Nariko s’avança dans la grande pièce centrale, tandis qu’Alastyn s’écarta. L’Archidiacre lui offrit un sourire bienveillant, et s’avança ensuite. La bibliothèque comprenait plusieurs mezzanines, et de nombreuses tables de lecture. On trouvait ensuite de grandes rangées de livres, et l’Archidiacre s’avança au milieu. En regardant autour d’elle, Nariko ne tarda pas à voir, sur le sommet d’une étagère, la silhouette de Kaï, qui disparut tout aussi rapidement. Elle parvint à ne pas sourire, mais était soulagée de savoir que Kaï, non seulement avait réussi à entrer dans la bibliothèque par le toit, mais veillait encore sur elle. Nariko suivit l’Archidiacre.
« La bibliothèque de Nexus est l’un des plus hauts lieux de savoir de tout Terra, expliquait l’homme. Ceci n’a rien d’étonnant ; c’est la plus grande ville du monde, et elle est majoritairement tournée vers le commerce. Elle a côtoyé d’innombrables civilisations, et est au croisement de bien d’entre eux. C’est un carrefour commercial mondial... »
Linoge continuait à parler, désignant ici et là des étagères. Il y avait de grandes échelles pour permettre d’aller chercher des livres, et de nombreux gardes dans les coins. Les parties sombres étaient éclairées par des espèces de gemmes magiques, et Linoge vantait Nexus. Il lui expliqua que la ville était l’un des plus hauts fiefs de l’Ordre, et palabrait sans arrêt, agaçant Nariko.
« Que me voulez-vous ? » le coupa-t-elle alors.
L’Archidiacre se tut brièvement, et réfléchit un peu, un pli soucieux traversant son front dégarni, avant qu’il ne réponde :
« Vous protéger. Croyez-le ou non, mais mes intentions à votre égard sont tout à fait honorables. »
Nariko ne put s’empêcher de rire sardoniquement à cet aveu.
« Je crois que, vous, les Nexusiens, avez un proverbe pour désigner les individus qui ont des intentions tout à fait honorables. Quelque chose en rapport avec un couteau à planter dans un cœur. »
Ce fut au tour de l’Archidiacre de sourire, amusé, avant de répliquer rapidement :
« Pour être honnête, mes préoccupations à votre égard concernent surtout cette épée que vous portez fièrement dans votre dos.
- Je me doutais bien que ma plastique n’était pas le seul élément qui vous a conduit à intervenir auprès de mon auguste personne. »
Nariko était nerveuse, mais elle avait l’impression que cet homme, comme tous les hommes de pouvoirs, lui dissimulaient quelque chose, qu’il jouait avec elle, et voulait lui voler Heavenly Sword. En ce sens, sa méfiance lui apparaissait comme tout à fait normal. Elle ne pouvait pas se fier à un individu qu’elle ne connaissait pas, et qui prétendait vouloir l’aider. C’était toujours de ces gens-là qu’il fallait se méfier en priorité.
« Je fais partie de l’Ordre depuis des années, et, en ma qualité d’Archidiaicre, je suis responsable de l’un des nombreux diocèses de Nexus. Je suis l’inférieur de l’un des évêques de Nexus, mais ce n’est pas lui qui m’a délégué afin de vous rencontrer... C’est l’archevêque de Nexus en personne qui désirait s’assurer de votre identité. »
Pour Nariko, qui connaissait un peu l’Ordre, elle savait que l’archevêque de Nexus était un individu particulièrement puissant. Il devait avoir une énorme influence, et elle se demandait bien pourquoi il voulait la voir... A moins que ce ne soit pour lui voler son épée. Cette idée sembla traverser l’esprit de l’archidiacre, qui tenta de rassurer Nariko :
« Notre objectif n’est pas de vous ravir Heavenly Sword, loin de là... Vous avez réussi à dompter cette épée que nous considérons comme un cadeau du Dieu-Maître. L’Église n’a pas de désirs hostiles entre vous. Dites-moi... Connaissez-vous la légende de cette épée ? Ses origines ? »
Nariko haussa les épaules.
« La légende est connue chez moi... »
Selon cette légende, l’épée était dans les mains d’un homme il ya des millénaires, l’Élu, qui avait utilisé cette épée pour triompher d’un vil tyran, un individu monstrueux, homme pour certains, démon pour d’autres, qui avait ensanglanté toute la région. Cet homme avait ensuite offert l’épée au clan de Nariko, et, depuis, on attendait le retour d’un Élu...
« Vos actions contre le Roi Bohan ont probablement du vous faire comprendre que cette version actuelle de cette légende est quelque peu...
- ...Mensongère ?
- Erronée, préféra dire l’homme. Cette légende existe depuis des millénaires, et, dans votre clan, à tradition orale, il est normal qu’elle ait évoluée. Vous avez du comprendre que ces histoires autour de l’Élu étaient un peu tirés par les cheveux... L’Élu devait être un mâle, et l’épée a pourtant révélé tout son potentiel à une femme.
- J’ai entendu parler du sexisme ambiant au sein de l’Ordre...
