Ça avait commencé comme ça. Il y avait longtemps que Kyô était descendu aux Enfers voir son grand oncle. Une pure journée de déconne, Hadès et Kyô échangeaient des blagues douteuses, discutant de tout et de rien, ils se baladaient dans tout le Royaume en se moquant des damnés qui souffraient sous leurs yeux. Le jeune fils d'Artémis s'amusait même, de temps en temps, à pointer du doigt ceux qu'il avait lui-même envoyés ici. Les vieilles habitudes, mais ça faisait longtemps.
Et donc comme d'habitude, ils avaient bu un verre chez le Dieu des Morts, abordant des sujets plus sérieux comme la quête du Dieu des lagomorphes. Là, c'était moins drôle, il ne pouvait pas faire le fier devant les réprimandes d'
Onii-chan, surtout qu'il n'avançait pas beaucoup, même s'il se trouvait des jolies filles bien roulées tous les deux jours. Il était pas censé perdre son temps ainsi, mais Kyô restait Kyô.
Et donc, au beau milieu de la conversation, le frère du
vieux con qui fait tomber la foudre (et aussi celui du
vieux con qui fout de la flotte partout, mais on va quand même pas se faire le répertoire à vieux cons de Kyô) se mit à parler d'une certaine soirée qui aurait lieu d'ici une semaine:
"Un genre de grande réunion avec tous les Dieux majeurs, on parle de trucs importants en se gavant près du buffet, et on fait venir des Mortels pour voir s'ils sont aptes à rester avec nous. Il y aura Zeus, Arès, ta mère..."Le Divin soupirait. A croire que ça l'emmerdait. Il versait du vin dans une coupe pour Kyô, qui la descendit d'une traite, s'essuya la bouche et reposa le verre tout simplement. Il faisait preuve de sa spontanéité habituelle.
"Je m'en cogne."Hadès se mit à rire. Kyô était toujours aussi direct. Il but son propre verre et continua:
"En fait, moi aussi je m'en cogne. Ces festivités sont emmerdantes à mourir, et je sais de quoi je parle..."Kyô acquiesça d'un hochement de tête aux propos de son grand-oncle, et ils échangèrent un sourire complice. Sauf qu'au moment où Kyô cessait de sourire, celui d'Hadès s'élargit.
Putain, ça craint..."Voilà, on va faire un jeu: je te métamorphose et cache ton aura divine pour que tu débarques à la fête. Je t'impose un challenge, si tu perds, tu conserveras cette apparence pour les trois prochains millénaires. Amusant, non?"Complètement tordu oui! Mais ils étaient comme ça. Hadès savait très bien que Kyô réagirait au mot "challenge", il le tenait déjà sous son joug.
"Ben, ça dépend, c'est quoi le deal?"Le piège se refermait. Le rictus qui déformait la bouche du Dieu des Morts n'en était que plus effrayant. Le vieux reprit:
"C'est tout con, je te change une femme. Tu ne dois révéler ta véritable identité à personne. Et tu dois séduire Héra."Kyô eut un hoquet de surprise, et se leva soudainement. Draguer la vieille bourrique? Il était timbré! Il ne pouvait même pas la voir en peinture! Son regard rouge toisait de haut Hadès, mais ça ne l'impressionnait guère.
"Va te faire voir, je me tire!"---------------------------------
La nuit commençait à tomber sur l'Olympe. Des Mortels s'attroupaient sur la grande place du Mont Olympe, où des Dieux étaient déjà en train de discuter. C'était folklo, tout le monde parlait grec, ça changeait pas mal du reste de Terra. Il y avait là les plus grands du Panthéon, Zeus, Poséidon, Artémis, Athéna, Arès, Déméter, Dionysos de l'autre côté du buffet... Ils étaient tous là, même Hadès, même Héra. Seul manquaient à l'appel Héphaïstos, qui était parti en vacances parait-il, et Aphrodite qui selon ses propres termes avait
d'autres chattes à foutre. Et ce n'était pas une faute de langage.
Parmi cette foule, il y avait là une
jeune femme rougissante, en train de réajuster son petit couvre chef rouge assorti à sa robe. Selon Onii-chan, ça faisait ressortir sa chevelure sombre, mais selon lui, ça faisait ressortir l'air con qu'il se tapait. Lui? Oui, cette jeune femme, c'était Kyô. Enfin, ce soir, il était Jessika Hallison, jeune demi-démone qui désirait servir aux côtés d'Héra pour le restant de ses jours. Il savait que c'était une connerie, et qu'il n'aurait jamais dû accepter. Mais il était revenu à la charge en apprenant ce qu'il avait à gagner de ce petit pari; alors il avait passé toute la semaine à travailler sa démarche, ses manières, sa façon de parler, juste pour cette soirée.
Il lui avait fallu deux heures pour se préparer. Non pas qu'il trouvait que cette apparence provisoire (espérons-le) était difficile à entretenir et à préparer, mais il avait passé une heure sous la douche histoire de
se familiariser avec ce corps féminin si bien gaulé. Mais on passera les détails, surtout qu'il devait être habitué, avec toutes les douches qu'il avait prises...
Et donc, il se faufilait entre les convives pour atteindre le généreux banquet. C'était la toute première fois de sa vie qu'il s'approchait d'un buffet à volonté sans courir ni hurler.