envers tes subordonnées et le reste du monde. L'empathie ne semble pas être ton point fort. C'est un peu plus compliqué que cela, n'est-ce pas ? Que pourraient comprendre tes détracteurs à ton déchirement, à ces plaies béantes dans ton âme, ces sutures grossières et purulentes qui infectent progressivement jusqu'à ta chair ? Ta froideur et ton physique sont deux éléments qui, en se mélangeant, te donnent ce charisme particulier. Les femmes aiment les hommes inaccessibles. Elles sentent que tu les brutaliseras au lit, elles savent reconnaître un dominant. Tu l'es. Natsumi le sait, elle que tu prends dès lors que tu en as simplement l'envie. Pas de propos, pas de tergiversations. Du sexe pur et dur, sans autre conséquence que cette pointe de plaisir libérateur et revigorant. Comment la luxure peut-elle être un péché ?
C'est sûrement ce que se demanderait
Mamoru Yura, le numéro 2 de ta compagnie, si il faisait seulement cas de notions chrétiennes. Il s'en moque. Ce qui attire vers toi cet homme, c'est l'intelligence dont tu fais preuve. Ton pragmatisme. Cet esprit logique et réactif qui sait utiliser à bon escient ses capacités pour gérer les situations qui se présentent à lui. Mamoru pensait que tu n'étais qu'un simple playboy à votre rencontre et depuis, il a apprit que tu étais redoutable. Un véritable reptile qui se faufilait en silence vers sa proie pour la mordre avec violence puis la digérer lentement. Pas vraiment une image pieuse, hein ? Et tellement adéquate pourtant. Tu sais faire le mort pour frapper quand on vient mordiller tes restes, tu sais établir des stratégies et tendre des piège. La patience est une des vertus qui te reste. Cela plait à Mamoru, qui agit en affaire de cette même façon. Tout vient à point à qui sait attendre.
Morganne Ritter. Tu lui plais un peu moins, mais c'est uniquement parce qu'elle n'aime que les femmes. A la différence de Natsumi, la franco-germanique te vois davantage comme son patron et ce n'est pas pour te déplaire. Ainsi, tu sais que son efficacité est réelle et non pas forcée par l'envie de se faire valoir. C'est elle qui dirige la section Recherches et Développement de SkyQuest. Elle, c'est ta tendance à lui laisser carte blanche qui l'a fidélisée. Tu laisses les autres s'exprimer, tu écoutes et enregistres. Un réflexe purement stratégique, parce que tu sais que c'est un excellent moyen de découvrir les faiblesses psychologiques et situationnelles selon ce qui est dit. Tu tends l'oreille et lorsque cela te semble juste ou utile, tu autorises. Si Morganne (ou un autre, d'ailleurs) échoue ou te trahis, tu sauras comment punir. Toujours aux aguets.
Dans le coin de la pièce derrière toi et un peu en retrait se tient une personne qui n'a pas sa place autour de la table. C'est "juste" ta garde du corps.
Seren Gueti. Une jeune femme qui te ressemble un peu. Froide et efficace, qui ne parle jamais pour ne rien dire. Tu n'as pas besoin qu'on te protège mais ta couverture passe pourtant par l'intervention de cette ancienne enfant-soldat que tu as appris à apprécier avec le temps. C'est une guerrière avec des convictions, comme tu l'es. Elle a dut sentir ce point commun chez vous et c'est ce qui la pousse à te respecter autant. Tu sais être dur et intransigeant, capable du pire pour rectifier un défaut ou une erreur. Te salir les mains ? C'est fait depuis bien longtemps, en tant qu'ange puis de déchu et finalement comme PDG d'une entreprise aux méthodes très agressives. Coups bas et affrontements judiciaires se livrent de bien des façons et tu as des ennemis un peu partout. Ca t'amuse, ça t'occupe. Ca l'occupe elle aussi. Seren sait que tu l'enverras toujours régler une affaire délicate et a conscience que tu lui fais confiance. Pour te remercier, elle s'habille toujours en cuir très moulant. Tu aimes ça. Vicieux petit souillé.
La seule personne ici qui sache qui tu es véritablement, c'est le comptable.
