Petite soirée en famille [Héra]

Si elle était stressée ? Assurément. Parler du monde des humains la mettait toujours dans un état ... Qu'on ne pouvait espérer calmer. Sauf grâce à une de ces plantes interdite sur Terre, mais adorée ici-haut. Oui, Héra fumait du cannabis, ce qui ne faisait qu'accentuer ce côté humain qui rongeait le sang divin qui coulait dans ses veines. Cependant, elle ne releva pas cette remarque, préférant ne pas évoquer sa mélancolie purement humaine à Jessika. Elle avait une profonde envie de vin, mais se retint juste à temps. Pas question non plus de passr pour une alcoolique de seconde zone. Depuis quand tu tiens en compte ce qu'on peut penser de toi ? C'était vrai, elle s'en foutait pas mal habituellement ... Elle était du genre à s'imposer en tant que telle, sans faire de concessions. Son image, elle s'en foutait pas mal. Mais maintenant qu'il y avait Oneiros ... Elle devenait prudente.

Ce qu'elle n'avouerait, évidemment, jamais.

Cependant, quand elle évoqua le nom de Kyô, Héra tiqua. Ainsi, il trainait aux Enfers, et elle l'avait croisée ...

- Kyô se comporte comme un humain, à croire qu'il en est un, au fond de lui.

Elle fronça les sourcils.

- J'envie son insouciance, et la liberté qu'il s'est accaparée ...

Soupira t'elle. Avant de réaliser ce qu'elle venait de dire. Car, oui, on réalise souvent après ... Les mots s'étaient enfuis, sans demander l'autorisation à la raison et à la cervelle d'Héra. Alors, elle se redressa, reprenant une certaine contenance.

- ... C'est un petit con.

Grogna t'elle.

Oui, comme elle venait de le dire, c'est l'envie qui inspire la haine, qui creuse un fossé entre les personnes. Et, meme quand on est un dieu, l'envie demeure. Héra était bloquée dans un statut de Reine des dieux, qui devait sans cesse vérifier si son verre n'était pas empoisonné, si on n'avait rien fait à son cher fils ... Elle en venait à regretter d'être montée sur le trône d'Olympe. Ainsi, elle enviait ces dieux qu'elle qualifiait de mineurs, qui, certes, louchaient parfois sur la place qu'elle occupait, mais demeuraient insouciants et terriblement libres. Et ça, ça la saoulait pas mal, elle devait l'avouer. Putain.

- Cependant, Kyô peut se payer le luxe de l'insouciance, vu le peu de responsabillités que son statut lui offre ... C'est cela qui nous différencie. Si j'en venais à me comporter comme lui, je me mettrais en danger.

A son souvenir, elle n'avait jamais pu jouir de son statut de déesse mineure, vu comme son mariage était arrivé tôt.

- J'ai beau apprécier la compagnie des humains, celle de Kyô me dérange. J'ai l'impression qu'il me nargue, comme s'il avait conscience de ce qu'il a de plus que moi ...

Intérieurement, il se voyait déjà en train de se dérouler par terre en se tenant les côtes, des larmes de rire au coin de l’œil. Il n'extériorisa ce sentiment qu'en portant une main à ses lèvres et en étouffant un petit ricanement. Il s'expliqua en reposant ses mains sur les épaules de la Déesse. C'est qu'elle avait la peau douce, la vieille irritante.

"Allons allons, je ne fais que mentionner un homme que j'ai vu vaguement, et vous détournez la conversation sur lui?"

Craignant de prendre une baffe qui l'enverrait sur orbite, il essaya de se calmer et d'arrêter ce ton mi-moqueur.

"Enfin, je pense que ce sentiment est réciproque. Ce Kyô a l'air d'être un homme ambitieux, s'il désire prendre la place de votre époux. Vous enviez sa liberté, il envie à votre mari son pouvoir et vous envie d'être haut placée même parmi les Dieux."

Il réalisa qu'elle venait de le rapprocher à un humain. C'était peut-être un bon point selon elle, mais pas selon lui. Les humains sont arrogants, ignares et stupides. Il la griffa pour se venger, et glissa un "oh, pardon", en espérant qu'elle ne le verrait pas sourire.

