William sortit de la pièce en fermant délicatement la porte derrière lui. Il eut droit à un regard furtif de la sentinelle qui avisa que le visage de l'avocat était insondable et de ce fait, s'en désintéressa. Un peu fatigué mais la conscience tranquille, William se retira. De son point de vue, il n'avait pas du tout trahi la confiance du Yakuza. Il n'avait fait qu'inciter la diva à s'excuser en lui annonçant qu'il y aurait des répercussions dans le cas contraire. En fait, il avait même agit dans le sens d'Hatori. C'est du moins ce dont l'intéressé sera convaincu si l'avocat devait lui avouer son entrevue avec miss Hale. L'art de l'argumentation n'avait pas de secret pour lui. Quand aux véritables motivations du juriste, ça ne regardait que lui.
Le reste de la soirée s'était passé sans incident notable. Il n'avait pas revu Hatori qui semblait avoir déserté le théâtre et notre avocat préféré avait simplement récupéré sa secrétaire qui s'approchait dangereusement des bouteilles de champagnes mises à la disposition des convives. William l'avait ensuite raccompagné chez elle puis avait été se coucher, bien loin des évènements qui se déroulaient alors que le sommeil l'envahissait.
***
Le flux de voiture était toujours aussi dense devant le magnifique palace de Seikusu. L'hôtel le plus luxueux de Kyoto et qui avait vu passer beaucoup de vedettes ainsi que toutes les personnes qui ont les moyens de dépenser plus de 100.000 Yens ( ~1000 €) pour une nuit. Il s'agissait d'un bâtiment imposant dont le style japonais était tout ce qu'il y a de plus cliché. Un toit en tuile noir formant un cône à base carré qui s'évasait pour remonter légèrement. De gracieux piliers en bois rouge supportaient ce toit imposant dont les bords dépassaient dangereusement des murs en chaux blanc. Quoiqu'il en soit, l'édifice semblait tenir debout. Pour l'instant...
Une voiture mêlée au flot anonyme qui circulait devant le palace ralentie légèrement. Sans doute des touristes émerveillés qui se laissaient un peu plus de temps pour se repaitre des merveilles architecturales japonaises. Il s'agissait d'une vieille Toyota grise dont les vitres étaient fumées. La voiture ré-accéléra et se glissa dans une des innombrables ruelles qui jouxtaient le boulevard, à deux pâtés de maisons de l'hôtel de luxe. Quatre hommes sortirent de l'auto garée à la va-vite et en double file. De toute façon, il y avait peu de chance que des gens se plaignent car la plupart aurait préféré faire un peu de marche à pied plutôt que de demander aux quatre gaillards s'ils avaient l'obligeance de pousser leur engin. C'était des armoires à glace, très grands pour des japonais et très imposants. Enfin, ces derniers n'avaient pas l'air de touristes. Smoking noir pour tous et des faciès aussi avenant qu'une porte de prison fermée.
-Y'avait un match de baseball ce soir, grommela l'un deux en ouvrant le coffre.
-Tu verras le résultat sur le net, Nobu, rétorqua un autre qui surveillait la ruelle pourtant déserte.
Le dénommé Nobu renifla pour exprimer son mécontentement et tira trois sacs à dos du coffre de la voiture qu'il ne prit même pas la peine de refermer. Il en lança un au plus jeune du groupe, qui transpirait abondamment sous l'effet du stress, en l'avertissant d'un "Attrape!" amusé. Le sac fut rattrapé en catastrophe par le jeune homme dont les yeux s'écarquillèrent de terreur à l'idée de faire tomber la précieuse marchandise par terre.
-T'es vraiment trop con, s'insurgea-t-il une fois qu'il se fut remit de sa frayeur.
Ce commentaire fut aussitôt suivit de l'hilarité générale tandis que Nobu passait les deux derniers sac à ses compères. Bientôt, les trois Yakuzas avaient hisser les sacs sur leur dos et attendirent le dernier débriefing qui s'assurait que tout le monde avait bien compris le plan.
-Lorsque vous pouvez entrer dans l'hôtel, toi – fit-il en désignant le plus jeune – tu n'auras qu'à me bipper sur mon portable et je me chargerai de la diversion. Vous faites le boulot, vous essayez de pas vous faire choper et quoiqu'il arrive, vous ne trahissez pas la famille, résuma brièvement Nobu.
-Si ça se trouve on fait ça pour rien, répliqua le plus jeune. Elle sera dans l'hôtel au moins? Moi si j'étais elle et que j'avais manqué de respect à sir Hatori, je serais en train de me planquer dans un trou de souris.