Ken Ryker est également un déchu, un ange gardien ayant péché et condamné à rester sur Terre. Il t'a aidé à monter SkyQuest et tu lui as offert un poste en or. Ryker ne veut plus entendre parler de son ancienne vie, puisqu'il apprécie énormement son statut de pseudo-humain. Lui te craint. Parce qu'il sait ce dont tu peux être capable, qu'il sait à quel point tu es obstiné et vindicatif. Il n'approuve pas ta Veille et la traque qu'elle engendre mais se gardera toujours de te le dire, de peur de se retrouver sur la liste. C'est un lâche, mais il a son intérêt. Des connaissances un peu partout dans le Japon, des créatures mythologiques et improbables qui savent renseigner pour le peu que tu as besoin. Et qu'il t'aide à tenir par les burnes en proposant des voyages vers Terra.
La réunion se termine ? Enfin ? C'est d'un long... SkyQuest est une puissante société travaillant dans l'aéronautique de pointe, en cheville avec d'autres entités commerciales et avec l'armée du Soleil-Levant. Ça implique beaucoup de paperasses, de blablas insipides. Tu te prêtes au jeu avec moins d'entrain qu'avant. Tu t'es beaucoup amusé à partir de rien pour arriver si loin. Le sommet n'a en fait que peu d’intérêt pour toi. Tes buts sont tout autres.
Ce soir, tu iras Veiller. Cela te changera les idées après une journée que tu sais d'avance insipide et rébarbative. De longues heures avant d'en chasser quelques uns, plaisir aussi libérateur et jouissif que les coups de bassin qui résonneront entre les cuisses de Natsumi d'ici peu.
+++++THE STREETSIl est tard et tu es là, donnant l'impression de te glisser de tâche d'ombre en tâche d'ombre comme une perte d'encre vagabonde. Ton territoire ? La face cachée de cette ville pourrie. Ses toits aux hauteurs inégales, ses ruelles étroites et perdues entre deux dédales de grandes avenues. Ses bâtiments désaffectés et ses hangars abandonnés, ses maisons en ruine, ses quartiers pourris. Tu pourrais presque passer pour un justicier, un de ces humains qui pensent mettre leurs petites capacités au service du Bien. Le bien ? Savent-ils seulement quelle puissance destructrice peut avoir cette notion trop facilement brandie ? Tu connais le pouvoir de ce mot. Tu as réduis en cendres des civilisations et des races entières pour lui, sur les ordres de.... Ah, tu ne peux pas le citer. Pas même y penser. Cette entité supérieure à tout. C'est Elle qui détermine le Bien et le Mal, non pas le jugement de créatures aussi éphémères et futiles que les fils d'Adam. Les Anges sont le Bien par définition. Ils ne sont donc pas forcément les alliés de l'humanité. Si une légion céleste écrasait une partie du monde des hommes sous prétexte qu'elle n'est pas bonne selon les critères des cieux bien qu'elle soit bénéfique au reste de sa race, les Anges ne deviendraient-ils pas l'incarnation même du Mal ?
Ces questions, tu as arrêté de te les poser. Toi, tu as choisi de livrer la plus élémentaire des batailles. Celle des Anges contre les Démons. Pas de philosophie, pas de considération. Juste l'affrontement éternel entre le ciel et les profondeurs magmatiques et viciées de la terre, échangeant la fureur d'immémoriaux champs de bataille contre la perversité de la guérilla. Tu te mens à toi même en prétendant que c'est ton châtiment, ton repentir éternel et le meilleur moyen de garder un peu de lumière dans ton âme assombrie. Il n'est pas question ici de devoir. Il est question de vice, de péché. La vérité, c'est que tu es un animal assoiffé de sang et de violence. Tu t'abreuves des coups portés et des corps déchirés, tu te délectes de la souffrance infligée et de la peur inspirée. Oh, bien sûr, tu ne chasses jamais que des démons. Ils ont amplement mérité leur sort. Mais tu sais qu'un jour ou l'autre, tu étendras ton horizon. Ce n'est qu'une question de temps. Tes pulsions sont à l'image de la peste corrompue qui te grignote inlassablement. Tu céderas et tu le sais.
