Un frisson. Sans doute la climatisation qui avait été allumée. En effet, même s'il ne se serait jamais douté que la dame soit troublée car elle avait peur de lui causer du tord, le frisson était dû à sa petite expérience. C'est une plaisante sensation de savoir que l'on fait attention à lui. Cela avait sans doute un lien avec la robe. Son odeur et sa texture. William s'était immédiatement rendu compte qu'il s'agissait d'une robe neuve. Elle s'était faite belle. Plus magnifique qu'elle ne l'est déjà. Pour lui... Finalement, Dolan devait reconnaître que la climatisation n'avait pas été allumée...
William glissa ses mires vertes sur la jeune femme qui partageait sa table. La raison ployait devant elle, parvenant difficilement à maintenir son emprise glaciale sur le cœur de l'avocat. Celle-ci fondait et s'il n'y prenait pas garde, elle disparaitrait complètement. Ça ne devait pas arriver. William Dolan ne se laisse pas dominer par ses émotions. Elles sont synonymes de faiblesse et d'erreurs. Pourtant la glace s'écoulait toujours et ce genre de convictions finiraient par céder. Il le savait, même si le reconnaître aurait été le premier pas vers la reddition. Sa carapace résistait à tout et n'importe quoi. Dans une enveloppe de logique et de prise de recul, elle était inébranlable. Les émotions et les remords coulaient comme de l'eau sur de l'ardoise. Les suppliques des esclaves, les larmes des victimes qui voyaient leurs bourreaux sortir du tribunal libres et souriants, les récidives... Des récidives dont William était responsable. Pourtant, il continuait, il ne faiblissait pas. Sa carapace intacte puisait sa force dans la détermination infinie de Dolan. Il connaissait ses objectifs mais la présence de Marine le faisait douter de leur véritable valeur. Sois maudit jeune fille.
William attrapa le verre en cristal et le vida de son contenu. Il savoura la fraicheur du liquide qui coulait dans sa gorge, le purifiant de ses réflexions. Il revint à l'instant présent, avisant qu'il était sensé donner une réponse. Une réponse si évidente qu'il n'eut pas à y réfléchir.
-Vous ne me mettrez jamais dans l'embarras, mademoiselle, affirma-t-il. A moins que vous ne soyez dans l'embarras parce que vous me croyez dans l'embarras. Une situation qui aura pour effet de me mettre dans l'embarras.
L'avocat la gratifia d'un sourire plein d'humour. Celui-ci disparut progressivement pour faire place à l'expression dolanienne dont Marine devait maintenant avoir l'habitude. Son regard se posa sur le verre vide. De l'index, il écrasa une perle d'eau qui avait élue domicile sur le rebord du récipient. Il fit tourner son doigt humide sur le bord du cristal et un sifflement à la fois sourd et pur s'échappa du verre.
-J'exige des gens qui m'entourent, de la prestance, de la compétence et de la distinction, fit-il en reportant son attention sur elle, sa voix accompagnée du chant du cristal. Mais de vous Marine, je n'exige rien. J'aime ce que vous êtes. Encore une fois, ceux ne sont que des mots venant d'un bonimenteur mais je vous prie de croire que vous avoir à mon bras est le plus grand orgueil auquel je puisse accéder.
Deux serveurs choisirent ce moment pour arriver avec deux assiettes en porcelaine dont le contenu était caché par une cloche d'argent. Ils posèrent les plats devant les deux clients puis avec une synchronisation impeccable, découvrirent les assiettes. Il s'agissait de chefs-d'œuvre culinaire, aussi beaux que bons. Les textures, la cuisson et des phénomènes inconnus des simples clients rendaient les aliments presque méconnaissable tant en apparence qu'en goût. C'était presque comme redécouvrir la saveur des aliments. Ces œuvres ne palliait pas à une nécessité qui est de se nourrir. Ils ne servaient qu'à ravir les sens.