Café, thé, chocolat. Trois incontournables, auxquels on pourrait rajouter quelque sirop ou autre mixture moins essentielle, moins évidente. Ce sont généralement ces trois mots là que l’on entend le plus souvent lorsqu’on se rend chez quelqu’un qui ne connait pas vos goûts. Parce que le café, c’est un classique. Apprécié de beaucoup, ceux qui ne l’aiment pas ne peuvent toutefois bien souvent pas le supporter. Le goût âpre et amer peut primer sur la force tonique et ensorcelante de ce mélange noir, plein de profondeur et d’essences. Il peut se faire rafraichissant, léger et désaltérant, clair comme de l’eau de roche et au goût très pur. On peut également le rendre doux, à l’acidité à peine prononcée sans la moindre marque d’amertume, où la satisfaction et le soulagement de la boisson priment. Mais qu’on ne s’y trompe pas, il est parfois fort, agressif, plein d’une passion que peu se targuent de supporter. Un apport trop important en goût fera naitre une certaine aversion de la pourtant si bonne odeur d’une tasse fumante de café. Les ridules à la surface, la mousse mordorée qui s’efface peu à peu devant l’océan sombre, relevé parfois d’un nuage blanchâtre en ternissant la perfection de sa robe. Le goût passe avant tout par les yeux. Bref, il se décline à l’infini, avec autant de provenances que de destinations, avec tant de variations que bien malin celui qui pourra affirmer connaitre cette boisson et son goût si lunatique, au gré des saisons, des préparations et du lieu d’extraction. Véritable boisson de société, le café s’impose comme l’incontournable, l’inégalable. On le prépare, de fait, sans réellement penser que certains palais ne s’y retrouvent pas. On le croise sur toutes les tables, sur toutes les lèvres, et pourtant Andrea, si elle est passionnée par son fumet grisant, ne peut supporter la boisson.
Le thé, boisson mondaine. Plus raffiné, plus recherché, son arôme est préservé dans certains cercles privés, dans des communautés tournées vers les plaisirs d’une culture passée, vers le respect des traditions. C’est du moins l’image qu’on lui donne, à tort parfois. C’est avant tout le parfum idéal, ni trop fort ni trop pauvre, pour alimenter une pause, une discussion comme celle que Law et Andrea avaient eu la veille au soir. Convivial et à la fois discret au palais, le thé sait se faire oublier tout comme il parvient à se faire apprécier à sa juste valeur, tout en mettant les buveurs au centre des attentions. Pas facile, pourtant, de lui faire trouver sa place en termes de caractère et de passion, cette boisson étant d’avantage celle d’une ambiance posée, tranquille, à l’univers propice au calme. On l’associe alors toujours au temps, qu’il faut prendre, qu’il faut céder pour en profiter comme il convient. C’est alors avant tout une mission rafraichissante dont il est doté, accompagnant certains plats à merveille et se mariant pertinemment, encore une fois, aux moments de la journée qui n’acceptent pas une autre boisson. On peut y lire à travers, le rendre aussi opaque et fort que son conjoint l’admet. Lui aussi souffre de tant de déclinaisons, essentiellement basées sur le dosage, qu’il est difficile d’en parler au singulier et d’en admettre une seule sorte. Toujours est-il qu’il permet aux corps de se délasser, aux langues de se délier ; c’est la boisson de la rencontre, du temps que l’on sacrifie à connaitre, des minutes que l’on prend pour soi et pour l’autre, dans un échange mutuel et équitable d’appréciations.