Voilà. Ils étaient trois. Une affaire rapidement réglée. Tu leur es tombé dessus sans un mot ni un bruit, les ayant reconnu pour ce qu'ils étaient : des chiures infernales sous une apparence anodine. Tu es sorti des ombres pour les prendre par surprise, drapé dans
une tunique d'un noir corbeau, aussi longue que déchirée et remontée sur ta tête jusqu'à la noyer dans une pénombre insondable. L'effet les a empalés sur place, figeant leurs mouvements juste le temps qu'il t'était nécessaire pour les trancher de ta
faux d'obsidienne aussi grande qu'effilée. L'image de la Mort venue emporté les désignés est toujours aussi forte et toi qui préférerais être nommer le Veilleur est devenu l'Emporteur. Comme si ce terme presque infantilisant les rassurait. Comme si cette moquerie pouvait les sauver de ton courroux, de ton appétit de chair mortifiées. Tu la sens, cette érection qui te prend, n'est-ce pas ? Tu détestes ça, tu détestes que ton corps apprécie la brutalité et la mort. Plus le temps passe et plus tu te teintes à l'image de ceux qui te chassent. Immoral mimétisme.
Un jour, quelqu'un sera bien contraint d'emporter l'Emporteur. Et tu es presque fébrile à cette idée.
Excité.
++++++THE BATTLEFIELDTu sais comment cela est arrivé. Tu refuses simplement d'y penser, parce que tu es incapable de dire si ce que tu as accompli était un exploit ou le témoignage d'une bêtise insondable. Ce qui est vicieux, c'est que tu ne peux t'empêcher d'y revenir dès lors que tu chasses, que ce soit sur Terra ou sur Terre. Parce que tu ne chasserais pas si tu n'avais pas agi comme tu l'as fais.
On a put t'imaginer jusque là comme un déchu repentant, un ange désacralisé qui chercherait à laver la teinte grisâtre de son âme dans des flots du sang qu'il verse sur le macadam malpropre des rues. C'est ce que tu estimes être, mais tu n'aimes pas regarder la vérité en face quand il s'agit de la tienne. Ce que tu es, c'est un simple garde-fou. Une bien piètre cage retenant une bête féroce qui gratte inlassablement chaque barreau dans l'espoir d'arriver à en limer assez pour pouvoir passer au travers après une charge des plus furieuses. Lors de tes traques et de tes massacres, tu nourris la bête pour qu'elle se tienne tranquille. Ni plus ni moins.
Car la bête te dévore de l'intérieur et cela s'avère être bien plus qu'une simple métaphore littéraire. Ta chair spirituelle assure la retenue d'un appétit incommensurable, que tu n'apaises jamais qu'un peu en lui jetant les carcasses des siens en pâture. Peut on contenter l'estomac percé de la Famine ? Elle te grignote, suçant la moelle de ton corps de lumière. Et tu ne peux rien y faire. Plus la lumière t'abandonne et ta force vitale s'amenuise, plus tu t'enfonce sur la route pavée de ronces menant aux premiers Enfers.
Tu es pourri de l'intérieur.
Et cette corruption te gagne toujours un peu plus, seulement retardée par les ruines épaisses de ta prétendue moralité. Il y a pourtant fort à parier que Famine fait durer le plaisir. Un mets de choix, on le savoure sans le gloutonner.
Mais revenons à nos moutons. Comment tu t'es avancé -avec une certaine obstination- vers le bord du précipice qui t'attire irrémédiablement.
A l'époque, tu te nommais encore Serydiël et tu n'étais pas n'importe qui, il faut bien le dire. Les cieux doivent encore se souvenir de ton nom, les jeunes anges le prononçant avec crainte. Un peu de respect, aussi. Pfeuh ! Si ils savaient ! Avant que Lucifer ne chute et alors qu'il était toujours l'adversaire des Enfers et de ses rejetons, tu étais déjà là. Disciple du plus puissant des emplumés, apprenti du Commandeur absolu des armées céleste ! Michaël en personne ! On te prédisait un avenir des plus resplendissants, jalonné d'incroyables victoires emportées avec maestria contre le camp adverse. Cela, quelques millénaires durant, fut ta vie. Tu apprenais la stratégie et le combat auprès de ton maître avant de passer à la pratique en voyageant à travers les différents plans afin de te parfaire, de faire valoir ta place d'exception et ton nom. Les opérations les plus dangereuses étaient généralement ton choix d'accomplissement et tu mettais un point d'honneur absolu à les remplir à la perfection, te mêlant aux troupes que tu étais de plus en plus amené à commander alors que tu exposais tes nombreux talents. Personne dans les cieux n'aurait put te voler ça : tu étais aussi doué qu'obstiné, ce qui valu de nombreux revers à tes adversaires.
