Nathan eut la surprise de sa vie. Lorsqu’il allait se relancer pour traquer Dai, il vit qu’il y avait devant lui... Une espèce de silhouette féminine ferme et solide, mais qui semblait... Faite d’ombres. Il cligna des yeux, incrédule, ayant l’impression que l’ombre l’observait, et pensa immédiatement à Eyia. Il l’avait senti, en sa compagnie. Cette femme avait en elle quelque chose de magique, de troublant et de mystérieux. Et ses servantes... Elles étaient encore plus mystérieuses qu’elle. L’ombre ne s’attarda pas trop, et se déplaça alors, rejoignant l’ombre de Dai, le faisant trébucher. Il n’y avait plus qu’eux dans l’entrepôt, les autres ouvriers ayant préféré partir. Nathan vit Dai se tortiller sur le sol, l’ombre se mettant à l’envelopper, étirant son corps pour l’étouffer. Il gémissait en se tortillant, et Nathan cligna des yeux, déglutissant faiblement. Très curieusement, le flic se sentait étrangement excité par cette scène... Elle portait la marque d’Eyia : élégance et sauvagerie.
*Merde, elle va le buter, putain !*
Il secoua la tête, repoussant ses pulsions primaires, et allait dire à l’ombre de se calmer... Quand cette dernière se déplia, libérant l’homme, qui gémissait faiblement sur le sol. Nathan s’élança vers Dai. Il avait les yeux vitreux, et sombra dans l’inconscience. Il tâta son pouls. Il vivait, ce que l’ombre lui confirma. Il la regarda. Quelle était cette créature ? Une ancienne femme transformée en ombre ? Une incantation magique ? Il aurait du se sentir angoissé, mais, en réalité, il se sentait plutôt attiré. Elle lui expliqua qu’elle vivait dans son ombre, et, naturellement, Nathan regarda la sienne.
*Dans mon ombre ?*
Il en avait un léger frisson, puis la regarda à nouveau, intrigué. Elle lui avoua qu’Eyia prenait cette histoire très à cœur.
« Ça, je veux bien y croire, avoua-t-il. J’ose me dire qu’elle a couché avec moi parce qu’elle me trouve à son goût, mais le fait qu’elle envoie une de ses femmes pour me suivre m’indique qu’il devait aussi y avoir de l’intérêt là-dedans... Mais je serais de mauvaise foi en prétendant que je n’étais pas attiré par son corps. »
Il ne se faisait pas trop d’illusions. Il s’était engagé avec cette femme. Il s’était engagé à rompre toutes les lois qu’il connaissait pour la satisfaire, et elle avait envoyé une ombre pour l’aider... Mais elle savait de quoi il était capable. En quoi une ombre pourrait-elle aider un tel monstre ? Pour lui, elle était plutôt là pour s’assurer qu’il ne ferait aucune erreur. Il se pencha vers Dai.
« Évitez les excès de zèle, à l’avenir. Ce type n’est pas votre voleur, mais il sait qui nous y a mené... »
Il parlait à une ombre... Était-il en train de devenir cinglé ? Il avait tendance à le croire, à force. Il entreprit de soulever Dai, quand il entendit du bruit derrière lui. L’ombre disparut immédiatement.
« Tout va bien, inspecteur ? »
C’était le caissier, qui lui avait dit où se trouvait Dai. Nathan déglutit, et répondit rapidement.
« L’homme a fait une tentative de suicide... Mais il est maîtrisé. Je vais l’emmener avec moi au poste.
- Okay... »
Il espérait que le caissier n’en parlerait pas trop, car Nathan ne comptait pas l’emmener au poste. Dans la mesure du possible, il fallait éviter d’impliquer sa hiérarchie. Autrement, la situation serait ingérable. Il doutait toutefois que le caissier parlerait de ça... Si Dai était lié au crime organisé, le silence était le maître-mot. Nathan souleva Dai par l’épaule, et s’avança. Le caissier hésitait à l’aider, puis finit par le faire.
« Dai... Il n’est pas méchant, vous savez... lâcha alors le caissier.
- Vous m’en direz tant... »
Ils allèrent sur le parking, et le glissèrent à l’arrière, Nathan lui mettant, par prudence, des menottes autour des poignets, avant de le maintenir assis.
« Il... Je sais pas si... »
Nathan se retourna légèrement.
« Vous n’auriez pas quelque chose à me dire ?
- Ben... C’est que je l’aime bien, Dai, et...
