La pluie. Mordante et tenace. Un déluge de feu glacé s'abattant sur Nexus.
Oubliées les journées ensoleillées, les balades sur les petits chemins de terre à l'orée d'un bois, la cerise cueillie dans un pré, pendant que des soudards étiquetés Law torturent un comte dont ses pairs veulent se débarrasser au pied dudit arbre fruitier. Aujourd'hui c'est pluie.
Ça ne l'empêche pas de sortir. On ne change pas les bonnes habitudes. Prendre l'air dans Nexus lui permet de garder la conscience du monde tel qu'il est réellement : Sale, terne, vieilli de ses démons qui ne laissent pas les jeunes naïvetés indemnes, abruti par les substances dont on l'abreuve, la drogue, les fluides, la bêtise, autant de choses dont il est un fin pourvoyeur... Mais surtout, le monde est à ses pieds. Et c'est ainsi qu'il a surtout besoin de le ressentir.
La drogue, justement. Ces chiens galeux qui lui en achètent ne se rendent pas compte à quel point ils sont des rampants dépendant de sa volonté. La liberté que leur offre l'évasion par ses psychotropes ? Une illusion. Ils sont des prisonniers dans sa cage de fer pleine d'étoiles et de paillettes. Le bonheur, le sien, n'est pas simulé. Il est totalement réel. Pour être heureux, il suffit de le vouloir, répétait-il a l'envi. Peu importe d'être riche, d'avoir des amis, du pouvoir. Le vrai bonheur, c'est de marcher sans réel but. De regarder le monde autour évoluer, et s'en détacher.
Il connut le temps où son seul moyen de vivre était la rapine. Voler trois fruits sur le marché, dormir contre le mur des maisons. L'automne et l'hiver lui semblaient interminables, et le redoux du printemps était une délivrance pour sa conscience et son sommeil. Aujourd'hui, il a un toit, une assiette pleine. C'est tout ce à quoi il s'attache. Si demain il devait redevenir sauvage, abandonner son rôle de parrain des bas-fonds, sa charge d'esclavagiste et son sacerdoce de gardien de l'ordre du crime, peu lui importerait. Il emmènerait avec lui de quoi se nourrir, et s'évaderait loin, dans une cabane près d'une rivière. Il retrouverait une vie simple. Et le bonheur serait toujours là.
Presque sorti des bas-fonds, Law croise un type faisant la manche. Il se revoit alors, à 7 ans, fouillant le fond des poubelles pour en extraire le moindre quartier d'orange à moitié gâté par la moisissure, et profitant de son jeune âge pour amadouer les passants et leur soutirer quelques piécettes en faisant jouer l'émotion d'une juvénilité livrée à elle-même. Ce mendiant-là n'est plus tout jeune. Il doit approcher la trentaine, comme Law.
Le criminel se penche sur lui, l'examine un instant, puis sort une pièce d'argent de sa poche.
-Tu vois, ça ? J'en ai des coffres entiers. Tu sais comment j'ai fait ? Je n'ai jamais pris la moindre substance. Tu pue la drogue à 100 mètres, pauvre con. Et maintenant t'es dépendant de ton trafiquant, t'en viens même à penser qu'il est ton ami. Mais tu es son jouet, et t'es tellement rongé que tu ne t'en rends pas compte. Débectant.
Il lui tend la pièce, et se relève.
-Si t'arrives à faire le bon choix entre te payer de la bouffe et te payer ta dope, tu trouveras ton dealer pour lui dire que son boss t'offre un boulot. Honnêtement payé.
La paye est honnête, pas le boulot... Mais il s'en rendra compte plus tard.
Sur le marché. Couvert par son parapluie, il vogue entre les étals. Sa vision étant constamment obstrués par les reminescences du passé, il se revoit encore, furetant au même endroit, sa tête dépassant à peine les cageots de pomme, laissant une main s'aventurer pour en escamoter une bien rouge, bien mûre, avant de se faufiler dans la foule pour disparaître et manger son larcin.
Ses rêveries sont brusquement bousculées. Un garde du corps s'écroule à côté de Law. Les deux autres saisissent leur boss, l'écartent promptement avant de se dresser en bouclier contre un éventuel agresseur. Mais celui-ci est loin d'être mauvais : En deux esquives et trois prises, il les neutralise. Les regards de l'assaillant et du mafieux se croisent alors. Law est prêt. Ça promet un combat épique.
... Ou pas. Survenant derrière lui, un autre lui assène un puissant coup de coude dans la nuque, terrassant le polyglotte, qui tente de se rattraper à un étalage de vêtements pendant sa chute, s'écrasant mollement à terre en renversant toutes les marchandises sur lui. Immobile, las. La pluie tombe sur son visage. L'ultime. Est-ce ainsi que tout doit se finir ? Il voit apparaître au-dessus de lui le deuxième visage, celui qui l'a pris en traître. Mourir ainsi. Pitoyable. Bouge-toi, Law, bouge-toi. Tu as déjà subi pire. Tu as déjà enduré les limites de la mort. Tu es au-dessus de tout ça. Tu peux te révolter et les massacrer.
L'esprit en décide autrement. Il a besoin de se reposer. Il s'éteint.
Les yeux se ferment. C'est terminé. Adieu.