- Cette réputation tend de plus en plus à s’affaiblir... Nous avons une cathédrale à Tekhos, rappelez-vous. Mais ne nous égarons pas... Pour nous, hommes de foi, votre épée était celle que l’Homme-Jésus portait lorsqu’il est venu en ce monde.
- Vous vous foutez de moi ? »
L’archidiacre eut un sourire. Prononcer un juron devant un homme de foi pouvait être très mal perçu, a fortiori dans une bibliothèque, d’autant plus que Nariko, sous la surprise, avait haussé le ton.
« D’autant plus que je vous croyais religion pacifiste...
- Ce à quoi je ne peux que vous répondre en citant l’un de nos Évangiles : ‘‘Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée’’, affirmait l’Homme-Jésus. C’est sur le fondement de cette tirade que nous avons fondé des ordres militaires. Parfois, et de manière très paradoxale, la paix exige des actes guerriers.
- Ok... Et quel rapport avec Heavenly Sword ? »
L’archidiacre lui parla brièvement du Sauveur, l’Homme-Jésus, aussi appelé le Christ. Il était venu accomplir des miracles, il avait soigné les femmes et les enfants, aidé les miséreux, mais s’était aussi battu. Et plusieurs contes et histoires rattachées aux Évangiles affirmaient qu’il avait avec lui une épée, l’utilisant pour repousser les démons. L’Ordre prêchait, non seulement l’amour entre les prochains, mais aussi une rigidité morale. Cette épée avait disparu, et, depuis lors, beaucoup de charlatans avaient proposé des épées factices.
« Je ne peux malheureusement vous en dire plus... L’Archevêque tient à vous raconter cela par lui-même.
- Et pourquoi irais-je le voir ?
- Parce que le savoir que vous recherchez ne se trouve pas dans cette bibliothèque. »
Nariko fut surprise, et essaya de le masquer. Cet homme savait décidément bien des choses sur elle.
« Je ne vois pas de quoi vous voulez parler... »
Un sourire amusé éclaira à nouveau les lèvres de l’homme obèse, qui répondit doucement :
« Pour survivre à Nexus, manier une épée n’est pas la seule chose requise. Il faut aussi savoir mentir, ce qui n’est pas encore votre cas. »
Nariko ne sut quoi répondre face à cela, et Linoge continua :
« Je vais vous remettre un sauf-conduit qui vous autorisera à vous rendre dans le quartier de Bellevue librement. Rendez-vous dans les plus brefs délais au palais épiscopal, et... Évitez de laisser votre jeune amie grimper sur le toit du palais, les gardes de l’Archevêque sont moins conciliants que ceux de la bibliothèque... »
Encore une fois, Nariko fut surprise, et ses yeux se portèrent instinctivement vers les hauteurs... Avant qu’elle ne se fustige elle-même, sous le regard amusé de Linoge.
*Merde !*
Elle avait tant de questions, mais aucune ne lui venait à l’esprit. Comment ce type savait-il toutes ces choses sur elle ? Il lui tendait une enveloppe, et, précautionneusement, elle la prit, et la consulta. C’était une belle lettre, avec une écriture fine et soignée, un sceau et une signature émanant de l’Archevêque en personne. Tout ça avait l’air officiel, et lui donnait le droit de se rendre à la Bellevue. C’était l’un des quartiers les plus huppés de Nexus, si huppés qu’il était restreint d’accès suite à la promulgation d’un décret d’urgence. C’était la Révolution, après tout. On y trouvait les manoirs et les résidences des barons, des ducs, et le palais épiscopal.
« J’aimerais répondre à toutes vos questions, mais mon rôle se limitait simplement à vérifier votre identité, et à vous remettre ce papier.
- Je...
- Vous pouvez continuer seule vos croisades contre les démons noirs, mais, honnêtement, vos chances de succès sont infimes sans notre aide.
- Les... Attendez, les démons noirs ? Mais qu’est-ce que tout ça veut dire ?! »
Linoge secoua la tête, et s’écarta. Nariko fut bien tentée de le suivre, mais deux gardes l’empêchèrent de passer. Pestant, elle resta sur place comme une gourde, et se mordilla les lèvres. Elle retourna ensuite voir Alastyn, et lui expliqua ce qui se passait. Autant dire que la guerrière était troublée, et ne savait clairement pas quoi faire. Tout ça ressemblait à un piège, mais, en même temps, si l’Ordre avait voulu récupérer son épée, ils auraient sûrement déployé d’autres méthodes. Peut-être bien que ce Linoge disait vrai, d’autant plus qu’il avait l’air d’en savoir long sur elle... Mais Nariko était par nature très méfiante. Et comment avait-il pu repérer Kaï ? La jeune femme était généralement très discrète. C’était à n’y rien comprendre ! Et ces démons noirs... Parlait-il du Fantôme ? Disait-il la vérité quand il affirmait que Nariko ne trouverait rien d’intéressant ici ? Il était possible que l’Ordre ait censuré toutes les informations ayant trait aux « démons noirs »... La guerrière se sentait larguée... Mais le sauf-conduit qu’elle avait était officiel. Pourquoi se donner cette peine, si c’était simplement pour lui tendre un traquenard ?