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La récente libération de Tony D. Marshall a provoqué la fureur du peuple. Rappelons que le suspect était poursuivi pour le meurtre de sa femme, et pour avoir tenté de tuer sa fille, avant d’être arrêté par un justicier inconnu, qui n’a laissé aucune trace de son passage. Son procès a abouti sur sa relaxe, faute de preuves pour le condamner. En effet, les réquisitoires du Ministère public se fondaient uniquement sur le témoignage de la jeune fille, dont la défense a rappelé son statut d’incapable, à l’aide d’une expertise psychiatrique. Des manifestations ont eu lieu devant le tribunal pour condamner cette décision. Le ministère public a indiqué qu’il comptait faire appel de cette... » (
BS NTV)
KRRRRRRRR...
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Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ces prétendus justiciers ne sont rien de plus qu’une solution simpliste à un problème complexe. Rien de plus. Toute interprétation contraire serait erronée. On ne lutte pas contre la criminalité et les trafics organisés avec des raisons manichéens dignes du Far West en tapant sur tout ce qui bouge. » (Neil Jordan, avocat pénaliste, lors du talk-show noctune
Les étoiles nocturnes)
KRRRRRRR...
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Drame dans la banlieue de Tokyo cette nuit. Un adolescent se serait déguisé en justicier pour, selon les rapports de l’enquête de flagrance, faire justice contre un individu qui aurait agressé sexuellement une camarade. Le jeune aurait été tué lors d’un accident. (
AXN Japan)
KRRRRRRR...
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Grande manifestation à Tokyo aujourd’hui. Elle aurait été organisée sur des réseaux sociaux contre l’influence néfaste des super-héros dans l’archipel japonais. La police a dénombré des dizaines de milliers de manifestants dans les rues. La manifestation a par la suite dégénéré en émeutes, et à un affrontement entre les forces de l’ordre et... » (
Fox Japan)
KRRRRRR...
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Vous savez, mon fils a toujours adoré les super-héros. On ne peut pas lui en vouloir. Si les enfants étaient intelligents, il ne faudrait pas les éduquer. Et donc, il m’a toujours dit qu’il rêverait d’être comme Superman, de pouvoir voler dans le ciel, et venir en aide aux plus démunis, sauver la veuve et l’oprhelin... Mais mon fils n’est pas Superman, et, si j’avais Superman en face de moi, je lui dirais que la voie menant à l’enfer est pavée de bonnes intentions, et qu’il n’est rien de plus qu’une menace pour la société ! Nous ne saurions tolérer que le Japon devienne une terre d’asile pour des délinquants costumés qui se croient au-dessus de nos lois, décrédibilisant la légitimité des pouvoirs publics, et satisfassent leur égo démesuré en faisant ce que personne ne leur a demandé de faire. Voilà pourquoi je m’engage solennellement à faire voter au gouvernement une loi de recensement similaire à ce qui a été fait aux États-Unis. Je ne tiens pas à ce que nous vivions un nouvel Hamford, et je tiens à dire à tous ces clowns costumés que, s’ils ont envie de servir leur pays, ils n’ont qu’à le faire avec un badge ! » (Hitari Tenshi, candidat aux élections législatives, lors d’un meeting).
KRRRRRR...
Les actualités n’étaient guère rassurantes pour les super-héros costumés ces temps-ci. Félicia les suivait de loin, distante. Elle n’avait jamais vraiment été une super-héroïne, de toute façon. Mais c’est vrai qu’un véritable festival commençait à avoir lieu à Seikusu... Entre ce clone de Superman qu’on croyait mort, la Torche, et d’autres types, la concurrence était rude. Certaines rumeurs affirmaient même que Spider-Man était en ville ! Quand Félicia avait appris ça, elle avait senti tout un tas d’émotions contradictoires. La colère, la gêne, mais aussi l’excitation, et une certaine forme de nostalgie. Ces rumeurs, avérées ou non, lui avaient rappelé son passé... Quand elle n’était pas encore une mère de famille, et qu’elle n’avait pas des pensions alimentaires à payer, et que le Caïd n’avait pas manqué la tuer de peu. A une époque où les citoyens étaient suffisamment crédules pour croire que des justiciers masqués agissaient
uniquement de matière désintéressée. Les super-héros avaient le vent en poupe depuis quelques années, et tout avait réellement explosé lors de la stratégie d’Hamford, où les agissements irréfléchis des New Avengers avaient mené à la destruction de toute une ville.
