Personne, pas même Fortune elle même, ne sait vraiment ce qu'elle est, ni comment elle est venue au monde.
Elle fut simplement trouvée, à l'état de nourrisson, devant la porte d'un paysan d'Ashnard, alors que celui-ci sortait à l'aube pour aller faucher son blé avec son fils ainé. L'enfant était paisiblement endormie, emmitouflée dans un drap, sur lequel on était simplement brodé le nom "Fortune". L'homme n'hésita pas bien longtemps avant de prendre le marmot dans ses bras avec précaution pour le ramener à l'intérieur, pestant à voix basse contre les irresponsables et les sans cœurs qui abandonnaient leurs mioches. Il prit à peine le temps de jeter un œil au sexe du bébé - une fille - avant de le confier à sa femme et de partir s’esquinter dans son champ ; les temps étaient durs, pas l'temps d'niaiser.
Tandis qu'il suait en compagnie de son fils sous le soleil à peine levé, il ne cessait de penser à cette enfant ; une bonne nouvelle quelque part. C'était une bouche supplémentaire à nourrir, mais aussi la première fille d'une série de six enfants. Ça rendrait sûrement sa femme heureuse, ça. Et puis bientôt les autres garçons seraient en âge de bosser un peu... les choses devraient aller en s'améliorant... il lui faudrait un prénom, tiens, à cette petite... le rustique n'ayant jamais appris à lire, il n'avait même pas songé à tenter de déchiffrer la broderie sur le linge de la petite. Alors... Hélène, Estelle, Élise, Éloïse... tout ça ça sonnait bien pour une fille.
" Allez grand, j'pense qu'on a bien bossé pour aujourd'hui... "
Il était un peu plus tôt que l'heure à laquelle ils avaient prévu de rentrer, mais le jeune homme ne le releva pas, lui aussi impatient de retourner voir la nouvelle venue de plus près, et pas fâché de pouvoir s'économiser un peu.
Le prénom d’Élise plut à tout le monde, et la petite fut baptisée ainsi. Un prénom, un passage dans les bras de chaque membre de la maisonnée, et hop, elle faisait partie de la famille.
En quelques années, Élise devint une petite fille à la fois joyeuse et serviable. Son visage angélique encadré par une chevelure blonde étincelante, ses yeux bleus non moins étincelants et sa nature conciliante lui attirèrent rapidement la sympathie du village tout entier, ainsi qu'un amour immodéré de la part de ses parents et frères. Toutes ces années les récoltes furent bonnes, et le hameau prospéra. La famille de la fillette, tout particulièrement, commençait à sortir de la misère en vendant une partie de ses abondantes récoltes au marché de la ville la plus proche. L'homme de la maison avait finalement fait déchiffrer les broderie du drap lors de l'un de ces passages à la ville, par curiosité... "Fortune". Comment ne pas devenir superstitieux après une telle découverte tiens ? La nouvelle s'était répandue rapidement dans le village, faisant murmurer au passage de la jeune fille - bien que sans malveillance la plupart du temps, et déclenchant des débats passionnés entre rationnels et mystiques.
Le débat ne fut jamais tranché et resurgit régulièrement alors que la petite grandissait, peu affectée par ces théories qui la faisaient rire de bon cœur.
Lorsqu'elle atteint les dix-neuf printemps, Élise épousa un homme des plus terre à terre : un marchand ambitieux, qui de son commerce déjà rentable ne semblait pas satisfait et se promettait de tirer une véritable compagnie commerciale. Elle l'avait rencontré trois ans plus tôt sur le marché de la ville, alors qu'elle accompagnait son père qui s'y rendait pour vendre son blé. Celui-ci, alors âgé de vingt-quatre ans et attiré par le charme enjoué de la demoiselle, se mit en tête de la séduire - car un homme puissant doit avoir une belle épouse, et il n'avait vu que peu de demoiselles pouvant rivaliser avec la femme qu’Élise était devenue : de taille moyenne, les hanches pleines, la taille mince et souple et les formes assez prononcées... tout son être exprimait la féminité. Ses cheveux avaient persisté dans leur blondeur, tout comme sa peau semblait être restée celle d'un nouveau né. Ses traits étaient doux et harmonieux, ses lèvres pulpeuses ; le genre de lèvres que les hommes ont envie de sentir se poser sur eux rien qu'à les regarder. Elle était en outre devenue une jeune femme aimable, pleine d'empathie et d'humour, mais le plus souvent effacée. Non pas qu'elle ait été timide, mais elle se plaisait dans le rôle de la demoiselle serviable qui n'attire que les regards bienveillants. N'aimant pas le conflit, elle ne contredisait presque jamais personne frontalement, ni ne versait dans le commérage. Un vraie crème, en somme.
