La description que Yazill fit d'elle choqua Alecto. Son regard passa de sa Maîtresse au Félin d'un coup, incrédule, n'en croyant pas ses oreilles. Il parlait d'elle d'une façon qu'avait ses anciens Maîtres, lorsqu'il évoquait son service, l'insultant presque ou décrivant ses défauts, ses qualités, comme si elle n'était pas dans la même pièce... Ou pire, sachant très bien qu'elle était présente, comme s'il s'agissait d'un meuble ou d'une vulgaire chose dont on n'a pas besoin de ménager la sensibilité. Sa gorge commença immédiatement à lui piquer, et elle détourna rapidement des yeux pleins de larmes, blessée par ces mots.
Qu'il joue un rôle ou non, la petite Esclave n'avait aucune connaissance en ces tournures pour se faire accepter de sa Maîtresse. Et puis, finalement, elle reprit docilement sa posture soumise. Il avait raison, se dit-elle. Elle était ignorante et peu dégourdie. On le lui avait toujours dit. Mais elle avait cru qu'il avait tout de même apprécier ses caresses ? Le cœur lourd, elle entendit clairement Thiana Gian ricaner. Elle, elle sembla trouver ses mots très hilarants.
- Ah ça. Je ne l'ai pas achetée pour ce genre de tâche, vois-tu.
Et vint ensuite tout le baratin sur son petit estomac, celui-là même qui avait fait fondre Alecto si facilement. La Sorcière, elle, resta accoudée sur le dossier, l'observant lorsqu'il parlait, et le laissant bien finir tout son argumentaire en silence, ponctuant cependant parfois par un rictus sonore, levant les yeux au ciel. La Maîtresse serait bien moins facile à convaincre que l'Esclave. Elle lui rit au nez.
- C'est bon, tu as fini ? Thiana, calmement, haussa les épaules avec un sourire carnassier. Peu m'importe ce que toi tu considères comme une dette ou non. Tu es sous mon toit, dans mon établissement, et tu as besogné mon esclave, qui sait si tu l'as engrossée, d'ailleurs. Son visage se ferma une seconde. Je ne te le conseille pas.
La menace était à peine voilée, mais rapidement, la Sorcière se remit à ricaner, et lâcha un soupir faussement désolé, en tournant le haut de son corps vers sa Domestique, même si elle s'exprimait encore à Yazill.
- Mais tu as raison sur un point. C'est elle qui a pris l'initiative d'être généreuse avec toi. Facile n'est-ce pas, d'être généreuse avec les biens d'autrui.
Alecto fut prise d'un haut le cœur en sentant les yeux turquoises la couvrir, et ses oreilles bourdonnaient déjà. Finalement, fatalement, la jeune fille savait qu'elle serait punie avant même que Thiana Gian ne lance avec une voix plus chantante.
- Je vais donc devoir la châtier pour cette faute, merci de me l'avoir rappelé.
A ces mots, l'Esclave se jeta aux pieds de sa Maîtresse, son visage tiré par la douleur de sa cuisse, en collant son nez au sol.
"Pitié Madame, pitié ! Je suis désolée, je ne pensais pas à mal." Mais aussitôt, comme une brave servante, elle sanglotait. "Vous... vous avez raison Madame, je n'aurais pas dû vous voler." Thiana paraissait, du haut de sa chaise, posée avec nonchalance, apprécier le spectacle et l'instant... La petite Domestique, sans même que sa Maîtresse n'ait rien à dire, se redressa pour éviter de lui faire davantage honte, et revint à sa place, près de la porte, les épaules basses. Son regard était terne, malgré l'eau qui en coulait de manière irrégulière, et qu'elle essayait de contrôler.
- Vois-tu, je possède Alecto, elle m'appartient. Son statut ne lui donne droit à aucune possession. Aussi, lui devoir quelque chose, c'est me devoir quelque chose. Tu comptais la payer, même une si petite quantité, en te faisant plaisir ? Je te trouve gagnant sur toute la ligne. Et je ne vois pas vraiment mon intérêt.
La Sorcière tira ses lèvres en un sourire fin, fendant son visage, forçant ses yeux turquoises à se plisser, avant d'accentuer un long soupir théâtral.
- Je ne paye pas mes fournisseurs avec du foutre. Je les paye avec de l'or. Soit tu peux m'en fournir. Soit tu travailles pour moi le temps qu'il faudra.
Visiblement, Thiana Gian avait fait son offre, et c'était à prendre ou à laisser. Son visage assuré et l'aura de puissance qu'elle dégageait laissaient sous-entendre qu'elle n'était pas une femme qui négocie. Alecto, elle semblait aussi figée qu'un être meurtri, cillant à peine, qui n'attend pas grand chose de la suite.