Tout avait été très compliqué ensuite. Félicia était partie dans la foulée, alors que le gouvernement lançait le projet Initiative, consistant à former des équipes d’anciens super-héros devenus des super-agents gouvernementaux pour défendre tous les États, le tout sous la direction du S.H.I.E.L.D. Tony Stark avait dirigé ce dernier, avant d’être remplacé par Norman Osborn ( ?), qui avait dissous le S.H.I.E.L.D. pour créer le H.A.M.M.E.R., et qui avait finalement été disgracié. Le S.H.I.E.L.D. avait finalement été reconstruit, et était, aux dernières nouvelles, dirigé par Steve Rogers, plus connu sous le nom de Captain America. Quand Félicia avait appris tout ça de la part de son agent de liaison, un avocat nommé Norman Jayden, elle avait froncé les sourcils.
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Captain America est pas censé être mort ? » avait-elle dit.
Elle n’avait pas compris grand-chose, si ce n’est qu’elle était bien contente d’être au Japon, où ses problèmes se résumaient désormais à :
1°) Choisir quelle tenue mettre pour son rendez-vous avec Aoki. La tenue en cuir noire, ou la guêpière blanche avec une robe de mariée ?
2°) Trouver un riche Yakuza à dérober dans la semaine pour avoir de quoi payer les pensions alimentaires, la fin du mois approchant, et Félicia ayant fait quelques petites folies pour emménager dans son nouveau studio ;
3°) Préparer ses fiches pour les conseils de classe à venir.
La sauvegarde du monde contre des envahisseurs Skrulls, ou des robots géants à trois têtes, attendrait donc un peu. Hors de sa suite luxueuse dans l’un des gratte-ciel de Seikusu, Félicia roulait rapidement sur sa moto, se rendant dans le quartier de la Toussaint.
*
Les mauvaises habitudes ont la vie dure, et je sais que j’ai tort, mais c’est plus fort que moi !*
Entre tout le buzz médiatique sur les super-héros, elle avait appris que la police était sur le qui-vive. Seikusu appartenait aux Yakuzas depuis une époque ancestrale, mais une guerre des gangs risquait d’éclater avec quelques rivaux, à savoir des Triades. Les Chinois entendaient s’emparer de leur part du gâteau, et tout cela annonçait naturellement une guerre des gangs, que la police tenait à éviter. Félicia avait décidé de s’y mêler depuis sa dernière entrevue avec Norman dans son appartement.
Norman Jayden était un ancien X-Men. Il était connu sous le sobriquet de «
Knowledge », car il avait la faculté, avec ses yeux, de pouvoir voir les secrets des gens qui les entouraient, de lire dans leurs âmes. Ce pouvoir était terriblement efficace, mais provoquait des effets secondaires redoutables. Outre des saignements dans ses yeux, des lésions cérébrales étaient également à craindre. Partant de là, Jayden avait quitté les X-Men, choisi une carrière d’avocat, avait rejoint le S.H.I.E.L.D., et était maintenant à Seikusu. Au début, Félicia l’avait pris pour un vulgaire planqué, mais avait vite compris que Seikusu était pour le S.H.I.E.L.D., en raison de ses Portails, une zone d’importance stratégique prioritaire. De temps en temps, Félicia et Norman se voyaient. Lors de leur dernière entrevue, elle avait ainsi vu que Norman s’intéressait à la venue des Triades et à une guerre des gangs. Il avait prétexté qu’il avait un dossier traitant de la situation, un gangster à défendre, mais Félicia ne l’avait pas cru.
*
Si Norman s’y intéresse, c’est qu’il s’agit de tout, sauf d’une simple histoire entre gangs... Que me caches-tu donc, mon petit Norman ?*
Félicia arrêta sa moto près d’une poissonnerie perdue dans le quartier de la Toussaint, la laissant dans une ruelle, et grimpa le long du mur, atteignant le toit. Elle avait travaillé pour le Caïd, après tout, et savait comment obtenir des informations. La Chatte Noire s’avança le long d’un toit longeant une poissonnerie qui faisait office de restaurant, et qui comprenait deux bâtiments triangulaires reliés par une plus petite structure, où les fourgons entraient et ressortaient. Plusieurs sentinelles avançaient solitairement sur les toits, montant la garde. Elle resta là, voyant des camionnettes de pêcheurs approcher. Elle consulta sa montre.