Elle ne tarda pas à se laisser envoûter par le lascar, alors qu'il lui parlait de ses projets de richesse un peu fous. Chaque année elle brûlait un peu plus de le retrouver, et elle attendait avec impatience de pouvoir accompagner son père à la ville. Quant à lui, dès leur première séparation, sut qu'il était tombé amoureux. Tout naturellement, lorsqu'il se décida à faire sa demande au père de sa dulcinée, celui-ci fut heureux de donner sa fille à un époux aisé, et le mariage se fit dans le mois, pour la plus grande joie de chacun. Une histoire d'amour rondement menée. Son mari la combla de bonheur, et très vite elle n'eût plus d'yeux que pour lui, pour qui elle s'attelait à être la meilleure épouse possible. Elle vivait pour le soutenir, lui qui avait tellement de projets et travaillait tant et plus pour les réaliser. Elle recevait en retour son affection et ses présents, qui se firent de plus en plus conséquents au fil du temps. Aussi Fortune s'habitua-t-elle a un train de vie bien au dessus de celui qu'elle avait connu durant son enfance.
Cependant, malgré leurs tentatives enflammées, jamais ils n'eurent d'enfants, et tandis que le marchand s'enrichissait, cette frustration creusa un vide de plus en plus profond dans leur bonheur à tous les deux.
Son homme était un homme ambitieux, aussi ne reculait-il pas devant certains risques pour s'enrichir, allant jusqu'à emprunter à des prêteurs sur gage, qu'il remboursait toujours à temps. Lorsque certains mettaient sur le tapis la supposée bénédiction apportée par sa femme, il répondait que ce n'était que des croyances d’arriérés, et que s'il avait un tel succès, c'est simplement parce qu'il était un commerçant astucieux. Élise était du même avis : comment aurait-elle pu y être pour quelque chose ? Elle n'était qu'une femme ordinaire. Et puis, ce nom, "Fortune"... c'était une coïncidence, et toute conclusion sur cette base était ridicule... si on avait lu "Calvitie" sur son drap, on l'aurait rendue coupable de toutes les chutes de cheveux de la région ? ... Bref, les deux tourtereaux ne croyaient absolument pas à ces rumeurs.
Et ils avaient tort, tout comme ils avaient tort de sous-estimer la convoitise qu’Élise faisait naitre chez certains, qui eux croyaient au pouvoir de Fortune.
Et c'est sur cette erreur que commencent ses mésaventures.
Le début des mésaventures :Acutellement, Fortune a 31 ans et ne semble pas avoir pris d'age, comme si le temps l'avait épargnée un peu après ses vingts ans. En réalité elle ne vieillit pas et commence seulement à le soupsonner.
Elle vit dans un luxe relatif, et n'a aucune envie de retourner à son ancienne vie de paysanne.
Elle porte chance à long tèrme et à grande échelle. C'est à dire que son pouvoir est utile lorsqu'il s'agit de faire fortune ou de gagner une guerre. En revanche, les effets de son pouvoir sont négligeables lors d'un duel ou d'une partie de tarot.
Son pouvoir s'applique aux personnes qui sont proches d'elles géographiquement, mais surtout à celles qui ont une autorité réelle ou symbolique sur elle : parents, époux, employeurs, kidnappeurs...
Le narrateur, qui se complait habituellement dans ce qu'il appelle pompeusement "l'art de la concision" a décidé d'explorer de nouveaux horizons littéraires
( parce qu'on l'a obligé, un peu ) et vous propose maintenant, dans un style absolument pas dénué de pédanterie, une description détaillée complémentaire de ce personnage si lisse au premier abord.
"Lisse", justement, est sans doute un des adjectifs qui s'appliquerait le mieux à la demoiselle, sur le plan physique du moins. Pour la décrire d'une traite corporellement et psychologiquement, on préférera sans doute l'attribut "douce", qui est tout de même plus courtois pour parler d'une fille sans histoires. "Lisse" sous-entendrait un caractère sans intérêt, une certaine bêtise même, ou alors une sensibilité fadasse. Or notre héroïne n'a rien de tout ça, bien au contraire : même si elle ne cherche aucunement à le mettre en avant, elle est plus intelligente que beaucoup des hommes cultivés et prétentieux que vous avez certainement eu l’occasion de croiser dans vos vies. Dotée d'abord de cette intelligence informelle qu'on attribue la plupart du temps, à tort ou à raison, aux femmes, sous le nom d'intuition féminine, elle est capable de "lire entre les lignes" - façon de parler, car la pauvrette est illettrée - et de deviner la plupart du temps ce que son interlocuteur ne saurait énoncer clairement... sauf à se trouver face à un vrai menteur ou quelqu'un qui cherche à la manipuler, auquel cas elle est relativement désarmée - car la pauvrette est un peu naïve également, mais nous y reviendrons.
Bien qu'elle n'ait jamais développé ces aptitudes, elle est naturellement douée pour les domaines plus froids et abstraits de la pensées, tels que le maniement des nombres - dans une certaine mesure - et les problèmes combinatoires, et elle est capable d'assimiler assez rapidement de nouvelles connaissances. En résumé, dans d'autres circonstances, elle aurait pu devenir l'intello trop parfaite que vous avez aussi certainement déjà croisée lors de vos années au lycée.