Le chocolat, ah le chocolat ! Aphrodisiaque incontournable, c’est avant tout la boisson de l’enfance, les saveurs des souvenirs, le goût de la nostalgie. Savant mélanges de différents ingrédients, il peut s’accompagner et se créer de tout, le rendant aussi amer que possible ou au contraire étouffant de sucre. On le décline en trois couleurs, toutes souffrant d’une base différente de mélanges et de mariages, tous plus réussis les uns que les autres. C’est l’invité principal de la fête, et en boisson il s’impose comme l’ami chaleureux qui vous prend de l’intérieur, vous impose sa douceur et le brûlant de son parfum pour vous envelopper d’un écrin réconfortant. C’est ce liquide épais qui coule dans la gorge, délaissant toute notion du bon pour la supplanter. Clair, foncé, doucereux ou relevé, il n’y a rien de plus efficace pour calmer un enfant ou faire vivre à quelqu’un des moments qu’il a inévitablement passé. En y faisant flotter des icebergs colorés souvent remplis de sucre, en le buvant, fasciné par un écran captivant toute l’attention avec ses rires et ses mouvements remplis du dynamisme de l’enfance. Ou tout simplement en le savourant quand il sort du feu, le plus vite possible quitte à se brûler, simplement pour ne pas laisser fuir la moindre délicieuse odeur qui flotte dans l’air d’une cuisine. Andrea, c’était surtout ça. Les souvenirs de Finlande avec sa mère, dans leur petit appartement transpirant le froid en hiver. Tous les jours, cette douceur ramenait en son cœur de petite fille un peu d’espoir et de réconfort. Moment partagé uniquement entre elles, la gamine devenue grande gardait une affection toute particulière pour cette boisson onirique que peu s’avouaient boire une fois devenus adultes.
Café, thé, chocolat. Trois incontournables, qui naissaient souvent de la bouche d’un presque inconnu, au réveil d’Andrea. Combien de fois elle s’était entendue proposer ces trois mots, alors dépourvus de saveurs et de promesses, quand elle s’éveillait tant bien que mal dans un environnement inconnu ? Cela résumait bien ses nuits passées dehors, quand elle acceptait de s’offrir aux envies d’un autre en échange d’un peu de gentillesse et surtout d’un toit où tenter de s’endormir. Comme elle ne réitérait que rarement les expériences, pour le plus grand soulagement de ses hôtes d’un soir, souvent dépassés par l’affection inutiles de précédentes donzelles, Andrea s’entendait toujours proposer la même chose. Simple phrase qui la rappelait à la réalité de l’inconnu, celui se trouvant alors en face d’elle, la cafetière à la main, ne sachant strictement rien d’elle. Ce simple détail l’agaçait, la rendait folle de remontrances à son égard d’avoir encore plongé dans un univers de charité et de simple plaisir pour l’autre. Alors, souvent, sa réponse restait évasive et elle repartait sans rien avoir bu. Hors de question qu’elle se délecte de quelque chose cher à son cœur dans un environnement pesant et embêté, en compagnie d’un homme qui n’attendait qu’une chose : qu’elle lui dise qu’il n’y aurait pas de lendemain. Et la jeune fille le lui promettait. Il était beau, le prince sur son cheval blanc, si attentionné dans un seul but. Ce qui n’était apparemment pas le cas de Law.
Presque inquiétant, d’ailleurs. Lui, respectueux et prévenant ? Cela ne semblait plus si impossible, pourtant Andrea en venait à douter légèrement sur la nature de ses envies à lui. Il aurait pu avoir l’occasion. Il le pouvait encore, et pourtant ce ne fut absolument pas le cas ici. L’homme d’une trentaine d’années se contentait de s’inquiéter pour elle et son appétit, qui d’ailleurs commençait à se réveiller au fur et à mesure que sa conscience émergeait. Toujours un peu lente le matin, bien que cette fois-ci ce fut d’avoir si bien dormi, Andrea ne remarqua pas immédiatement le statut de l’homme qui entrait dans la pièce. Ce ne fut le cas que lorsqu’il s’agenouilla, présentant aux deux personnes encore installées sur le lit un plateau lourdement chargée. Il y avait de tout, et plus encore. Andy laissait ses yeux découvrir des formes qu’elle reconnaissait sans mal, et d’autres qui lui étaient parfaitement inconnues. De tout, pour tous les goûts, même ce qu’il y aurait pu être saugrenu pour un petit déjeuner, à savoir de la viande. C’est là qu’elle remarqua le collier, mais alors qu’Andy s’apprêtait à grimacer de surprise, Law la quitta et récompensa son serviteur, qui du reste ne semblait pas peureux ou surpris, ni même angoissé d’être là. Normal, donc. Voilà qui rentrait bien dans les notions qu’Andrea se faisait des valeurs. Servir, sans toutefois faire souffrir pour le simple plaisir. Après tout, un royaume qui tient debout commence avant tout par la satisfaction des plus basses classes, tandis que le pouvoir absolu et tyrannique ne fait que rendre l’ensemble plus instable.