*
Hum... Voilà des routiers qui ont l’air de vouloir faire des heures-sup’... Je suis sûre que ces caisses contiennent à peu près tout et n’importe quoi, sauf du tofu et du saumon...*
Elle se serait presque crue dans un vieux film. La poissonnerie servant de plaque tournante pour le trafic de drogue. En regardant dans les immeubles alentours, elle était sûre que deux flics devaient être en planque, et attendre que le gros poisson se pointe. Félicia s’avança lentement le long de la toiture, prit son élan, et sauta dans les airs. Elle atterrit avec élégance sur le toit, ombre noire dans la nuit. Elle s’aventura le long de cette structure, et trouva une trappe par laquelle se faufiler. Félicia débarqua ainsi dans un petit couloir, et avança lentement, se dissimulant dans les recoins quand des individus passaient. Elle vit des hommes armés avec des tatouages, certains en forme de dragons. Voilà au moins qui confirmait la planque de Chinois...
La Chatte Noire reprit sa route, prudente et attentive. Elle trouva rapidement un escalier, et commença à le descendre, entendant des hommes parler entre eux. Ils étaient assez nerveux et agités. Est-ce que c’était normal ? Ou est-ce qu’il y avait une raison particulière ? Félicia, malheureusement, ne parlait pas un mot de mandarin. Elle atteignit ainsi le garage, dans une discrétion absolue, se sentant à la place Sam Fisher dans
Splinter Cell (le fait d’être professeur dans un lycée amenait à revoir sa culture). Le garage présentait plusieurs portails, dont l’un était ouvert, ainsi que plusieurs hommes affairés. Certains fumaient, et d’autres portaient des caisses dans des réserves.
*
Ce n’est pas ici qu’ils doivent couper et préparer la drogue... Peut-être que les flics cherchent leur laboratoire... Ce n’est qu’une zone de stockage à partir de laquelle ils redistribuent aux dealers de la région la drogue des Triades...*
Elle entendit alors le ronronnement d’une voiture. Félicia était dans le grand garage, cachée derrière de grosses caisses, et aperçut une superbe voiture noire entrer. C’était une
berline noire qui avait l’air de valoir une fortune. Pas le genre de voiture qu’un vulgaire employé porterait. Restant dans son coin, Félicia vit un homme en costume, une espèce d’armoire à glace, sortir du côté passager, et ouvrir la porte à l’arrière, livrant passage à un vieil homme dans une longue robe. Elle ne vit que peu son visage, mais comprit qu’il avait l’air important, et décida de le suivre. Ce devait être le gros poisson. L’homme était entouré par deux gardes du corps, et s’aventura à travers un couloir gardé par deux Chinois armés de Kalachnikov.
Il en fallait plus pour décourager la Chatte Noire. Cette dernière sortit par une grande fenêtre. Elle grimpa rapidement sur le toit du garage, et avança vers la pyramide en face, rentrant à nouveau dans le bâtiment. Elle pénétra dans une petite pièce sombre, et assomma un Chinois se tenant dans le couloir, et qui semblait monter le garde. Retrouver le vieux et les deux gardes du corps ne fut ensuite pas très compliqué, et Félicia reprit sa discrète filature. Cette dernière se termina assez rapidement. Elle se trouvait un étage au-dessus du vieux, et atterrit dans une espèce de grand salon. Elle se tenait sur les balcons, et dut neutraliser plusieurs autres Chinois qui l’empêchaient de parler, tandis que sa cible semblait discuter avec quelqu’un. Quatre Triades se baladaient en hauteur, faisant des rondes périodiques. Elle fondit sur l’un d’entre eux, et envoya discrètement sa tête s’écraser contre le mur. Préférant ne prendre aucun risque, elle s’occupa des trois autres, les neutralisant, et poursuivit ensuite sa cible.
