Alice prit instinctivement peur, craignant que Lorna ne veuille la tuer sur place. Elle lui lança un regard meurtrier, glacial, haineux, et Alice en frémit. La Princesse se mordilla les lèvres en reculant, mais Lorna se contenta de s’habiller.
« Je… » tenta de dire Alice, avant de se raviser.
Lorna n’avait visiblement pas envie de discuter, ce que la Princesse pouvait aisément comprendre. Elle se tut, s’asseyant sur une chaise dans un coin, baissant la tête, serrant les poings. La Princesse se sentait effectivement responsable de ce qui était arrivé. Elle avait incité Tinuviel à la suivre, à se mêler d’une histoire qui ne la concernait pas, et, même si elle n’avait pas physiquement attaqué l’elfe rouge, elle se sentait bel et bien coupable de ce qui était arrivé. Lorna finit par l’invectiver, lui ordonnant de la conduire à Tinuviel.
« Oui, suis-moi… » répondit la Princesse rapidement, baissant les yeux.
En d’autres circonstances, Lorna aurait pu être flagellée sur la place publique pour ce qu’elle disait. Si son père l’avait surpris, il l’aurait sans doute fait, même en fonction de ces circonstances particulières, mais Alice n’était pas comme son père, et se sentait particulièrement responsable de ce qui était arrivé. Elle sortit précipitamment de l’auberge, et grimpa sur un cheval, laissant à Lorna un autre cheval. Alice s’empressa alors de rejoindre le manoir de Letterfinlay, passant par la grand-rue. Le manoir se trouvait à la sortie du village, près d’une forêt. En s’approchant, Alice put voir les lumières allumées, et approcha de la cour. Elle déposa précipitamment son cheval près de deux garçons d’écurie endormis.
« Où a été emmenée l’elfe rouge ?
- Dans le salon principal, Madame », répondit le garçon en prenant les rênes d’Éclipse, son cheval.
Hochant la tête, Alice rejoignit la grande porte d’entrée, et l’ouvrit. La neige continuait délicatement à tomber, et elle traversa le vestibule, atterrissant devant un escalier d’intérieur en marbre, avec de multiples chandeliers qu’on avait rallumés. Un page ne tarda pas à arriver, tenant dans une main une bougie sur un couvert en argent.
« Majesté ?
- Conduisez-nous immédiatement à l’elfe rouge, ordonna Alice.
- Si Votre Majesté daigne bien me suivre… »
Le page avança le long d’un couloir. Le manoir était relativement grand, comprenant de nombreuses portes et couloirs, et Alice tâcha de s’enquérir un peu plus des choses qui étaient arrivées. Le page étant sa seule source d’informations pour le moment, elle lui demanda des éclaircissements, ce que ce dernier ne tarda pas à divulguer.
« L’elfe rouge a été déposée dans le salon principal. Un lit a été dressé pour l’occasion. Elle est à côté d’une cheminée. Dès que le Baron a su ce qui se passait, il a mandé son guérisseur attitré, qui est aussi un excellent alchimiste. Ce dernier a ausculté brièvement Tinuviel, avant de se retirer dans son laboratoire pour confectionner des élixirs et des potions. »
Alice hocha silencieusement la tête. Le page finit par les conduire dans le salon. On avait rapidement mis un lit, et Tinuviel était allongée dans les couettes. Son armure lui avait été ôtée, et trônait sur une table à côté. Dans un coin, Hodor, assis en tailleur, observait la situation, et plusieurs pages et autres domestiques se pressaient autour de l’elfe rouge. Alice s’approcha, mais ne put retenir Lorna, qui bondit vers Tinuviel. Silencieusement, la Princesse aperçut Letterfinlay. Le Baron avait tout juste eu le temps d’enfiler un peignoir, et on pouvait voir un début de barbe sur son menton, alors qu’il bâillait de temps en temps, étouffant ses bâillements en plaçant sa main devant sa bouche. Son regard s’anima quand il aperçut Alice.
« J’apprécie vos agréables surprises, Princesse, même au beau milieu de la nuit…
- Je vous remercie de bien vouloir nous aider… »
Interrompant la conversation, Alice s’approcha de Tinuviel quand cette dernière lui fit signe de venir. La Princesse tâcha de lui signaler qu’elle ne devait pas en vouloir à Lorna. La Princesse haussa les épaules, et Tinuviel continua, demandant l’assistance d’un mage. Alice lui offrit un petit sourire.