- Tout ça ...
Andrea ouvrait des yeux ronds sur le gigantesque paysage gustatif qui s’offrait à ses yeux, et duquel elle ne savait pas bien quoi extraire. Lorsque Law commença à manger tout en prenant la parole, toutefois, Andy suivit son exemple. Elle se saisit du pain et d’une confiture violette qui avait l’air d’êtres aux fruits rouges, valeur sûre. Croquant avec appétit, la jeune femme écoutait Law tout en tentant de ne pas afficher sa surprise avec trop de véhémence. Effectivement, il n’y avait pas grand secret là-dedans. Une vie saine lui permettait de rester ainsi, de narguer le sommeil et de l’éviter sans peine tout en y cédant le lendemain. Logique. Pourtant, Andrea s’imaginait mal suivre un tel rythme avec autant d’efficacité sans s’effondrer. Et d’ailleurs, il était évident qu’elle ne le ferait pas. Ceci-dit, le repas lui plaisait largement. Après un regard curieux vers les fruits qu’elle ne connaissait pas, Andy en saisit un aux couleurs criardes et à la peau lisse et ferme pour croquer dedans, découvrant alors un doux mélange de sucré et d’acide, qui laissa sur ses lèvres un léger picotement pas vraiment désagréable. Intéressante, comme découverte. Grignotant bout par bout le reste du fruit, elle reporta son attention sur une des deux tasses que son interlocuteur désigna comme étant pour elle, remplie de simples mots qui la firent frémir. Du chocolat. Sans lui demander. Il avait tout bon, bien évidemment, et la jeune femme y plongea avec plaisir ses lèvres, savourant le goût extrêmement riche qu’elle découvrait dans un simple récipient.
Là encore, elle le laissa parler de lui. De ce qu’il lui montrerait, de ce que lui avait découvert, dans la religion, notamment. Et, bien qu’Andy n’ait encore en tête que la référence de son dieu à elle, vaguement celle des anciennes divinités japonaises qu’elle connaissait mal, elle avait du mal à imaginer un tel concept dans la vie de Law. Oui, ici ce n’était pas la même chose. Bien sûr qu’il pouvait se dérober à ses aprioris à elle qui n’étaient pas les bienvenus, briser une image pour en reconstruire une autre. Mais cela restait inattendu et presque surprenant, d’imaginer cet homme qui se détachait de tout relié à une croyance qui prendrait une place tout de même importante ... Puis il se tut, enfin. Andy s’amusait de le voir ainsi tout déballer d’une traite, ne lui laissant pas même le temps de répondre avant qu’il n’estime avoir terminé. Et il la fixait seulement maintenant, tandis qu’elle buvait une gorgée de plus, assise au bord du lit, les pieds croisés l’un devant l’autre, son visage respirant la satisfaction. Alors seulement elle prit la parole, gardant sa tasse entre ses mains, se réchauffant ainsi le corps tout entier.
- En ce qui concerne le sommeil, je suis d’avantage habituée aux insomnies forcées, ça doit être pour ça que je me montre si surprise devant quelqu’un qui a besoin de si peu. Se tourner des heures dans un lit sans pouvoir arrêter de penser, ne serait-ce qu’un instant, c’est épuisant. Je dors très peu, mais je consacre beaucoup de temps à essayer de croire que je peux le faire. Ceci-dit, cette nuit je me suis effondrée comme une masse. Peut-être la très étonnante sensation de sécurité qu’il y a à être ici, finalement.
Et c’était vrai, aussi étonnant que cela puisse paraitre. Se sentir protégée par des murs ou des hommes n’était rien, puisqu’Andy ne craignait pas grand-chose chez elle, sur Terre. Mais il lui fallait fuir ses peurs, ses angoisses, qui ne se réveillaient que dans ses cauchemars. Elle crut bon également d’ajouter quelques mots sur sa conception à elle de la religion.
