C’était une lutte inégale. Un colosse contre deux individus épuisés et déjà blessés. Le kraken brisait des navires entiers, et on demandait à deux vulgaires individus de le terrasser ? C’était une mission suicidaire, Cahir le savait, tout comme il savait que, dans ce genre de circonstances, deux réactions typiques étaient possibles. La première était de s’offusquer contre le caractère injuste de la situation, et de refuser l’affrontement, d’agir en lâche. Auquel cas, on pouvait s’attendre à avoir une vie difficile, et à ne jamais savoir affronter les difficultés. En d’autres termes, on devenait un faible, un mouton, un soumis, quelqu’un qui avait peur de la vie, car la vie, loin de se caractériser par l’égalité et la justice, était fondamentalement injuste, et inéquitable. Cahir avait depuis longtemps admis cet état de fait, et, dans une situation injuste, adoptait le second type de comportement ; se surpasser, afin de triompher des difficultés. Ce kraken ne l’effrayait pas. Il avait peur, oui, mais la peur ne le réfrénait pas. Au contraire, elle le motivait, en lui rappelant que sa vie était en jeu, et qu’il devait se battre pour la protéger. L’adrénaline l’excitait, faisant fonctionner rapidement son cerveau. Son plan fut efficace, et le kraken fut blessé... Mais pas vaincu.
Néanmoins, la bête, qui ne s’attendait sûrement pas à ce que ses proies se défendent, et parviennent à la blesser, à faire couler son sang, réagit de la plus prévisible des manières : par la fureur et la rage. Ses coups s’abattirent frénétiquement sur le sol, faisant trembler toute la pièce. L’apatride fut déstabilisé, et se reçut un nouveau coup de tentacule sur le ventre, qui le repoussa. Il en lâcha son épée, et s’écrasa douloureusement contre le mur, avant de s’affaler lourdement sur le sol. Poussant des grognements, Cahir entreprit de se redresser, mais se reçut un puissant tentacule sur le dos. Même avec l’armure en ébonite, la douleur explosa dans son corps, le faisant trembler. Il cracha même du sang, sentant sa vision se troubler.
*Concentre-toi, concentre-toi !*
Se secouant la tête, il roula sur le sol, évitant un autre tentacule qui fracassa le sol, et se releva. Un tentacule fendait horizontalement l’air, filant droit vers l’homme, qui plongea sur le sol, évitant ce dernier, qui heurta le mur, le brisant. Des morceaux du plafond se mettaient à tomber, formant de gros blocs. Cahir n’avait plus son arme, mais le kraken se désintéressait à nouveau de lui. Il avait réussi à attraper Vincente, et amenait cette dernière vers sa gueule édentée. Cahir courut vers son épée, et bondit vers le sol. Il fit une superbe roulade, se réceptionnant avec son épaule, et récupéra au passage son épée.
*Je n’ai pas encore dit mon dernier mot, enfoiré !*
L’apatride s’élança vers son adversaire. Se rapprochant trop près de lui, le kraken réagit en conséquence, et un autre tentacule fendit l’air. Le guerrier, pour le coup, regrettait de ne pas avoir un bouclier pour le protéger. Son armure était efficace, mais ne valait pas une bonne vieille protection plus éloignée de son corps. Un autre tentacule chercha à lui faucher les jambes, et Cahir fit encore une roulade, évitant ce dernier, qui frappa dans le vide. Il se releva rapidement, et agit par réflexe. Sa lame se planta dans un tentacule, et il s’y cramponna, avant que le tentacule ne l’emporte, la lame servant d’appui. Sentant le vent lui fouetter le visage, Cahir se mit à décoller, et heurta douloureusement un mur. La douleur lui fit lâcher la garde de son épée, mais il ne tomba pas, car un tentacule supplémentaire s’enroula autour de son bassin, le maintenant la tête à l’envers.
Les deux étaient faits comme des rats, et il sentait le kraken serrer autour de sa taille, tout en l’amenant vers sa gueule. La situation devenait critique, mais l’homme réfléchissait à une stratégie. Ne jamais abandonner, même en de pareilles circonstances. Le kraken semblait visiblement hésiter entre Vincente et Cahir, et l’apatride était sûr que la jeune femme n’avait plus de munitions. Cependant, il avait encore quelques tours dans son sac. Le tentacule ne retenait que son bassin, et l’ébonite, qu’on se le dise, était un alliage résistant. L’homme regarda autour de lui, et vit que le tentacule se comprenait d’espèces de membranes, des trous, qui permettaient sûrement au monstre de respirer. Cahir n’eut pas à réfléchir trop longtemps, et envoya son poing dans l’un des trous. L’ébonite déchiqueta la chair du monstre, qui poussa un grognement, et relâcha Cahir. Ce dernier ne chercha toutefois pas à tomber, et utilisa son autre main pour s’agripper au tentacule, et s’en servit pour bondir dans les airs. C’était une méthode peu courante, mais, tant qu’elle était efficace, il n’en demandait pas plus.
Cahir tomba sur le sol, et se réceptionna en se mettant en boule, étouffant un grognement. Son épée était tombée, et il la ramassa, puis se dirigea vers l’un des gros tentacules qui soutenaient le kraken, et le trancha d’un coup sec. Ce fut le coup de trop pour le kraken. Il avait déjà fragilisé le sol en s’énervant, et lâcha prise, se mettant à tomber. Cahir se retourna, et se mit à courir, vers le tentacule retenant Vincente. Le kraken défonçait le sol, et tombait dans un trou, et Cahir trancha le tentacule qui retenait Vincente. Le kraken tomba en hurlant, rebondissant contre les murs, et s’écrasa dans l’eau verdâtre. Vincente avait basculé dans le vide, emportée par l’élan du monstre, mais Cahir l’avait retenu à la main, allongé sur le sol.
« Urf ! soupira-t-il. Je te tiens, ma belle, ne t’en fais pas. Saloperie de monstre... »
Cahir la souleva alors, utilisant sa force, et se mit à soupirer à nouveau, en sueur.