Reikus et Rayne suivirent le chemin menant à la cour principal du château. C’était la place publique, celle où il y avait les pendaisons. Le gibet était dans un coin, et il y avait de nombreux gardes, probablement pour prévenir une éventuelle agitation. Rayne choisit de s’isoler contre un mur. Le peuple semblait nerveux, agité, fatigué, au bord de la révolte. La faim et la peur les tiraillaient, et ils attendaient du duc que ce dernier les soutienne, ce qui serait d’autant plus difficile que la popularité du duc ne cessait de diminuer. La malédiction des anciens propriétaires du Château-Lerouge continuait à peser sur eux. Le regard de la Dhampir s’attarda surtout sur l’un des hommes qui accompagnaient le Duc, une espèce de moine dans une longue robe blanche ornée ici et là de rouge. Rayne sentait quelque chose d’anormal chez cet homme, une puissance mystique qui n’en faisait pas qu’un simple prêcheur. Discret, l’homme ne dit rien pendant le discours du Duc, un discours empreint d’une hypocrisie seigneuriale faite pour rassurer le peuple, tout en annonçant la mise en place de mesures autoritaires. La Dhampir eut l’impression que le regard du moine se centrait sur elle et sur Reikus, et elle acquit alors la conviction que ses recherches devraient sans doute commencer par en savoir plus sur cet individu.
Le Duc Beauregard termina son discours en annonçant le retour rapide à la normale des choses. Un brouhaha commença à se répandre au sein de la populace, tandis que Reikus s’adressa à nouveau à la vampire.
« Ce n’est pas la loi martiale, mais ce n’est pas bien différent… Que se passe-t-il ici? »
C’était une question à laquelle Rayne n’avait aucune réponse concluante à fournir. Était-ce là l’œuvre de son père ? Elle peinait à le croire. Kagan était affaibli, faible, fuyant pour échapper à la colère de sa fille. A nouveau, elle en vint à se demander si elle ne sautait pas à pieds joints dans un traquenard tendu par son père. Ce mystérieux prêtre… Instinctivement, elle savait qu’il fallait se méfier de lui. Les religieux n’étaient pas des gens très ouverts d’esprit.
« Alors mademoiselle Rayne, que comptez vous faire maintenant ? » demanda-t-il.
Elle hésita sur la réponse. Elle n’eut toutefois pas le temps de la donner, car le brouhaha ambiant ne se tarissait pas, enflant et grondant de plus en plus.
« Nous voulons du pain, pas des cordes !
- Nous voulons qu’on chasse les brigands !
- Lâches ! Menteurs ! Tyrans ! »
La colère se mit à exploser, et le mot fut répété comme un leitmotiv fracassant.
« TYRAN ! TYRAN ! TYRAN ! »
Le people réuni grondait, exprimait sa colère, malgré les vaines tentatives du Duc d’instaurer le silence, le calme et la paix. Rayne, prudente, sentait la tension croître. Une émeute risquait d’éclater, et les archers sur les murs bandaient leurs arcs, tandis que plusieurs villageois invectivaient les soldats.
« Dispersez-vous ! » ordonna un soldat.
Le Duc, entre-temps, était parti, provoquant l’ire de la foule. On commença à jeter des cailloux sur les soldats en armure. Le peuple affirmait vouloir dormir librement, vouloir la nourriture du Duc, vouloir que ce dernier les protège efficacement. Le capitaine de la garde intimait le respect et le calme, mais n’obtenait rien. Des flèches furent alors lancées, tombant devant les villageois, mais l’un d’eux se rua vers le capitaine, sortant une lame. Le capitaine réagit au quart de tour, sortant sa propre lame, et tua le villageois d’un coup sec, faisant jaillir son sang. L’épée s’enfonça dans les vêtements rapiécés et rabougris du malheureux, et un moment de silence plana sur l’assistance, tandis que les portes du donjon livraient passage à une rangée d’arbalétriers.
« Rentrez chez vous ! La rébellion n’est pas acceptée !
- Assassin !
- Monstre ! Nous réclamons justice ! »
Loin de se calmer, la colère semblait enfler encore plus, et les arbalétriers pointaient ostensiblement leurs armes sur le peuple, jusqu’à ce qu’une voix se mette à jaillir de derrière eux.