"J'ai cru comprendre que lui aussi a pas mal de problèmes, maître Hadès le sermonnait avec ça... Une histoire étrange avec un certain Choupi..."

Il lui tapota les épaules et glissa ses bras autour de son cou soudainement, collant sa joue à la sienne en souriant:

"Bah, de toute façon je ne veux pas vous mettre mal à l'aise! Maîtresse Héra, vous êtes trop mignonne quand vous êtes pensive! Je suis sûre qu'au fond, vous l'aimez bien, ce "petit con"! Vous allez me le présenter, hein?"

Il jouait avec elle comme avec une amie de longue date. Sauf que Jessika ne connaissait pas Héra depuis longtemps, et que, dans un rôle ou dans l'autre, la vieille bourrique n'était pas son amie. Enfin, en théorie...

(HS: Elle est un peu courte, celle-ci...)

... Effectivement, elle n'était pas une amie de longue date. Au risque de réduire à néant les espoirs de Kyô - qui pensait sans doute que cette mission de séduction prendrait bientôt fin - , elle ne répondit pas. Sa main se posa sur celles de la jeune fille, et elle lui fit lâcher prise, afin que la déesse puisse se lever, mettant un terme à cette étreinte qu'elle trouvait étrange. La déesse, dans un élan d'humanité, s'alluma alors une cigarette, qu'elle extirpa de la poche de sa robe. C'était un fichu réflexe qu'elle avait gardé de son passé "d'humaine" ... Un jour qu'elle s'ennuyait, elle s'était achetée un paquet de clopes menthol, des Lucky Strike, et avait commencée tout doucement à fumer. Oh, comme d'habitude, ni la première, ni la seconde clope ne la rendit accro. C'est l'habitude, celle de fumer 8 cigarettes par jour, cloitrée dans un appartement exigüe de Seikusu, qui avait tissé un lien fort entre le tabac et la déesse. Une bien belle histoire ... Elle était la seule déesse à fumer, bien qu'elle soupçonnait Oneiros de lui en piquer en son absence.

La Reine des dieux se tourna vers Jessika, restée assise sur la méridienne.

- J'évite que mon entourage rencontre Kyô.

Enfin, elle faisait ce qu'elle pouvait ... Elle soupçonnait son fils de squatter avec ce - donc - "petit con", vu ce qu'il était devenu : un portrait craché du dieu des lapins. Un véritable petit emmerdeur sans aucun scrupule. La déesse passa sa main sur la légère griffure qui marquait son épaule.

- Je n'aime pas Kyô. Il a une mauvaise influence sur Oneiros ... Mais bref, passons.

Elle ne voulait pas parler pendant des heures de ce dieu. Elle avait déjà du le supporter la veille dans un Conseil, où il était arrivé aussi ivre que Dyonisos ... Misére, je ne suis pas aidée. Héra se tourna vers Jessika, la toisant un moment. Elle sentait en elle quelque chose qu'elle ne comprenait pas, une sorte d'aura étrange ... La Reine ne savait pas si elle devait aimer ou détester cela, d'ailleurs. En attendant, elle ne dit pas un mot, inspirant et recrachant la fumée tiéde délivrée par la cigarette avec un certain bonheur ... Au point qu'elle se mit à sourire sans aucune raison.

Puis, elle se permit une folie.

- Je ne veux pas de toi comme prêtresse.

Retournement de situation ... La déesse ne savait même pas pourquoi elle disait cela. Sans doute pour voir comment cette gamine évoluerait, et surtout comment son aura s'embraserait ... Au fond, Héra commençait à trouver amusante cette petite Jessika, mais le jeu devait continuer. Elle n'était pas du genre à accepter aussi facilement une prêtresse. On le saurait.



( C'est cooourt, pardon ;_; )

Connasse!
Ce mot avait failli s'échapper de ses lèvres comme une pensée évasive. Il retint un instant son souffle, fixant Héra, surpris. C'était la merde là, s'il se faisait jeter maintenant, il en aurait pour trois mille balais avec cette poitrine encombrante et cette absence désagréable entre ses jambes. La grosse galère en fait. Il en avait même oublié la remarque risible à propos d'Oneiros, comme quoi c'était déjà un peu tard. De toute façon le jeune garçon avait beaucoup à apprendre, puisqu'il n'avait jamais essayé d'égorger Zeus.

