Le gros monstre était plutôt résistant, et costaud. Rozalia avait été boulée contre une cabine, et avait porté la main à sa dague, prête à s’en servir, lorsqu’elle entendit des coups de feu. Rinako venait probablement de lui sauver la vie, mais les balles ne purent pas percer le tas de graisse de la bête. La Celkhane utilisa donc sa magie, et Rozalia assista à un spectacle de flammes et de feu. La peau du monstre brûla bien, et la bête poussa des couinements en sentant le feu brûler sur lui. Elle tenta de s’échapper, se roula par terre, mais sans réussir à étouffer les flammes, heurtant les murs, traquée par Rinako. Rinako se chargea ensuite d’achever la bête. Elle était furieuse, et voyait là l’occasion de se défouler sur lui. Furieuse, mais aussi terrorisée. Elle acheva le monstre en mettant sa main en lui, le faisant flamber.
« C'est ça ! Crie ! Respire ! Crame-toi les poumons ! »
Rozalia, qui était restée assise, s’agrippa à un lavabo pour se redresser. Les gémissements du monstre étaient plaintifs, et de plus en plus faibles. Rinako l’acheva donc, le faisant cramer de l’intérieur, et le monstre, dont la carcasse était noircie, s’écrasa sur le sol. Redemption regardait la Celkhane, légèrement méfiante. La magicienne était dangereuse, et elle commençait à comprendre que la jeune femme était relativement instable, mentalement parlant. La magie était intimement liée aux sentiments, ce qu’elle savait, à force de côtoyer Salvation. Rozalia ne savait pas quoi dire, et Rinako décida donc de passer à autre chose :
« On continue. »
Le ton était assez sec, et Rozalia se permit un dernier regard pour la carcasse, avant d’hocher lentement la tête, et de la suivre. Elle préféra ne pas revenir sur ce qui s’était passé, sur la lueur qu’elle avait cru lire dans les yeux de la Celkhane. La magie... Une arme dangereuse, un outil à double tranchant. La magie n’était pas faite pour les humains. Les deux femmes sortirent des toilettes, et Rozalia suivit Rinako le long du couloir, avant de reprendre le déroulement des opérations.
Elle n’avait toujours aucune nouvelle de Nika, et se rassurait en se disant que la femme devait aller bien. Impossible de savoir où elle était, mais Rozalia connaissait suffisamment l’impulsive Tekhane pour savoir qu’elle n’était pas du genre à mourir facilement. Pour l’heure, il fallait rejoindre les tramways, et quitter ce bunker. Si Nika était encore en vie, c’est probablement par là qu’elle se rendait. Elles avancèrent dans un couloir vide. Plusieurs des lourdes herses de sécurité avaient fondu, et des appareils électroniques brisés, comme des lampes, répandaient dans les coins des étincelles. La silencieuse marche des deux femmes les conduisit néanmoins devant un trou. Une grenade avait du faire un trou. Les impacts de balles dans les murs, les quelques cadavres jonchant le sol, confirmaient cette impression.
Rozalia descendit la première, et longea un autre couloir. Une alarme sonnait faiblement dans un coin, et, alors que la jeune femme se dirigeait vers la lueur rouge, son transmetteur se mit à crachoter.
« Roz... ‘Lia ! »
C’était la voix de Nika, qui semblait venir de loin. Il semblait y avoir des interférences, et Redemption s’arrêta, se bouchant l’autre oreille avec sa main pour essayer d’entendre au mieux.
« Nika ! Nika !
- ’Tion... ‘Songe... ‘Pas... ‘Del !!! »
Des coups de feu vinrent résonner dans l’oreille de Rozalia, qui pesta, tandis que la communication se coupait. Elle n’avait rien compris à ce que Nika avait cherché à lui dire, et elle regarda Rinako. Elles étaient dans un couloir plongé dans une relative pénombre, et Redemption mordilla ses lèvres, avant de lui glisser quelques mots :
« Nika nous rejoindra. Je sais que tu ne l’aimes pas beaucoup, mais, dans ce genre de situations, elle est bien plus efficace que moi. »
Rozalia s’avança ensuite, tenant son arc dans sa main, lorsqu’elle entendit du bruit venant d’une pièce à droite. Son arc se tendit immédiatement vers la porte, et elle banda son arc, prête à décocher une flèche mortelle sur le monstre qui en sortirait. Des coups précipités, paniqués. Pas de grognements ni de gémissements. Rozalia s’avança lentement, tendue, vers la porte, qui coulissa à son approche. Des vestiaires. Un corps de Xénomorphe gisait sur le sol, et il y avait contre le mur une projection de sang. Les coups résonnaient dans une allée sur sa gauche. Rozalia rangea son arc. C’était un espace étroit, et l’arc n’était pas le mieux indiqué. Elle sortit donc, à la place, sa dague, et mordilla son pouce avec ses dents. Quelques gouttes de sang perlèrent, et elle les posa sur le tranchant de la lame. Les runes magiques ornant la dague scintillèrent, et une espèce de flamme bleuâtre enveloppa l’arme.