Elle garde habituellement ces capacités cachées, d'abord car elle en a rarement l'utilité, mais également pour ne pas faire de l'ombre à son mari.
Car par nature Élise est quelqu'un de dévouée. Elle ne se sent pleinement heureuse que lorsqu'elle se consacre à une tierce personne ; de préférence une personne qui lui est chère et saura lui montrer de la reconnaissance. Pour l'heure son époux comble pleinement ce besoin.
On pourrait penser que cet excès de gentillesse et d'effacement la rende ennuyeuse ; en réalité, sa nature curieuse et joueuse est sans doute ce qui ajoute à sa compagnie quelque chose d'agréable et de stimulant. La majorité du temps d'humeur enjouée, elle sait faire jaillir des pointes d'humour aux moments les plus inattendus, ce qui n'est pas pour déplaire à la plupart de ses proches, tandis que lorsqu'une conversation prend un tour plus sérieux, elle est capable d'y attacher toute son attention avec un intérêt sincère. Si elle avait vécu sur Terre, vous auriez certainement pu lui parler tuning qu'elle vous aurait écouté, pour peu que vous ayez des choses à lui apprendre sur le sujet.
Évidement cette femme n'est pas totalement exempte de défauts. Il y a d'abord cette naïveté; à laquelle j'avais fait référence plus haut, qui lui rend difficile de concevoir que qui que se soit puisse faire le mal froidement, ou pire, tirer du plaisir de la souffrance d'autrui. Ensuite, elle aime la richesse et le luxe. Non pas qu'elle soit cupide, mais l'idée d'une demeure plus grande, d'une garde robe plus fournie ou d'un simple bijou allumera systématiquement une étincelle dans son regard. Comme par cohérence, elle aime les hommes ambitieux, autoritaires et puissants. Bien sûr, la tendresse de son mari a son égard reste la clef de voute de son bonheur : cependant ce ne fut pas cet aspect de sa personnalité qui déclencha en premier lieu la passion qu'elle nourrit pour lui.
Parlons viande, à présent :Son corps semble avec été dessiné par un artiste détestant les angles et les irrégularités ; ses courbes sont agréables et féminines des pieds à la tête. Son maintient est droit et détendu, sa démarche, en temps normal, souple et pleine d'aisance.
Permettons nous de détailler cette personne de la tête aux pieds : il est assez difficile d'expliquer en quoi un visage est beau ; on pourrait parler de sa forme délicate, de son expressivité joyeuse, de ses yeux d'un bleu profond, de son teint pâle et immaculé, de ce nez fin et à l'arrête légèrement concave ( si je puis me permettre d'employer cette expression un peu laide qui ne rend pas justice à l'harmonie de l'objet ), de ces sourcils fins et marqués ou enfin de ces lèvres charnues. Un examen buccal plus approfondi dévoilerait des dents blanches alignées dans les règles de l'art, une petite langue rose, et des gencives en parfaite santé. Cette face si attirante est la plupart du temps mise en valeur par des cheveux d'un blond intense auxquels elle applique parfois des traitements fantaisistes à base de chignons, de tresses, d'aiguilles et de broches choisies avec soin. Lorsqu'elle les laisse libres, ils retombent, ondulants, jusqu'au milieu du dos.
Mais je suis descendu trop vite ; reprenons là où nous en étions : cette tête est soutenue par un cou tout ce qu'il y a de plus banal, donnant lui même sur deux épaules et deux bras fin. Ces derniers ce terminent sur deux petites mains dénuées de tout cal, aux ongles soigneusement entretenus. Son buste est orné de deux seins ronds de taille moyenne, dont la forme et le maintient évoquent plus une poitrine de jeune de femme que de trentenaire, à l'image du reste de sa personne. Ceux-ci, pour peu qu'ils soient mis en valeur par un corset, passent rarement inaperçus. Sa taille, mince et souple cède place à hauteur du bassin à des hanches arrondies et relativement larges, accolés à un fessier rebondi, prolongé presque sans discontinuité par une paire de cuisses bien proportionnées, suivies d'une paire de mollets élégamment dessinés dans le prolongement de la jambe. Au bout de celle-ci on peut trouver, comme prévu, deux pieds. Ce sont deux pieds ravissants, mais dont le vocabulaire me manque pour les décrire. Et sous ces petons, nulle trace de corne.
Vous l'aurez compris, le corps de cette femme, bien que terriblement plaisant, a quelque chose d'étrange ; comment se fait-il que sa peau soit naturellement dénuée de grains de beauté et de poils - à l'exception des cheveux, des sourcils, et du pubis - , pourquoi semble-t-elle encore si jeune ? Mystère mystère !
Notez que ce physique délicat lui porta parfois préjudice lors de sa jeunesse champêtre, ses pieds ne cessant de se couvrir d’ampoules sans jamais s'endurcir, et sa peau brulant au soleil mais restant toujours aussi claire.
Pour finir, Élise porte le plus souvent des robes à corset, privilégiant les couleurs vives ou les tons claires et les tissus raffinés.