Ce dernier finit par se rendre dans une espèce de chambre forte capitonnée au fond d’un couloir, avec, là encore, deux gardes. Impossible d’entrer par un autre passage. La Chatte Noire pesa le pour et le contre. Tôt ou tard, on finirait par remarquer les gardes assommés. Et elle pouvait facilement s’occuper des deux Chinois postés à l’entrée de la chambre forte, ainsi que des deux colosses.
*
Bon... Autant sortir mes griffes !*
Félicia se tenait alors en hauteur, sur des poutres apparentes en bois. Elle tomba alors rapidement, pieds joints en avant, et s’écrasa sur l’un des deux Triades. Le second eut à peine le temps de réagir qu’il se reçut un puissant coup de pied retourné en plein visage. Sa tête rencontra le mur. La Chatte Noire les observa brièvement, puis s’avança vers la chambre forte. Elle porta son oreille contre la porte, mais n’entendit absolument rien. Elle contempla alors la serrure de la porte blindée, qui, fort heureusement, n’était pas très compliquée. Elle fonctionnait par le biais d’une carte magnétique. Félicia Hardy sortit une carte spéciale, conçue par les ingénieurs du S.H.I.E.L.D., et la passa. La serrure électronique s’ouvrit, et la porte se déverrouilla.
La Chatte Noire entra, et entendit une voix forte, émanant probablement du vieillard, avant que ce dernier ne se retourne. Félicia remarqua alors qu’il y avait une femme qui était attachée, et qui était visiblement torturée par l’un des deux molosses. En la voyant, le vieux se mit à parler, surpris. Il tenait une canne, et avait de longs ongles noirs, qui ressemblaient en réalité plus à des griffes qu’à des ongles. Ne comprenant rien à ce qu’il disait, la Chatte Noire lâcha, espiègle :
«
Et ben, Messieurs, je vois qu’on s’amuse ici ! »
Les deux gardes du corps, qui faisaient bien dans les deux mètres se regardèrent, mutuellement.
«
Une gaijin lâcha alors le vieux.
-
Tu ne dois pas être si sénile que ça, l’ancêtre. Mais je pense quand même que je pourrais te montrer un truc ou deux en te bottant les fesses. C’est pas parce que tu es une antiquité que tu peux te permettre de taper sur les femmes. »
L’homme fronça les sourcils, et leva sa main. Une boule de feu sembla se former, et Félicia vit une espèce de dragon oriental, un
ryu de feu, jaillir vers elle. Surprise, elle se baissa de justesse, évitant le dragon enflammé qui alla se perdre dans le couloir, explosant en une série de violentes flammes incandescentes. Visiblement, le vieux était un brin sorcier.
«
J’ai d’autres chats à fouetter. Genkyô-01, Genkyô-02, occupez-vous de cette gêneuse. »
Les deux hommes réagirent en s’avançant vers Félicia. La Chatte Noire attaqua la première, bondissant vers l’un des deux types, et le frappa d’un violent coup de pied au ventre. Il y eut un violent *
BING* qui surprit Félicia.
*
Depuis quand ça fait BING quand je tape là ?!*
L’homme ne broncha pas, et arma le poing, s’apprêtant à l’abattre sur Félicia.
*
Ho-oh ! Ça, c’est pas bon !*
Félicia bondit de justesse en arrière. Le poing de l’homme s’explosa contre le sol, pulvérisant ce dernier, provoquant de violentes vibrations. Il y avait un trou dans le sol, et la Chatte Noire comprit alors qu’elle devait avoir affaire à des sortes d’androïdes de combat perfectionnés.
Dehors, un bus de transport en commun longeait la poissonnerie. Le chauffeur, un vieil homme, écoutait tranquillement de la musique en s’ennuyant. Sa soirée allait tout d’un coup devenir nettement plus intéressante quand quelque chose heurta violemment le flanc de son bus. Il pila sec, et se retourna, se demandant s’il n’avait pas heurté une voiture. Il commençait en effet à s’endormir, et tenta de sortir. Il vit alors qu’il y avait un trou dans le mur de la poissonnerie, et qu’un homme en costume, une vraie montagne, se tenait là. Une femme avait heurté son bus. Une femme vêtue de noir, qui se redressait lentement en grinçant des dents.
Félicia avait été balancée à travers un mur pour heurter un bus, ce dernier ayant servi d’airbag. Le plus miraculeux, c’est qu’elle n’avait aucun os de pété. Par contre, ça faisait un mal de chien.