« Baissez vos armes, soldats ! C’est un ordre ! »
Le capitaine se retourna, alors que, jaillissant du château, le prêtre en robe blanche s’avançait, s’appuyant sur un long bâton dont une lueur blanche émanait du sommet. Sans se démonter, le capitaine répliqua rapidement.
« Je ne reçois mes ordres que du Duc, moine, et pas d’une quelconque…
- Oseriez-vous nier l’autorité de Sa Sainteté ? Oseriez-vous prétendre, homme de peu de foi, qu’un mortel a plus de puissance en ces lieux que la force divine ? Oseriez-vous ?! lâcha le prêtre d’un ton sec et fort.
- Là n’est pas la question, je…
- Silence ! En vérité, je vous le dis, tout n’est qu’une question de foi, homme païen ! Vos cultes barbares, votre manque d’abnégation, votre refus de pitié… L’errance des ouailles, l’aveuglement du Juste, est la porte ouverte vers le péché et le Vilain. C’est l’absence de foi qui vous maudit, et c’est la Foi qui vous guérira ! Silence ! Oui, silence, car, quand le Divin s’exprime, les brebis écoutent ! Écoutez le message du Berger ! »
Le cristal du bâton du prêtre se mettait à briller dangereusement, et le capitaine se mit à reculer, s’écrasant devant le prêtre, qui s’approcha du corps de l’homme qui avait attaqué le capitaine. N’étant pas encore mort, ce dernier était toutefois proche de périr, et le moine avança à côté de lui.
« Je suis venu dans ces terres égarées sur demande de votre seigneur, et j’y ai constaté le même maléfice qui, depuis l’aube des temps, ravage notre existence, Le fléau des impies, le cauchemar de ceux qui ont décidé de vivre dans l’ombre, qui ont l’arrogance de se substituer aux autorités divines, aux prescriptions totales. Je suis venu guérir ce peuple, je suis venu vous montrer que, tant que la Foi existera, alors la Vie triomphera. Car il n’est pas de vilenies et de mensonges soutenables devant l’Autorité supérieur. Repentez-vous de vos vices dans cette vie, car, quand l’Heure du Jugement arrive, il sera trop tard. »
Du cristal du prêtre, des espèces de nimbes blanchâtres se mettaient à tournoyer autour, enveloppant le prêtre d’une aura blanchâtre, éblouissante, tandis que le moribond voyait ses blessures se cicatriser rapidement. Les yeux du prêtre se mirent à luire d’une intense lueur immaculée.
« Les frontières importent peu, car, là où il y a de la Vie, l’Ordre Immaculé se tient, et n’abandonne jamais les siens. Même l’impie est créature du Seigneur. Je vous le dis, vous devez vous repentir, car c’est de vos propres maux que sont nés les maléfices qui s’abattent sur ces terres. Ne cherchez point de martyrs à blâmer, vous êtes tous des coupables ! »
Muets, soldats et villageois écoutaient les propos du prêtre, dont le sort de magie blanche avait soigné le moribond. Rayne restait dans son coin, pestant contre cette espèce de fanatique.
« Il… Il l’a soigné !
- C’est… C’est un miracle !
- N’ayez pas peur des loups, des fantômes, des goules, et des autres monstres se terrant dans l’ombre, car ils ne font que fuir la puissance de la Lumière ! Repentez-vous, je vous le dis ! »
Le prêtre brandit son bâton, et, depuis le cristal, un colonne de lumière blanchâtre jaillit, intense et furieux. Il s’éleva comme une épée en l’air, et perça les nuages. Un rayon de soleil jaillit alors sur le prêtre, achevant de convaincre les sceptiques, qui mirent un genou à terre. Excédée, Rayne entreprit de rapidement s’éloigner. Sur Terre, il était classique de voir des prêtres faire leur petit numéro, mais, sur Terra, le numéro était, du fait de la magie ambiante, encore plus abouti. L’Ordre Immaculé était le plus puissant ordre religieux de Terra, présent partout, même sur Tekhos. Il avait sans doute les moyens de disposer de cristaux magiques aussi puissants que celui-ci. La Dhampir se retira, réalisant alors ce qu’elle devait faire.
« Je pense que je vais me renseigner sur la présence de l’Ordre ici… annonça-t-elle à Reikus. J’ai l’impression que tout ça dissimule quelque chose… »
Comme la présence de son père, mais elle n’avait pour l’heure que des soupçons. Néanmoins, à l’idée de revoir Kagan, Rayne sentait ses lames la démanger.