Redemption tourna la tête vers l’origine des coups, et en identifia la provenance. Un casier. Elle perçut alors des sanglots et des gémissements émanant du casier, et vit dedans le cadavre d’un soldat, à qui il manquait les jambes et son bassin. Il baignait dans son propre sang, ses viscères baignant dedans.
« Sortez-moi de là ! Sortez-moi de là ! »
Une voix paniquée. Rozalia se rapprocha. La porte du grand vestiaire était coincée, et elle écarta du talon le cadavre du soldat, avant de l’ouvrir d’un coup. Elle frappa sur la serrure, et la porte s’ouvrit. Un homme hirsute jaillit alors en sortant, poussant un hurlement, et s’écrasa contre la rangée d’en face. Il avait une calvitie prononcée, une chemise blanche avec des tâches de sang et une cravate, et des lunettes... Et le vestiaire était rempli de sang. Blême, celui qui semblait être un scientifique terrorisé se mit à vomir sur le sol.
« Fermez-là ! siffla Rozalia. Tout votre boucan va les attirer !
- Je... Je n’en pouvais plus... Mon Dieu... »
Il portait une étiquette sur le devant de sa chemise. Un nom y apparaissait : « TERRY ». Rozalia le regarda.
« Terry... Terry ! »
Terry alla s’asseoir sur un banc, livide. Ses mains tremblaient.
« Il faut rejoindre les trains d’évacuation. Ça va aller ?!
- Si ça va aller ? répliqua-t-il d’une voix tremblotante. J’ai vu ma collègue se faire arracher la tête devant moi, j’ai eu son sang sur les joues... C’est idiot, je lui avais acheté une bague... On avait une perm’ de prévue... Alors, oui, je dirais que... Que c’est super, hein ! Ça va d’enfer ! »
Un rire nerveux traversa ses lèvres, et Rozalia pesta.
« Reprenez-vous, merde ! »
Le scientifique passa une main dans ses rares cheveux, avant de soupirer, sa tête heurtant le casier derrière lui.
« J’ai du me planquer dans le vestiaire... J’ai du me planquer pour leur échapper. Ce... Ce monstre, là, il m’aurait tué... Mais des soldats l’ont tué... Mais la serrure était coincée, et... J’ai entendu leurs hurlements, Seigneur... »
Rozalia regrettait plus que tout l’absence de Nika. Elle avait une espèce de don naturel pour faire face à ce genre de situations. Ne sachant pas quoi faire, Redemption s’approcha de Terry, et le gifle. La claque résonna dans la pièce, mettant fin aux sanglots de l’homme, qui tomba par terre.
« On pleurera les morts plus tard ! Pour l’heure, il nous faut foutre le camp ! Vous connaissez le chemin ?
- O... Oui, oui... murmura ce dernier en se relevant.
- Alors, guidez-nous ! »
Terry se releva, silencieux, baissant les yeux, avant de regarder les deux femmes. Il remua lentement la tête, ses lèvres tremblants, et s’avança, sortant du vestiaire. Le docteur était sur le point de craquer. Il tenait entre ses mains un pistolet, mais, si jamais des Xénos débarquaient, il serait le premier à foutre le camp. Rozalia sortit du vestiaire, et Terry s’avança sur le couloir, quand sa radio crachota à nouveau :
« Redemption ?! »
Nika ! Rozalia en éprouva un soulagement qu’elle ne dirait jamais à la Tekhane, et s’empressa de rapidement lui répondre :
« Nika ! Bordel ! Tu es où ?
- Navrée pour le silence radio, j’ai... J’ai voyagé un peu.
- On se dirige vers les tramways d’évacuation. Rejoins-nous là...
- Évacuer, c’est une bonne idée, mais il y a plus urgent. La petite poupée est avec toi ?
- La petite poupée ? répéta Rozalia, surprise. Mais de quoi est-ce que tu... ?
- La magicienne susceptible, Rozalia !
- Ah ! Euh, ouais, elle est là, mais...
- Rejoignez-moi au complexe scientifique. Il y a un truc que tu dois voir.
- Mais... »
Impossible d’en placer une ! Nika enchaîna, sans laisser le temps à Rozalia de pouvoir dire quoi que ce soit :
« Je n’ai pas le temps de discuter. Viens. Vite. »
Elle raccrocha alors. Éberluée, Rozalia contempla son transmetteur, avant de croiser le regard de Rinako.
« Et bien... finit par glisser Rozalia. Au moins, elle est toujours en vie... Tu en penses quoi ? »