Quelle magnifique séraphin tu faisais, caparaçonné dans ton armure d'or et d'argent ! Quand bien même tu étais sali des giclées d'hémoglobine que ta faux avait libéré, tu restais superbe. Indécent de pureté, de puissance. Ton aura éclaboussait systématiquement ce dont tu t'approchais et ton maître Michaël ne pouvait éprouver envers toi que de la fierté. On disait que tu rejoindrais sans trop tarder le plus haut des cercles, celui de la Régence. Metatron en personne ne tarissait point d'éloge sur toi.
Le conflit était éternel. Il le sera toujours. L'apparition de l'Homme lui donna de nouvelles ramifications, fit naître d'impensables conséquences. Lucifel allât jusqu'à se révolter contre Lui et quand ses troupes déchues lancèrent l'assaut, tu étais présent. Tu croisa le fer avec le premier des traîtres, malheureusement contraint de laisser ta place à Michaël tandis que ce dernier t'ordonna de repousser les cohortes méphitiques vers les Enfers. Là encore, tu œuvras avec l'efficacité qui te caractérisait, galvanisant les troupes venues te prêter main forte par ton audace et ton implication dans le combat.
Quand Lucifer fut enfin repoussé vers les enfers, tu étais exsangue et ensanglanté, mais victorieux.
Dès lors, toute une légion te fut confiée. Une phalange d'élite constituée de vétérans, destinée à traquer et abattre les Déchus, ces anges qui s'étaient détournés de Lui et avaient soutenu Lucifer dans ses insensés projets de rébellion.
Ce rôle s'avéra te correspondre parfaitement. Nul n'aurait été plus efficace que toi, chasseur-né qui se complaisait dans la traque et le rendu expéditif de la justice. Combien de temps cela dura t'il ? Combien de Déchus te maudirent alors que s'ouvraient pour eux les Enfers ? Tu ne tins nul compte, mais ton palmarès compta parmi les plus importants.
C'est bien cela qui te perdit.
Un groupe de Déchus vint à bout de plusieurs de tes légionnaires, quelque part sur Terra. Des guerriers parmi les plus aguerris, ce qui alimenta ton incompréhension et ta colère. Qui osait faire à ta légion pareil affront ? Cela te semblait être une plaisanterie de bien mauvais goût et tu t'évertuas à en faire payer les auteurs, qui t'échappaient pourtant à chaque fois. D'un cheveux. Jamais plus qu'à cette période on ne put parler de traque de ta part, ton orgueil te poussant à multiplier les moyens employés et à grossir l'énergie jetée dans cette tâche ingrate. Il te fallait absolument retrouver les auteurs de ces forfaits pour les châtier, ce que tu parvins bien sûr à faire alors que tu les retrouvais dans une région qu'Il avait manifestement abandonnée.
Si les Déchus t'avaient si longtemps tenu en échec, ce n'était pas par hasard. Ils s'étaient adjoint les services d'une créature très puissante qui pouvait -comme tu le découvris en l'affrontant- te tenir tête. A toi ! Le plus prometteur des séraphins !
A mesure que tu combattais, tu comprenais que quelque chose n'allait pas. Tu le découvris avec horreur au fil de vos passes d'armes.
Ils t'avaient délibérément visé. Au fil de leurs attaques éclairs et de leurs pièges, les Déchus avaient réduit ta légion à une peau de chagrin qui t'avait accompagné jusqu'au bout... Pour tomber sous les coups de vos proies, presque misérablement, tandis que tu affrontais le démon. Et chaque légionnaire mort voyant sa substance vitale, son corps de lumière, absorbée par le démon ! C'est ainsi qu'il faisait croître ses forces pour prendre l'ascendant sur toi, dont il escomptait que tu deviennes son principal repas. Il se serait gavé de toi pour surpasser les plus puissants angéliques, les dévorant à leur tour comme l'incarnation de la gloutonnerie, pour pouvoir attaquer enfin le Ciel et le faire choir sur terre. Tu ne pouvais laisser cela faire, mais la domination du combat t'échappais. Alors tu tentas le tout pour le tout. Un geste d'un héroïsme digne de toi. Grâce à l'utilisation d'un sort d'une puissance incroyable, tu enfermas cette créature immonde nommée Famine à l'intérieur de toi pour l'empêcher de nuire.
