Alice ne savait plus quoi en penser. Oui, elle pensait toujours aimer Sakura, mais… Et bien, ce mariage ne s’était clairement pas déroulé comme elle l’avait pensé. Il est vrai qu’elle s’était mariée hâtivement, un mariage provocant qui avait fait bondir quantité de nobles ashnardiens. Sylvandell était un lot intéressant pour bien des clans et des familles de l’Empire, car tous savaient que seul un Korvander pouvait commander les dragons, et avoir les dragons dorés de Sylvandell avec soi, c’était un atout non négligeable. Dans bon nombre de conflits, les dragons dorés avaient, tôt ou tard, eu un impact décisif, et ça, nul ne l’ignorait. Dès lors, quand le mariage entre Alice et Sakura Konoe, vulgaire esclave, avait été publié, ce conte de fées avait été attaqué en justice, les attaquants soulevant des causes de nullité absolue du mariage, afin d’en obtenir l’annulation. Le mariage avait survécu, mais, assez rapidement, les choses avaient eu un tournant différent. Difficile d’expliquer en quoi, mais Alice avait toujours eu du mal à se rapprocher vraiment de Sakura. D’une part, la jeune femme n’aimait pas parler de son passé, n’avait pas envie de revenir sur Terre, et, d’autre part, elle avait toujours été distante. Initialement, il avait s’agi, pour elle, de s’entraîner, de maîtriser ses différentes transformations au mieux, mais au détriment d’une vie de couple épanouie. Puis, ensuite, le passé de Sakura avait fini par revenir quand elle avait été rendue provisoirement amnésique, et avait fini chez Mélinda. Mélinda, qui, auparavant, avait été un autre sujet de discorde. Ancienne esclave, Sakura ne supportait pas les esclavagistes, et ce même quand Alice lui avait expliqué que Mélinda était une ancienne esclave, et qu’elle n’était pas aussi méchante que les individus qu’elle avait rencontré. Il avait fallu l’amnésie de Sakura pour que sa position change au regard de Mélinda, mais cette amnésie avait aussi eu, pour effet pervers, d’inciter Sakura à vouloir en savoir plus sur son passé, et sur ses origines.
Et voilà comment elles en étaient arrivées là, à former un couple-fantôme, et Alice savait que son mariage serait attaqué sous peu, et qu’il volerait en charpie. Juridiquement, à Ashnard, le mariage était très souple, par rapport à Nexus, mais il y avait, néanmoins, quelques règles fondamentales à respecter, notamment au niveau des obligations des mariés. Une séparation de corps qui durait longtemps pouvait poser des problèmes aux tiers, notamment aux créanciers. Historiquement, les juges avaient eu à trancher des questions compliquées, car, normalement, dans un mariage, les époux étaient solidaires de toutes les dettes contractées pendant le mariage, sauf à prévoir, spécifiquement, dans la convention, que, à défaut d’indication, un bien ou un emprunt réalisé par l’un des époux n’engageait que lui, et non la communauté. Ces questions étaient épineuses dans le cas où l’époux était parti depuis longtemps, et avaient conduit les juges à admettre qu’un tiers pouvait demander le prononcé d’une séparation de corps dans un mariage. Or, en cas de séparation de corps, quand cette dernière durait plusieurs années, il était, là encore, possible d’en demander le divorce, qui était de droit, sauf motif légitime, comme une longue campagne militaire qui justifiait une absence prolongée.
En clair, le mariage d’Alice était en suspens, et chaque jour qui passait continuait à le plomber, calendrier judiciaire se calquant sur ses émotions. Et le pire, dans tout ça, et Alice en revenait toujours là, c’est que Sakura elle-même avait décidé de partir, de suivre la Reine des Lames.
Tinuviel lui glissa alors que, elle, elle ne l’abandonnerait jamais, et Alice, silencieusement, s’enfouit contre elle, venant enrouler ses bras autour de son corps, pour partager, avec Tinuviel, un câlin, empreint de douceur et de tendresse. Puis les deux femmes s’embrassèrent, sensuellement, et Alice rompit le baiser au bout de quelques secondes, avant de cligner des yeux.
« Je sais… C’est pour ça que je suis venue là, Tinuviel… Pour compter sur toi, et pour me ressourcer… »
Elle avait conscience de l’étrangeté de sa demande, mais Alice n’avait pas envie de déprimer ici, et, pour ça, elle ne connaissait qu’un seul remède, très efficace, et qui, pour l’heure, ne l’avait jamais déçue. Mains posées sur les épaules de son amante, elle reprit alors :
« Fais-moi l’amour, Tinuviel… S’il-vous-plaît, Maîtresse… »