«
La corde ! Attention ! »
Le sinistre craquement sonna comme le glas de l’ouvrier se tenant en bas de l’échafaudage. L’une des cordes permettant au monte-charges de fonctionner glissa des doigts d’un ouvrier qui venait d’éternuer, et le monte-charges tapa contre l’autre partie de l’échafaudage. Dessous, les ouvriers s’écartèrent en hurlant, mais un morceau de pierre, un gros bloc, tomba vers le bas, filant droit vers la tête d’un ouvrier. Dans ces moments, où tout défile à la vitesse de l’éclair, on était en droit de se demander ce à quoi une personne pouvait penser. Est-ce que cet ouvrier songeait au fait qu’il allait laisser sa petite fille et sa femme, malade, dans la panade ? Avait-il seulement le temps de rire de l’ironie de la situation ? Toute une vie broyée à cause d’un stupide éternuement... C’était une fin ridicule, idiote, mais qui, malheureusement, était souvent le cas de bien des fins. Ou peut-être n’eut-il le temps de penser à rien, alors que le bloc de pierre tombait. Il eut tout juste le temps de fermer les yeux, en serrant les dents, s’attendant au choc... Mais il n’y eut rien, rien d’autre qu’une ombre lui voilant les yeux.
Hébété, l’homme cligna des yeux, et vit alors une main, une délicate main féminine, qui tenait le bloc de pierre comme s’il s’agissait d’un simple gravier. Puis il vit un beau visage, des formes magnifiques, de longs cheveux bruns, et se demanda si une Valkyrie ne venait pas de débarquer... Si ce n’est que les Valkyries étaient censées être blondes, ou rouquines. Il remarqua alors que l’Ange volait au-dessus du sol, et qu’elle remuait ses magnifiques lèvres, comme pour lui parler.
Il cligna des yeux.
«
Pa... Pardon? -
Je disais, lâcha la femme en souriant.
Vous allez bien ? -
Euh... Oui... Enfin, je... Euh... Mais... »
Diana sourit à nouveau, puis s’envola alors, et s’adressa au responsable du chantier, qui se tenait en hauteur :
«
Vérifiez mieux les liens du monte-charges, quelqu’un aurait pu mourir par votre négligence ! -
Je... Euh... Oui, Ma... Madame... »
Lui aussi la prenait pour une Valkyrie. Diana posa le bloc de pierre, puis s’envola alors, un sourire sur les lèvres. Ayane était au repos, et elle, elle pouvait à nouveau voler. Ah, que c’était agréable ! L’élixir de Flumenol avait complètement soigné sa plaie, et elle était impressionnée par le talent de cet alchimiste. Wonder Woman s’envola donc, goûtant à l’air pur. Elle aurait bien été tentée de revenir rapidement à Acquelon pour soigner le malheureux soldat, mais Flumenol avait besoin de temps pour faire un autre élixir, plus efficace, et qui, avec un peu de chance, arriverait à sortir le soldat de son état de statue de pierre.
Elle inspecta entre-temps la muraille, et constata que cette dernière formait un large demi-cercle protégeant, non seulement Nemron, mais aussi de petits hameaux à proximité, reconnaissables avec leurs moulins ou leurs champs d’élevage. La muraille était séparée par des montagnes, mais, en réalité, les habitants de Nemron avaient construit des galeries à travers, et s’y enfonçaient. Diana était impressionnée par ce savoir-faire. La muraille de Nemron était ainsi une muraille unique avec des galeries souterraines. Elle vit les carrières et les exploitations minières, à flanc de ces montagnes, et comprit que chacune de ces montagnes était un accès vers les mines.
Assez rapidement, la réputation de la «
Valkyrie » se propagea, et Diana se renseigna davantage. On lui expliqua que la défense de la ville était assurée par une garnison humaine et naine. Les humains s’occupaient des parties externes du mur, et les nains des parties internes. On la laissa voir ces parties internes, composées d’un long pont avec des monte-charges sur la gauche, et des escaliers taillés dans le granit permettant de rejoindre des postes défensives, creusées dans la roche. Diana inspecta ces zones, quand une voix bourrue résonna dans son dos :
«
Le savoir-faire nain vous impressionne-t-il ? »
Cette voix appartenait à l’un des deux Maires de Nemron : le Maire nain,
Radowid. Nemron était dirigé par un Conseil municipal composé à parts égales d’humains et de nains, et dirigé par deux maires : un Maire nain, et un Maire humain. Généralement, ils se répartissaient les tâches entre l’administration de la ville et l’administration de la défense.
«
Je dois admettre que cette ville est très impressionnante, reconnut Diana.
Je m’appelle Diana Prince, et... Je ne suis pas une Valkyrie. -
Je m’en étais rendu compte, répliqua le nain.
Les Valkyries ne s’habillent pas ainsi. »
Il n’avait pas faux. Diana avait bien une armure, mais, généralement, elle préférait porter cette tenue, souple et agréable, même si elle ressemblait à une pin-up. Elle suivit Radowid, qui lui expliqua que Nemron était une ville puissante, centrale dans cette région, car elle permettait d’alimenter en pierres tous les forts et les fortins proches.
«
Notre région est loin d’être paisible. Entre les meutes de loups, les géants, les bandits, et les autres voisins... Jadis, les communautés humaines et naines étaient en guerre, mais, comme vous pouvez le voir, nous sommes parvenus ensemble à un accord. »
Diana se demandait bien pourquoi le nain lui racontait tout ça, mais, au moins, il ne cherchait pas à l’arrêter, ou à l’interroger. Ils s’avançaient le long des remparts.
«
Ces régions sont dangereuses, et... Vous êtes costaude, pour une humaine. Je me fous d’où vous venez, mais... Comme vous le voyez, nous renforçons nos remparts. D’après nos éclaireurs et les rapports des années passées, des géants risquent de revenir par ici prochainement. Votre aide pourrait nous être précieuse. »
Wonder Woman hocha la tête, en comprenant ce à quoi il pensait. Elle observa en suite le ciel, ses cheveux remuant dans son dos.
«
Je suis venue ici pour aider, Monsieur le Maire... Si je peux être utile, alors c’est avec joie que je vous accompagnerais. »
La nuit, un vent frais agitait la forêt de Nemron. Cette épaisse forêt entourait une bonne partie de la ville, et s’étalait sur des dizaines de kilomètres. On y trouvait des scieries, des refuges, des cabanes de chasseurs... Et quantité d’animaux sauvages, comme des sangliers... Mais aussi des créatures encore plus redoutables, qu’on ne trouvait pas sur Terre. Ayane poursuivait un sanglier, une belle bête, mais, alors qu’elle s’enfonçait dans la forêt, un terrible hurlement retentit dans la nuit, et le sanglier, qui buvait près d’un petit lac, releva la tête, puis fila à toute allure.
Ce cri appartenait à une bête terrifiante : le
yéti ! Et il était en chasse ce soir...