C'était réellement fascinant. Ce monde, ces bâtisses, ces odeurs. Un véritable retour en enfance. Pour Valian, cela datait de plusieurs siècles, et il n'aurait jamais pensé retomber dans cette ambiance. Les sensations étaient les mêmes, et les rares souvenirs qu'il gardait de cette époque collait bien à ce que les gens d'ici appelaient Terra. Il ne pouvait pas rester indéfiniment, mais ce lieu l'intriguait, et il comptait bien l'étudier autant que possible, tout en menant à bien ses recherches sur Terre. C'est d'ailleurs ainsi qu'il s'était retrouvé sur Terra, en fouillant les immensités du Japon. L'une des particularités de Valian était de maîtriser la projection astrale, qui lui permettait de "sortir" de son corps pour se balader, et ainsi voyager plus vite que le vent, voir ce qu'il désirait sans être vu. Le désavantage de cette technique était de laisser son corps inerte et donc à la merci de quelqu'un de mal intentionné. Il faisait ça généralement de chez lui, pour ne rien risquer.
Ses derniers essais tenaient compte de remarques et d'études qu'il avait pu consulter dans des livres obscurs, et sur Internet. La plupart était fantaisiste, mais certains semblaient contenir une part de vérité. On parlait d'autres mondes, de passage entre ces mondes, et de manière d'y arriver. Pour un esprit cartésien, cela relevait de la folie. Mais pour Valian, habitué à découvrir des choses toutes aussi improbables les unes que les autres, cela méritait d'être étudié. Cette fois là, il visualisa l'une des images décrites lors de ces expériences que relataient plusieurs personnes, et essaya d'y projeter son corps, et non seulement son esprit. Après plusieurs échecs, la récompense fut au rendez vous. En un instant, il se trouvait là, dans une ville inconnue, et dont l'architecture ne laissait aucun doute : il n'était plus à l'époque moderne. Il lui avait fallu se changer, trouver un abris pour ne pas rester au dehors en pleine nuit. Une gargote de cette ville faisait l'affaire, et tant qu'il pouvait payer, on ne lui poserait pas de question. Le passage fut bref, mais il revint les nuits suivantes, voyageant entre Terre et Terra, améliorant aussi sa technique. L'aubergiste ne voyait aucun problème à lui garder une chambre à l'année, tant que l'or lui tombait dans la main. Il ne posa pas plus de questions quand Valian exigea un verrou à sa porte.
Cela faisait deux semaines à présent qu'il traînait sur Terra. Il avait suivi plusieurs personnes, généralement des non-humains, pour mieux se faire une idée de ce que comportait ce monde. Mais malgré sa discrétion, il avait remarqué les regards, et capté les ragots sur son compte. Tant que personne ne l'embêtait, il ne voyait pas de raison d'éteindre les rumeurs. Son allure et son étrangeté attireraient de toute manière l'attention des gens, alors essayer de les fuir complètement était vain. Attablé dans la salle commune de l'auberge, le vampire griffonnait des notes sur une feuille de papier provenant de Terra. Il scrutait la salle et notait chaque détails intéressants qu'il pouvait apercevoir. Ici un hybride, là un homme faisant preuve d'une vitesse hors du commun ... Ce monde recelait des trésors qu'il comptait bien s'accaparer.
Son regard dévia subitement, alors qu'à moins de deux mètres de lui, une jeune femme venait de se mettre à danser. L'orientale fixait les deux hommes à la table face à elle, remuant ses bras dans des courbes lancinantes comme savent si bien le faire les danseuses. Malgré le voile qu'elle portait, Valian la dévisageait sans peine. Ce genre d'artifice ne marchait pas avec lui, et il remarqua les oreilles pointues de l'inconnue. Elle n'était pas humaine, c'était acquis. Dans sa tenue sobre et noire, faite d'une redingote, d'une chemise grise et d'un pantalon simple, il était bien moins excentrique que les deux braillards devant lesquels elle dansait. Peut-être pensait-elle qu'il ne donnerait pas de pièces pour le spectacle. Continuant à observer du coin de l'oeil, il tiqua. Elle venait de jeter un bref coup d'oeil vers lui. Pas un regard franc, mais juste de quoi vérifier s'il la regardait. Elle répéta ce petit manège deux, trois fois, et Valian tira de lui même ses propres conclusions : elle dansait dans le but de se rapprocher de lui, pas pour les deux ivrognes.
Sa main se fourra un instant dans sa poche, et il en ressortit une pièce, qu'il déposa sur la table, bien en évidence. Regardant franchement la danseuse, il attendit que les regards se croisent pour lui désigner de la tête la pièce. Une incitation silencieuse à changer de table en somme. Le regard rouge coula sur l'entièreté de la demoiselle alors qu'elle esquissait un mouvement vers lui. Il se mit même à sourire, d'une façon avenante.
Que me vaut votre attention ?
Le sourire se fit plus malicieux. Sans être dupe, il savait qu'il plaisait aux femmes et pour lui, c'était la raison de l'approche de l'inconnue. Pour l'instant, il n'entrevoyait clairement pas d'autres raisons pour lesquelles elle tenterait de venir vers lui. C'était flatteur, autant en profiter. Les deux hommes jurèrent quand elle se détourna, probablement déçu de ne pas en voir plus. Valian n'en avait que faire, si elle était autant digne d'intérêt qu'il le soupçonnait, il n'allait pas la laisser à la merci de ces rustres. Au pire, une tournée de payer leur feraient oublier la donzelle et retourner à leur ivrognerie.