Est-ce que les mots de la guerrière avaient fini par percer dans l’esprit d’Ayane ? Des gouttes de sueur perlaient abondamment le long du front de Diana, qui reprenait progressivement son souffle. Le poison de la Gorgone agissait dans ses veines, et elle se tenait face à elle, en voyant que ses traits humains revenaient. Soit ses mots avaient fait mouche, soit se transformer en Méduse était épuisant pour Ayane. Diana restait à distance relative d’elle, en position de combat, mais en sentant la fièvre pointer en elle. Le poison se répandait dans ses veines, et elle devait faire quelque chose contre ça... Tout en surveillant Ayane. La Gorgone pouvait la tuer, elle en avait conscience, et, avec le poison qui circulait dans ses veines, Wonder Woman était encore plus faible. Elle avait besoin de repos, besoin de laisser le temps à son organisme de réparer ses blessures, de les panser. Au milieu des arbres ravagés, Ayane se releva lentement, et argua qu’elle était un monstre, et que Diana ne pouvait pas le comprendre, car sa propre famille voulait la tuer. Silencieuse, Diana l’écoutait, continuant à reprendre des forces, à se contrôler, à calmer les battements frénétiques et précipités de son cœur.
Ayane finit par arrêter le combat, et Diana sourit lentement. Elle se tenait la poitrine d’une main, à l’emplacement de son cœur, et commençait à respirer lourdement, comme une asthmatique.
« Je suis la fille de Zeus, Ayane... Ce statut particulier me protège, mais le venin d’une Gorgone est légendaire. Si je ne me dépêche pas, même moi, je serais transformée en pierre... Et, plus j’utiliserai mes pouvoirs, et plus le processus s’accélérera. »
Il n’y avait pas de mages qualifiés à Acquelon, elle allait devoir chevaucher à des lieues d’ici pour trouver un mage compétent, ou un temple antique. À bien y réfléchir, un temple antique serait le mieux.
« Dans la foulée, nous en profiterons aussi pour trouver un moyen de redonner à ce soldat que tu as transformé une apparence humaine... Car tu viens avec moi, Ayane. Si tu veux poursuivre le combat, c’est mieux... »
Wonder Woman venait de tendre sa carotte. De fait, elle ne voulait surtout pas laisser Ayane avec la population d’Acquelon, de peur de voir cette dernière perdre un jour le contrôle, et tous les tuer. Diana marcha donc vers Acquelon, traversant la forêt, Ayane à côté d’elle. Elle comptait partir dans l’heure à dos de cheval, dès qu’elle saurait où aller. Outre Ayane, la demie-Déesse n’oubliait pas qu’il y avait ici un Slime monstrueux à combattre, et, pour ça, l’aide d’Ayane pourrait aussi lui être utile... Mais il fallait encore réussir à sympathiser avec elle, et maîtriser ses ardeurs, les tempérer. Ainsi, tout en marchant, Diana entreprit de lui parler d’elle.
« Nous ne sommes pas si différents, tu sais... Je viens d’un peuple qui vit pour la guerre, et qui a toujours grandi avec la peur de l’Autre. Les Amazones de Themiscyra... Pendant des millénaires, mon peuple s’est isolé sur une île, se coupant du monde extérieur, et prétendait que les nouvelles Amazones naissaient la nuit, lors de prières communes menées par certaines de nos Amazones. Elles se couchaient ensuite sur une plage sacrée, en moulant dans le sable et l’argile un bébé, et, le matin, les Dieux, ayant entendu leurs faveurs, leur donnaient la vie. J’ai moi-même cru à ces légendes... »
Hippolyte, sa mère, lui avait dit que Diana était née ainsi. Elle lui avait expliqué qu’Hippolyte avait prié Zeus toute la soirée, sur la plage, le corps tourné vers la direction du Mont Olympe, puis qu’elle s’était ensuite couchée... Et, qu’au petit matin, les pleurs de Diana l’avaient réveillé. La vérité, naturellement, était beaucoup moins folklorique.
« La vérité, c’est que, depuis des millénaires, nous n’utilisions pas que nos compétences guerrières pour repousser des centaures devenus fous, des invasions du Tartare, ou d’autres évènements de ce genre... Nous chassions aussi les navires humains, ou même attaquions des villages côtiers isolés, soit pour voler des nouveau-nés, soit pour se faire féconder par des hommes, avant de les jeter dans la mer. Je viens d’un peuple qui ne prêche pas l’amour, Ayane, mais la haine de l’Autre... Car, malgré toute notre bravoure, et tout notre courage, les Amazones étaient fondamentalement de petites filles lâches et effrayées... Elles ont vu le monde extérieur comme une menace, et se sont tellement convaincus de la monstruosité des hommes qu’elles sont elles-mêmes devenues des monstres. »
Comment ne pas voir les liens avec Ayane ? Diana continuait à marcher, et sa main tenait sa plaie. Elle commençait déjà à sentir les rebords de la peau, autour de la plaie, se solidifier, se durcir.
« Nous sommes ce que nous choisissons d’être. Quand j’avais dix ans, à l’occasion de mon anniversaire, je devais rapporter un tribut à mon peuple. J’ai été à l’autre bout de l’île, dans une tour médiévale abandonnée, afin d’y chasser un puissant Minotaure, en me disant que sa tête décapitée serait un beau présent pour la Horde. J’ai défié le Minotaure, je l’ai farouchement affronté, et il a bien failli me tuer... Mais je le tenais en joue. Il était là, étalé devant moi, blessé, vaincu, n’attendant que le coup final... Et j’ai vu sa tête. J’ai vu ses yeux. Ce n’était pas ceux d’une bête, mais ceux d’un être terrifié, qui protégeait juste son foyer. J’ai réalisé que le monstre, c’était moi... Alors, je suis repartie en lui laissant la vie sauve, et c’est lui qui me l’a sauvé, bien des années après. »
C’était une histoire qu’elle ne racontait pas à grand-monde, et dont elle se souvenait toujours. La peur qu’elle avait ressenti face au Minotaure, face à l’idée d’être dévorée par lui, l’avait incité à se battre avec la plus grande des férocités, et, surtout, à se montrer impayable. C’est depuis cette époque que Diana se méfiait de la peur, et, surtout, de ce qu’elle entraînait, de ce à quoi elle pouvait conduire.
« Il y a en chaque individu une part de monstruosité, Ayane... C’est ainsi que la vie fonctionne. Tu es un monstre autant que je le suis. C’est à toi qu’il appartient de te racheter pour tes erreurs... Si tu ne sais pas quoi faire de ta lame, utilise-là comme moi, au service de la justice, au service des gens qui en ont besoin. »