Une toute petite seconde, alors que Yazill ouvrait les yeux, et semblait encore empli de sommeil, et qu’il ne paraissait plus si enthousiaste à l’idée de son baptême, Alecto douta. Oh, ce fut furtif, mais elle se demanda s’il en avait réellement envie. Peut-être que les quelques petites heures où il avait pu dormir avaient effacé ce souhait ? Elle cilla, silencieuse, avant de se sentir soulagée en se disant qu’il était tout simplement très fatigué, et elle aussi d’ailleurs, cela pouvait entraîner quelques latences au niveau de sa réflexion. Plus que d’habitude, toujours.
A sa question, la jeune femme esquissa un sourire, levant son petit menton tout doux pour observer ses yeux encore endormis. Il était vraiment très mignon comme chat.
« Non, Dieu se fiche de notre enveloppe, c’est notre âme qui compte. »
Il est vrai que, là encore, cela différait parfois des dogmes du Culte, mais Alecto était persuadée que le Très-Haut n’apportait que peu d’importance à l’apparence mortelle, faible et temporaire de ses Fidèles. Ce qui importait vraiment, pour elle, était l’âme et le cœur. Les actes, aussi, bien sûr. En se redressant, elle désigna le bol fumant et les biscuits, avec un large sourire innocent d’une sincérité exquise.
« Habillez-vous et mangez, c’est du lait chaud, j’ai mis de la cannelle et du miel dedans. » Affirma la jeune esclave, l’air attendrit de celle qui veut faire plaisir à son invité, presque maternelle.
Lorsqu’il fut prêt, lui laissant le temps qu’il fallait, même si elle se sentait pressée par les autres nombreuses tâches qu’elle avait à accomplir ensuite, la Domestique lui demanda de s’installer près de son petit pupitre, où elle avait disposé les feuillets recopiés quelques heures avant.
« Agenouillez-vous, s’il vous plait. » Fit la petite Alecto, qui se tenait bien droite, les cheveux noirs bien tressés, les mains jointes. La tension monta d’un grand, pour elle, et l’instant devint plus solennel. Se raclant la gorge, elle pinça les lèvres, prit une profonde inspiration, et parla d’une voix qui n’était plus du tout mal à l’aise.
« Yazill, aujourd’hui, je suis émue de vous accompagner sur le chemin de la Foi, pour votre baptême, en ce jour si important pour vous et pour l’Ordre. »
Se saisissant des parchemins, elle lui sourit d’un air doux, et complice, baignée d’une assurance sans faille. C’était là sa véritable nature, sa vocation depuis toujours. Officier. Aucun doute ne la troublait.
« Yazill, répétez après moi : Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de Terra. Je crois le Saint Ordre Immaculé universel, la communion des saints, la rémission des péchés, la résurrection de la chair et la vie éternelle. »
Alors, elle fit un geste pour que le Matou se lève, et continua alors.
« Dieu vous connaît par votre nom et vous accueille sans condition. Aujourd'hui vous demandez le baptême. Pour vous s'accomplit cette parole de l'apôtre : « nous aimons Dieu parce qu'il nous a aimés le premier. » et je suis heureuse de vous accueillir parmi vos Sœurs et vos Frères. »
Alecto se mit à genou, posa ses mains sur ses frêles épaules, baisa chacune de ses joues avec dévotion, et, avec d’une délicatesse extrême, ouvrit un petit flacon caché dans cette même boite où se trouvait la nuit dernière son cilice. Du pouce, elle recueillit une goutte du liquide translucide qui s’y trouvait et apposa un point humide entre les yeux du félin. Se faisant, elle continuait de réciter, d’une voix chantante.
« Je suis la lumière du monde. Celui qui me suit aura la lumière de la vie et ne marchera jamais dans l'obscurité. Je suis la vigne, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruits. C'est par la grâce de Dieu que vous avez été sauvés, au moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est le don de Dieu. »
Mais, malheureusement pour Yazill, Alecto se sentait si pleine d’enthousiasme, que ce baptême n’en finissait pas. Cependant, à voir son visage illuminé comme une madone, on pouvait sans doute le lui accorder encore un peu…
« Dans votre faiblesse, Dieu mettra sa force, il sera votre joie et votre paix, Yazill. Il proclame aux captifs la délivrance, à ceux qui se reconnaissent captifs du péché, qu’ils n’arrivent pas à faire le bien qu’ils voudraient faire, mais le mal qu’ils ne veulent pas. »
Alecto se releva, masquant comme elle pouvait une grimace douloureuse, et reprit enfin pour conclure.
« Yazill, vous avez été accueilli par Dieu en son cœur, vous ne serez plus jamais seul. » Ses yeux étaient luisants, et humides, à vrai dire. Elle replia soigneusement ses parchemins, qu’elle avait finalement eu à peine à lire, tant elle avait déclamé par chœur.
« Je vous invite à prier, maintenant. » Baissant les yeux, elle s’écarta de quelques pas, mais la pièce n’était pas bien grande, et ne permettait pas une parfaite intimité dans le recueillement.