- Sinon ... Je ne crois en pas grand-chose, à peine en l’être humain et depuis peu seulement. Comme tu as sans doute pu le remarquer je suis peu optimiste, et imaginer que l’on peut compter sur quelque chose en quoi il faudrait placer sa confiance, ça ne m’a jamais convaincu. Que ce soit pour les dieux ou pour les hommes.
Mais cela pouvait changer, et était d’ailleurs en passe de se faire. La jeune femme ne releva pas l’idée d’aller à Nexus, mais elle avait hoché la tête lorsqu’il l’avait évoqué, donnant d’ores et déjà son consentement. Puis, ce fut la gourmandise qui la rattrapa et elle but une nouvelle gorgée avant de s’aventurer en précisions.
- Et ... Je trouve tout cela délicieux. Parfaitement choisi, pour la boisson. Pour ce qui est de mes autres habitudes ou quelque détail que tu trouverais important, je te laisserai me demander.
Après tout, c’était un peu nouveau de se sentir intéressante et Andrea n’avait pas spécialement envie de parler à tort et à travers, préférant de loin répondre aux interrogations qu’on lui adressait. Et c’est seulement après, laissant le silence s’installer quelques instants, qu’elle se leva, reposa à terre sa tasse et fit allusion à la suite des évènements. En effet, une bonne douche n’allait pas être de refus. Loin de là. Seulement ...
- Vas-y d’abord.
D’ordinaire, ça ne la dérangeait pas. Mais ici, maintenant, Andy s’était sentie obligée de préciser cela. Parce que la désinvolture de Law semblait cacher son inquiétude de tout à l’heure, parce qu’elle ne voulait pas banaliser tout et n’importe quoi comme elle le faisait d’ordinaire. Donner un sens aux choses devenait important, depuis quelques heures. Aussi le regarda-t-elle acquiescer et se diriger vers la porte. Elle le suivit des yeux, et avant de refermer la porte sur lui, elle le vit tourner un peu plus loin dans le couloir, à peine à quelques mètres de là. Puis, claquant doucement le battant, la jeune fille se laissa glisser le long du bois dur et s’assit par terre, un peu soufflée de son attitude. Que lui prenait-il, à hésiter, à se comporter comme une gamine ? Ce n’était pas vraiment son genre, d’autant plus qu’Andy était venue ici guidée par l’envie d’essayer, de vivre les choses pour en ressentir les conséquences. Et ici, un challenge intéressant se présentait qu’elle déclinait aussitôt, par simple peur ? Hors de questions qu’une simple petite appréhension lui impose des remords et une image d’elle-même que la jeune femme n’aimait pas. Aussi se releva-t-elle promptement, saisissant avec détermination la poignée. Il était temps d’essayer quelque chose de nouveau. De totalement inédit.
Avançant dans le couloir, Andrea ouvrit sans bruit la porte de la salle de bain, la refermant derrière elle avec autant de discrétion, du moins l’espérait-elle. Law y était déjà depuis de longues minutes, aussi le bruit de l’eau couvrit-il son entrée maladroite. Andy inspira avec force et, prestement avant de changer d’avis, se débarrassa de son pantalon et de sa chemise, se trouvant ainsi largement dévêtue mais encore protégée de deux bandes de tissu noir, assez simples au demeurant. Seuls quelques passages plus fins étaient accompagnés d’un liseré nacré, le reste étant simple, fonctionnel, efficace. Andrea ferma les yeux comme pour faire fuir les pensées qui virevoltaient sous son crâne et, les rouvrant, se dirigea d’un pas décidé sous le jet d’eau qui l’attendait. Il allait peut être se trouver surpris de son inconstance, mais c’était important pour la jeune femme que de sentir ainsi son cœur pulser sous l’ampleur que prenait une simple petite chose, pourtant assez bénigne, ici et maintenant. Et même si ça n’était rien pour lui, Andrea faisait un grand pas en avant en cet instant. Et même si elle semblait ridicule ainsi à moitié habillée, ce n’était pas si grave. Peu importait qu’il la suive. En rentrant sous la douche, Andy ne put toutefois masquer totalement sa gêne, en parlant dans un moment qui n’était sans doute pas propice à cela.
- Finalement ...