« Lorna est juste amoureuse de toi. Je ne peux pas lui tenir rigueur de s’inquiéter pour toi… Et puis, c’est en partie de ma faute, après tout… Pour le mage, je…
- Les mages, c’est démodé ! » lâcha soudain Letterfinlay en se rapprochant d’elles.
Le Baron tenait dans une main une tasse de chocolat chaud, la buvant soigneusement.
« Un mage blanc, c’est bon pour éviter de se faire blesser. Quand on est déjà blessé comme vous, un mage blanc, c’est inutile… Rassurez-vous, mon alchimiste est sur le coup. Il a injecté dans votre corps des produits de première nécessité, ce qui vous a permis de retrouver suffisamment de force pour parler. Nous devons également extraire la balle dans votre jambe avant qu’elle ne s’infecte. »
Le Baron continua à parler, mais fut soudain interrompu par la venue de l’alchimiste, un homme qui semblait tout droit sorti d’un cliché de conte pour enfants. Il avait une longue cape qui flottait derrière lui, et se posa devant Tinuviel.
« Place, place, je vous prie ! Laissez la patiente respirer ! fit-il, avant de voir Lorna. Je n’avais jamais vu une autochtone de si près… Intéressant… »
L’alchimiste se pencha vers Tinuviel. Il portait un long chapeau pointu, ainsi qu’un curieux monocle. Il l’utilisa pour inspecter la plaie. Alice frémit en le voyant retirer la couverture. Toute la zone entourant la lame de Tinuviel était violette, et Alice remarqua alors que le froid se propageait à hauteur de son cou.
« Hum… L’infection se répand… L’élixir que j’ai inoculé a brièvement retardé la diffusion, mais… Hum… Diagnostic simple… Symptômes faciles à comprendre… Pourquoi le cœur ne s’est pas arrêté ? Hum… »
Continuant à soliloquer, l’alchimiste ouvrit son grimoire, tourna plusieurs pages, et hocha la tête.
« Poison mortel ? Non… C’est un sort fait pour faire souffrir, et qui utilise le cœur pour répandre le froid dans tout le corps… Belle résistance, vous devriez déjà être morte… Augmentez le feu, vous autres, allez ! Plus il fera chaud, plus nous gagnerons de temps. »
L’alchimiste posa l’une de ses mains sur la poitrine de Tinuviel, réfléchissant rapidement, cherchant des réponses. Il s’humecta les lèvres, et se replongea sur l’étude du corps, suivant une ligne mystérieuse partant du cœur de la femme vers l’une de ses mains.
« Je vois, je vois… Premières impressions confirmées, diagnostic confirmé. »
Il se releva subitement, et posa sa main sur le pommeau de l’épée.
« C’est un sortilège qui affecte directement le système sanguin. Pour le guérir, l’approche primaire consiste à ôter l’épée, et à ce que le sang contaminé se retire. Malheureusement, faire cela reviendrait certes à annuler le sortilège, mais aussi à vous tuer. Nous allons donc… Faire autre chose. Je ne vous demanderais pas de rester calme. Il faut au contraire que le sang se diffuse rapidement dans votre corps. »
L’alchimiste tenait dans son autre main une espèce de fiole, et retira d’un coup, sans prévenir la lame. Il la jeta au sol, et le sang ne tarda pas à s’échapper de la plaie. Agissant très rapidement, l’alchimiste décapsula la fiole, et la glissa dans la plaie.
« Ne pas l’inoculer par la bouche… La mixture doit directement atteindre le cœur… Amenez des bandages, vite ! »
Un assistant jaillit, et, tandis que l’alchimiste répandait les dernières gouttes, il se redressa, et plaça une espèce de baume autour de la plaie, posant une main sur ledit trou, afin d’éviter que le sang ne s’échappe, et utilisa le bandage fourni par l’assistant pour fermer la plaie, en profitant pour faire plusieurs points de suture. Tinuviel semblait vaseuse, et son corps ne tarda pas, par le biais de ses muscles, à remuer rapidement sur son lit. Sans attendre plus longtemps, l’alchimiste sortit une espèce de seringue, et l’enfonça dans le cou de l’elfe rouge, l’endormant, détendant son corps.
« Il faut s’occuper de sa jambe maintenant, extraire la balle… Un peu de chirurgie, en somme… »
L’alchimiste alla s’effectuer, sortant la belle jambe de l’elfe, et utilisa des instruments chirurgicaux pour l’ôter, avant de fermer la plaie à l’aide de points de suture. Il soupira ensuite, et regarda son assistance, prenant son pouls.
« Elle vivra… Mais elle a besoin de dormir… »