Il est à parier que si la diabolique entité ne s'y attendait pas, elle trouva la situation simplement un peu inconfortable. Et encore.
Cela en revanche, tu ne le savais pas encore.
Tu remontas au Paradis, fier d'avoir ainsi arraché la victoire. L’accueil ne fut pas triomphal, non... Il fut plus glacé encore que les neiges éternelles recouvrant le Cocyte. Car Famine avait gangrené ton âme si noble dès l'instant ou elle avait été scellée, te corrompant dans ta moelle même. Plutôt que de te féliciter, on te conspua. On s'indigna de ta bêtise, quand bien même tu gesticula et déclama pour en expliquer la racine. En vain. Quel superbe accès de rage te prit là !
Michaël œuvra pour qu'on t'autorise à quitter le Paradis. La seule faveur qu'il te fit, te promettant que tu serais chassé par ceux que tu avais contribué à former. Cela te suffit et tu n'hésita pas avant de t'enfuir, disparaissant quelque part sur Terra pour te mêler à une humanité que tu eu besoin d'apprendre à connaître pour mieux t'y fondre. Pour délaisser symboliquement ton héritage angélique, tu adoptas le nom de Serydim. Plus tard, quand tu décida de t'établir sur Terre, tu deviendras Gabriel Night. Sobre et simple.
Tu fis montre d'un talent certain pour la fuite, la dissimulation. Alors que Famine suçotait -et suçote encore- ton énergie vitale, tu parvins à te constituer un semblant de vie et d'histoire en endossant divers rôles. Tu eu à affronter quelques anges étant parvenu à te retrouver, gagnant toujours contre eux. Se pensaient-ils sérieusement à la hauteur ?
Tu étais l'un des plus puissants guerriers, l'un des plus compétents. Ta chute ne changea nullement ces capacités innées à livrer combat, d'autant que tu avais conservé ta faux qui s'était ternie en même temps que toi, son pouvoir gravifique toujours intact. Heureusement pour toi, tu as également pu conserver l'
Ascalon, cette épée magique acquise des mains d'une déesse païenne et ayant le pouvoir de combattre seule. Une partie de ta magie te fut interdite, mais tu finis par découvrir que les Déchus avaient accès à des formes inaccessibles aux anges du commun. Pas forcément aussi puissantes, mais des plus utiles et des plus polyvalentes. D'autant que grâce à Famine, un répertoire de techniques démoniaque s'ouvrait à toi. En faire usage, tu t'y refusas d'abord. Et avec le temps, tu y pris goût. Comme quoi rien n'est jamais éternel, surtout pas la volonté.
Tes ailes pourrirent pour ne plus laisser qu'un peu de chair et énormément d'os. Si cela t'attrista d'abord, tu en lima les extrémités pour faire de ces reliques des armes à part entière. Superbe décision !
Tes combats contribuèrent à nourrir Famine, qui se gorgeait des énergies libérées par la mort violente infligée de ta main. Tu t'en aperçu sans vouloir le reconnaître, redoublant pourtant dès lors d'effort pour occire démons et autres créatures infernales. Soi-disant pour t'excuser auprès du ciel, officieusement pour contenter Famine qui te grignotait un peu moins, repus pour un temps de ces repas inopinés.
Le temps balayant nombre des croyances que tu estimais établis, tu devins finalement l'Emporteur pour le plaisir de laisser libre court à tes pulsions.
++++++THE THINGVoilà donc tout ce que tu es, Serydim. Un être sans identité établie et accepté, qui joue à se faire peur en trébuchant sur le fil ténu qui sépare le Très Haut du Très Bas. Un funambule qui ne cesse de se répéter que la chute n'est pas pour lui, sans se rendre compte que ses deux pieds battent déjà dans le vide.
Pathétique créature.
Splendide bouffon.
Moi ? Oh, moi... Je ne suis que ce qui veille sur l'Emporteur. Je suis ce bruissement imperceptible dans le noir.