Des vacances. Lorsque son père lui avait annoncé la nécessité d'une telle chose, Ike avait eu du mal à le croire. Était-ce un de ces énièmes malaises d'après-concert qui avait fait craindre au vieux producteur une dégradation de la santé de sa poule aux œufs d'or ? C'était peu probable. D'aussi loin que le chanteur s'en souvenait, il n'avait jamais été très vaillant après une représentation. Vomir, en particulier, était pour son corps comme la façon d'évacuer le stress. Du reste, il ne se sentait pas fatigué le moins du monde... Il aurait volontiers enchaîné sur une seconde tournée.
Il ne savait comment il devait prendre la chose, mais était par expérience méfiant envers son propre père. Celui-ci était tout autant un complice dans certains moments qu'un terrible producteur dans d'autres. Ike le soupçonnait au moins de vouloir l'éloigner des milieux underground qu'il fréquentait parfois. Il ne pouvait pas tellement lui en vouloir. Mais il ne savait pas davantage comment il allait vivre ce brutal changement, de l'activité intense des concerts à la décompression d'un repos lascif.
C'était donc perplexe qu'il avait pris un avion pour Valence : une région très touristique de l'Espagne. Il commençait tout juste à être connu, là-bas. Aussi, il ne parlait pas du tout espagnol. Une fois sur place, un chauffeur l'avait dans une petite ville non-loin, sur les bords de la méditerranée, jusqu'à sa résidence de vacances.
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Du bout des doigts, Ike jouait à retourner les galets qui peuplaient le fond d'un ruisseau d'eau design, coulant à l'intérieur même de la maison. Le chanteur était dans une certaine mesure habitué au luxe... mais il n'avait jamais eu l'occasion d'en profiter ainsi. Tout dans la demeure, destinée à être louée par une clientèle très fortunée, frôlait l’indécence. Si la demeure n'était pas particulièrement vaste, chacune de ses pièces offrait un confort particulier.
Celle dans laquelle il se trouvait faisait office de salon et de véranda. Elle présentait trois murs de verre et de portes coulissantes, largement ouvert sur l'extérieur. Un peu partout étaient surélevés des rigoles d'eau tiède, qui chutaient dans des petits bassins artificiels en un glouglou constant mais agréable. La luminosité de l'installation était remarquable.
La pièce était prolongée par un patio, qui abritait une piscine en deux compartiments, pavé tout autour d'une mosaïque crème. Le jardin : gazon vert et plantes tropicales type palmier, était couvert des regards des voisins par de très hauts murs en bois brun.
Ike, lui, était en maillot de bain, tee-shirt, sur un transat confortable. Il semblait pensif, ce qui n'était pas son habitude. Des pas, en provenance de l'intérieur de la résidence, s'approchaient. Sans même se retourner le chanteur lança :
–
Ah, JK ? Mets un peu de musique s'teup. Je m'ennuie grave. Dis, y'a quoi de cool à faire à Valence ?–
Tu t'ennuies ? J'apporte des bonnes nouvelles, alors.–
Mon vieux est mort, on rentre au Japon ?–
Mauvais goût, gamin. Non. Mais la locataire de l'autre chambre arrive dans cinq minutes.–
Hein ?Le chanteur avait fait un quart de tour vers son agent, se redressant en position assise. Il sembla soudain réaliser quelque-chose d'important.
–
Attend, mais, qu'est-ce que tu fous à Valence ? T'es mon agent, pas mon frère. T'es pas supposé prendre tes putains de vacances avec moi.–
Je suis pas en vacances. D'ailleurs toi non-plus. T'as eu ton week-end, maintenant au boulot.–
Q... quoi ? C'est qui ? LA locataire ? Pourquoi on me dit jamais RIEN ?Ike avait l'air furieux... mais JK le connaissait assez bien pour savoir que c'était là davantage sa façon d'exprimer son intérêt pour la situation. Il ouvrit les bras.
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Tu vas passer la prochaine semaine avec une artiste japonaise.–
C'est un plan comm' foireux ? Non. Je veux pas. Merde. T'entends ? M.E.R.D.E.–
Trop tard, elle est à la porte.–
Alors c'est moi qui me casse.–
Sois pas con gamin. Elle est musicienne aussi. Vous allez bien vous entendre. Et puis regarde.L'agent sorti de la poche de son costume une seule page A4, en couleurs. C'était la première page d'un magazine qui disait « I|<3 prépare un EP avec Luo Tianyi ». La maquette était encore vide de toute photo.
–
Qu'est-ce que c'est que ça ? fit Ike en arrachant des mains de son agent le document.
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La Une de SHOXX de demain.–
Tu te fous de ma gueule ?–
Non. Il manque les photos, d'ailleurs, tu vois. Couverture et double-page centrale. Plus peut-être quelques autres dans le corps de l'article.–
Sérieux...Ike se frotta les yeux. Secouant la tête, il agita dans les airs un index menaçant, pointant son agent, avant de relâcher son bras.
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Toi je... je... ok... Je mets un pantalon ?Un bruit de porte électrique s'ouvrant se fit entendre non-loin.
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OK... Trop tard. Bon euh. JK. Euh... Casse toi. Je veux plus te voir, file.Avec un soupir, Ike se redressa. Il portait un tee-shirt blanc sans manche où figuraient sur la poitrine des ronds fluo mêlés les uns aux autres, et un maillot de bain style short, vert vif. Il n'était pas coiffé, pas de gel, ce qui faisait tomber sans ordre ses cheveux roses et blond pêle-mêle sur son visage, lui en masquant la moitié. Terminant ses jambes nues et glabres, à ses pieds, des sandales.
La maison elle-même n'était pas fermée (elle ne l'était qu'en hiver, quand personne ne venait la louer), mais la clôture extérieure avait une ouverture coulissante via un code d'entrée. C'était celle-ci qui venait de s'ouvrir. L'air intrigué, Ike s'avança vers le portail, en contournant par l'extérieur de l'habitation.
L'entrée était accompagnée d'un court sentier de galets blancs, cheminant à travers l'herbe. On pouvait apercevoir un coin de la piscine, bien que la majorité du bassin soit caché par le large bâtiment blanc et vitré. La verdure tropicale était maîtrisée et accueillante, et le soleil filtrait abondamment à travers les feuillages.
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Ambiance –