- Écoutez, je n’ai rien contre ce type, d’accord ? Mais il sait des choses sur des types que je pourchasse. J’ai rien contre lui, mais, d’un autre côté, si vous savez des informations, et que vous refusez de les délivrer, je...
- Ça va, ça va, je connais la rengaine... » grogna-t-il en levant les bras.
Regard nerveux, à gauche et à droite. Nathan se disait que, si ce type refusait de parler, l’ombre pouvait s’énerver, et l’agresser... Il se massa l’arrière de la tête.
« Dai a fait dans les combats de rue illégaux, il y a quelques mois, expliqua alors Dai. C’est pour ça que ça m’étonne que vous l’ayez ceinturé aussi rapidement, c’est un costaud, et...
- Je suis inspecteur, pas boy scout.
- Ouais, z’avez sans doute raison... Bref... Le fait est que Dai a eu pas mal d’emmerdes, avec des matchs truqués, et toute ces conneries... Il avait besoin de fric pour sa famille, vous savez... C’est un mec bien, pas une pourriture qui vend de la drogue à des gosses, et des vidéos pornos... Et, ici, on a pas vraiment les moyens d’avoir un agent de sécurité, alors, enfin, vous voyez le truc, quand on a des problèmes...
- Je vois. Bref, épargnez-moi les conneries habituelles, et allez droit au but. »
Il se mordilla les lèvres.
« Dai devait se coucher, une fois, mais il a refusé de le faire, okay ? Il a rétamé ce mec, un uppercut qui lui a fait péter deux dents ! Putain, j’vous jure, elles ont jailli comme des boutons de champagne, et... Okay, okay ! fit-il en voyant Nathan s’impatienter. Ce qu’j’veux dire, c’est qu’il y avait une belle somme là-dessus, et que ces sponsors, ben, y z’étaient vraiment pas contents... Et, vous savez, dans ce milieu, ça plaisante pas avec le pognon, okay ? J’sais pas ce qu’Dai a fait, mais, s’il est trempé dans une sale histoire, c’est probablement parce qu’il a pas le choix, vous voyez... »
Nathan hocha la tête. Il voyait. Il remercia l’homme, et, à tout hasard, lui précisa que, si jamais l’enquête évoluait, il pouvait être appelé à délivrer une attestation... Ce qui, naturellement, n’arriverait jamais, vu que Nathan ne menait aucune enquête. Il espérait juste que le caissier n’irait pas au commissariat pour essayer d’en savoir plus sur Dai. Mais, vu son profil, il y avait peu de chances. Nathan grimpa dans la voiture, et démarra rapidement, en profitant pour consulter son portable. Aucun message. Tant mieux. La hiérarchie devait croire qu’il cuvait son vin. Il s’engagea sur la voie rapide, et se mit à parler tout seul, sachant qu’une ombre devait l’écouter.
« On ne va pas au commissariat. Je connais un coin tranquille au port... »
Le policier roula rapidement, sans excéder les limitations kilométriques. Il rejoignit le port, et s’engagea dans un coin assez discret. Il y a quelques jours, la police avait trouvé tout un atelier de production pornographique clandestine, ainsi qu’un bordel illégal. Il y avait encore les scellés, et l’endroit était désert... Et rempli d’ombres. Il sortit de la voiture, s’assura qu’il n’y avait personne d’autre que des mouettes et des sirènes de navires, puis enjamba les scellés. Il descendit des marches d’escalier grisâtre, prenant son temps pour ne pas tomber, et avança dans une série de couloirs avec des petites chambres dont l’accès était recouvert par des rideaux poussiéreux. Il alla dans une pièce, et posa l’homme sur une chaise, coinçant ses bras derrière le dossier. Nathan se retourna ensuite, et attendit que l’ombre se matérialise à nouveau.
« Permettez... » demanda-t-il alors.
Dai était encore dans le coma, et il aventura ses mains le long de son cou... Il s’attendait à glisser ses doigts à l’intérieur de son corps, mais sentit quelque chose de solide, qui le fit frissonner. Sa peau était douce, légèrement froide, et il se rappelait encore son corps se contorsionnant autour du corps de Dai... Un singulier spectacle, qui lui provoqua un frisson. Il récupéra sa main, ayant conscience qu’elle s’était attardée un peu trop longtemps.
« Désolé... Je n’ai pas l’habitude de discuter avec une ombre vivante... Alors... Vous servez Eyia ? Vous êtes une ancienne humaine, quelque chose comme ça ? »
Mieux valait satisfaire sa curiosité. Il ressentait des frissons, dont il connaissait l’origine... Cette ombre avait des traces d’Eyia, et excitait la Bête en lui... Et donc lui.