-Ouais, mais t'es pas elle, fit un Yakuza à la voix grave et profonde. On sait qu'elle a changée d'hôtel à la dernière minute et une star, ça ne passe pas inaperçue. Moi je te dis qu'elle est là-dedans.
Suite à ces paroles réconfortantes, Nobu fit un signe de tête et la troupe approcha de l'hôtel. Sans un mot, ils se séparèrent à l'angle du boulevard qui donnait sur le splendide édifice. Les trois porteurs de sacs à dos bifurquèrent dans une allée qui passait derrière le bâtiment, loin de ses projecteurs et du long tapis rouges déroulé sur toute la longueur du trottoir ; l'entrée principale. Ça, c'était la destination de Nobu qui s'y dirigea avec un air décontracté. Il prit racine à quelques pas de la porte d'entrée et ne bougea plus, sous les regards méfiant des gardes qui étaient beaucoup plus nombreux que d'habitude. Cependant, le Yakuza ne faisait rien de mal et pour le quidam, il semblait attendre quelqu'un.
Nobu n'eut pas longtemps à attendre. Au bout d'une petite demi heure, il reçu un appel. Après une brève vérification du numéro, il rangea le portable dans sa poche et s'approcha de l'entrée de l'hôtel à vive allure. Les gardes s'interposèrent immédiatement en prétextant que tout l'hôtel était réservé pour la nuit.
-J'veux voir Jessica, hurla Nobu en tentant de forcer le barrage humain qui l'empêchait d'entrer. Je suis son plus grand fan. J'veux juste la voir au moins une fois.
Les vigiles habitués à ce genre de forcenés le repoussèrent avec mépris. Bien que ce genre de paparazzi soit énervant, ils n'étaient pas bien dangereux. Erreur, car celui-là savait se battre. Nobu décocha un crochet du droit au vigile qui tentait de le repousser avec une condescendance évidente. Le coup parfaitement exécuté assomma son adversaire pour le compte. Ainsi, commença un combat de rue bruyant et mémorable. Entre les coups qui pleuvaient sur lui et ceux qu'il donnait à l'aveuglette, Nobu s'accorda un sourire de dément en voyant toujours plus de gardes sortir de l'hôtel pour aider leurs camarades.
Pendant, ce temps. Le trio de Yakuza avait réussi à pénétrer dans le bâtiment par la porte réservée au personnel. Bien entendu, cette porte était protégé par un digicode, mais il avait suffit d'attendre qu'un employé sorte pour foncer et la retenir, d'où la nécessité de synchronisation avec Nobu. Par soucis du détail, l'infortuné employé avait été assommé proprement. Il s'ensuivit un léger mouvement de panique parmi les majordomes, les cuisiniers et les femmes de ménage qui se préparaient à rentrer chez eux. La vue de trois hommes en smoking noirs qui couraient, en chargeant les portes de service comme un troupeau de buffles suffit à les figer sur place, tandis que les rares vigiles présent dans les espaces réservé au service se faisait balayer. Sans qu'aucun ordre ne fut donné, le trio se sépara, partant chacun de leur côté. L'un d'eux pu facilement se glisser dans les cuisines, sans prêter attention aux maitres cuisiniers outrés. Il trouva enfin ce qu'il cherchait ; le local où était entreposé les bombonnes de gaz ainsi que les arrivés des tuyaux d'alimentation des gazinières. D'un geste vif, il sortit un des cocktails Molotov que contenait son sac à dos. Il alluma la mèche et l'éclata contre les conduites de propane. Le pyromane prit ensuite ses jambes à son cou en lançant le restes de ces cocktails au hasard tandis qu'il faisait retraite. Il se moquait bien de ses camarades qui étaient parti eux aussi incendier des endroits stratégiques de l'hôtel et ne pensait qu'à sortir de là.
Dehors, le combat s'était terminé sur la cuisante défaite de Nobu. Derrière un voile de sang, il parvenait tout de même à sourire tandis que des lueurs dansantes s'élevaient à travers les fenêtres du palace. Il avait réussi à mettre hors d'état de nuire au moins trois ou quatre vigiles avant de se faire submerger par le nombre. Par contre, il n'entendit pas les sirènes des pompiers qui retentissaient au fond du boulevard. Nobu s'évanouit, fier de son sacrifice réussi qui avait permis de laver son honneur souillé au cours de son échec il y a un mois lors d'une mission. Il savait parfaitement que la prison l'attendait, mais rien n'est plus important que le pardon d'Hatori-sama. C'est ça l'honneur d'un Yakuza...