Quelques jours plus tard...
DoomstadtLa stratégie initiale, l’infiltration du château pendant une cérémonie sportive, avait dû être revue après l’attaque des forces de Latvérie, qui avait contraint les forces du SHIELD à décaler l’assaut, afin de se regrouper, et d’affiner leur stratégie. C’était l’occasion de se renseigner sur l’état de la Latvérie, derrière les chemins soigneusement balisés pour les observateurs internationaux, en se perdant dans la campagne profonde, ou tout simplement dans les quartiers de Doomstadt qui ne longeaient pas le château. La Latvérie avait beau être devenue une démocratie, la différence avec le régime précédent ne sautait pas aux yeux. Il y avait des soldats à chaque coin de rue, car, officiellement, le gouvernement craignait une insurrection de loyalistes de Fatalis. La Latvérie avait beau avoir ouvert ses frontières aux capitaux étrangers et aux investisseurs, les mouvements de personnes, eux, faisaient toujours l’effet de contrôles étroits, rendant le pays aussi verrouillé que la Corée du Nord. Lucia Von Bardas semblait juste avoir oublié le culte de la personnalité cher au Docteur, même si les immenses statues à son effigie étaient toujours érigées, ici ou là, Von Bardas s’en étant justifiée par le fait que les retirer risquerait de provoquer des émeutes, Fatalis étant toujours très populaire au sein de la population.
Marine, puis super-héroïne, et maintenant espionne... Rachel multipliait les casquettes, en croyant être devenue un membre de la CIA, envoyé pour mener des opérations de sabotage derrière les lignes ennemies, ou pour récupérer des scientifiques, comme à la bonne vieille époque de la Guerre Froide, où le monde pouvait se permettre d’être binaire. Maintenant, elle voyait un pays démocratique qui n’avait de démocratique que le nom. Partout, le peuple continuait à louer les mérites de Fatalis, un véritable patriote. Elle avait vu que la seule idée de rejoindre l’Union Européenne suffisait à déclencher des ulcères à répétition chez la population. Elle qui s’attendait à trouver une population opprimée avait certes vu la pauvreté, mais aussi, essentiellement au sein des pauvres et de la classe ouvrière, une grande estime pour Victor von Fatalis.
Docteur Doom, comme on l’appelait, était la définition typique du «
tyran bienveillant ». Sa technologie avait permis d’améliorer les récoltes de la Latvérie, ainsi que le système de santé, en échange pour un culte du chef exacerbé...
«
Un tyran mégalomaniaque vaut toujours mieux que des baveux en costume-cravate qui dilapident les richesses d’un État au nom d’intérêts prétendument supérieurs. »
Il y avait, chez ces Latvériens, ce paradoxe que, selon eux, la démocratie occidentale amenait, non pas des dirigeants se préoccupant de leur pays, mais des individus corrompus, qui parlaient toujours d’intérêts supranationaux. La seule idée de rejoindre une organisation régionale effrayait les Latvériens, et le fait que Von Bardas ait un jour envisagé la possibilité de rejoindre l’Union Européenne avait déclenché une levée de boucliers. Les Latvériens se vantaient d’avoir été l’un des rares pays européens à avoir pu repousser les nazis, un fait essentiellement dû au fait que le pays était perdu dans les Carpates, et qu’il avait su former avec la Symkarie, un autre petit pays européen proche et également isolé dans les montagnes. Deux royaumes historiquement ennemis qui avaient fini par se rapprocher sous la menace des puissances étrangères. Un culte de la résistance au monde extérieur imprégnait ainsi les Latvériens, ce qui expliquait pourquoi Fatalis avait été un aussi bon dirigeant.
*
Mais il n’y a que les Occidentaux qui parlent de lui au passé... Pour tous les Latvériens, Von Bardas n’est qu’une passe...*
Était-elle la poupée de Fatalis ? Une marionnette qui était manipulée, dans l’ombre, par le tyran de Latvérie ? Rachel ne savait plus trop quoi penser.
«
On approche du lieu de rendez-vous... »
Elle gara la voiture le long du trottoir. Après l’épisode dans le chalet, il y avait eu une dispersion, aussi bien de la cellule du SHIELD, que de la résistance. Rachel était restée en contact, tout en retournant à Doomstadt. Elle avait de nouveau utilisé sa couverture avec Drake, s’attendant à chaque fois à voir des soldats taper à leur porte pour les emmener dans les geôles de la Latvérie. Rien de tout ça n’était, fort heureusement, arrivé, et elle avait fini par recevoir un message, sous la forme très basique d’un courrier déposé en pleine nuit sous le palier de leur porte. Le courrier était très sibyllin, comprenant juste une adresse, une heure et une date.
L’adresse renvoyait à un endroit assez huppé : une discothèque plantée au milieu du quartier urbain de Latvérie, un quartier qui, sans modifier l’architecture historique de la capitale, se composait de rues piétonnes, et de multiples boutiques. C’était le quartier économique du pays, avec de nombreuses boutiques, des commerces florissants... Et avec une femme poussant un fauteuil roulant.
«
C’est là... »
Elle se rapprocha de la boîte de nuit en filant sous des arcades. Il y avait parfois quelques patrouilles militaires, des drones de sécurité flottant dans les airs... Et, toujours en hauteur, la silhouette impressionnante du château Latvérie. Plusieurs videurs se trouvaient à l’entrée, et Rachel était au milieu de multiples badauds, certains portant les tenues traditionnelles de Latvérie, de longues robes évoquant des
djellabas. Historiquement, la Latvérie avait été envahie par les Turcs, à l’époque du Sultan Soliman le Magnifique. On en voyait encore les traces. Rachel s’avançait lentement, et, sans s’en rendre compte, arriva à un angle mort au niveau des caméras de sécurité, en fonction des voûtes et des arcades.
«
Vous avez mis le temps... »
La voix venait de la gauche. Rachel tourna la tête, et vit une femme adossée contre le mur, et dut mettre plusieurs secondes d’effort avant de la reconnaître...
Black Widow !Cette dernière leur fit un léger sourire, comme pour justifier qu’elle pouvait être sexy dans n’importe quelle tenue. Elle leur lança une carte plastiquée.
«
Rentrez dans le club, et présentez cette carte. Vous rejoindrez le salon VIP. -
Euh... D’accord. »
Natalia était déjà partie, et Rachel contempla, un peu béate, la carte. Sans trop savoir comment Natalia avait fait, la carte avait été faite au nom de Drake Noventa, et lui offrait l’accès au salon VIP de la boîte de nuit.
«
Bon... Je suppose qu’on n’a pas d’autres solutions, de toute façon, fit-elle en s’adressant à Drake.
Prends-là, elle est à ton nom, après tout. Moi, je me contente de pousser... »