"Alors c'est comme ça..."

Il se mit à réfléchir (ce qui vaut quand même la peine d'être dit, hein!). Qu'avait-il fait de mal? Son rôle avait-il l'air surjoué? Pas sûr. Alors quoi? Il remplissait les critères comme il le fallait, et il savait se montrer utile et serviable quand même. Il avait fait tout ce qu'il fallait. Oui, tout.
Il sourit. Il avait compris où était l'arnaque, et se décida à répliquer de la façon la plus pénible qui lui était venue à l'esprit:

"Je vois, vous complexez car je suis belle, vous avez peur que je vous vole la vedette! C'est vrai que j'ai une plus grosse poitrine que la votre, mais ne vous en faites pas, tous les hommes ne font pas que regarder là!"

Rétrospectivement, il se rendit compte que ça pouvait très bien être aussi la chose la plus conne qu'il aurait pu dire. Il se traita intérieurement d'abruti congénital, puis pensa que ça devait venir de sa mère, la givrée lunatique. Alors il se leva, et arrangea sa robe. Onii-chan, je suis pas assez récompensé! Elle est difficile, ta frangine!

"Je plaisante bien sûr. Je savais que ce type était un sujet peu abordable, mais de là à me dégager pour ça, c'est un peu fort. Maîtresse Héra, quoique vous puissiez en dire, je ne vous lâcherai pas. Je ne suis pas devenue votre prêtresse par hasard, on en gagnant à un concours. Et je ne suis pas du genre à abandonner tous mes espoirs juste pour un allez dégage, suivante!"

La vérité? Si l'une d'entre elles quittait cette pièce maintenant, Hadès saurait à quoi s'en tenir. Et lui aurait le temps de savoir de quoi s'abstenir. Bien qu'il serait assez con pour tenter un nouveau pari. Alors il ne la lâcherait pas, parce qu'il avait encore quelques cartes à jouer, et que sinon, il était dans la merde.

"Maîtresse, je suis venue ici pour une autre raison que celle de simplement effleurer votre puissance du bout des doigts. Je ne compte pas rester dans votre dos pour vous regarder avancer. Si je suis sortie du tréfonds des Enfers, si j'ai gravi l'Olympe et suis venue vous rencontrer personnellement ce soir, c'est parce que je veux vous épauler. Je ne serai pas votre ombre, mais votre appui. Une épaule pour pleurer, des yeux pour vous voir sourire, des oreilles pour vous écouter parler, un corps et une âme pour vous défendre, quelle que soit votre raison. Voilà ce qu'est votre Jessika."

Il croyait s'entendre mentir, s'il était venu, c'était pour lui décrocher de l'affection, obtenir un baiser, passer la nuit aussi peut-être... Et pour le pouvoir, ni plus ni moins. C'était ce que Kyô voulait, Jessika était l'excuse du mensonge, une autre personne, qui n'était pas Kyô, comme une marionnette.

"Vous n'êtes pas seule."

A la fin de ce discours, Héra était totalement immobile. Elle ne savait même pas quoi répondre à cela ... La cigarette, au bout de ses longs doigts fins, s'effritait silencieusement dans un épais nuage de fumée, tandis qu'elle ne daignait même pas regarder Jessika. Non, ses yeux étaient plongés dans la contemplation béhate du mur blanc, tandis que tout son esprit se concentrait sur les battement rapides et courts de son coeur. Ce genre de discours, elle ne l'avait jamais entendue ... Enfin, si, venant de Zeus à une époque, et d'Arès par la suite, du temps où elle vivait avec l'innocence et l'extravagance de l'adolescence. Elle se sentit, d'un coup, très vieille. Putain. Un soupir. C'est long, l'éternité ... La reine se tourna vers Jessika, alors ...

Ce que la petite démone pouvait lire sur le visage d'Héra, c'était un savant mélange entre mélancolie & émotion. Le mensonge de Kyô avait touché la déesse plus qu'elle n'aurait pu le penser. Le " Vous n'êtes pas seule " l'avait littéralement achevé, d'ailleurs ... Elle tira sur la dernière taffe de sa cigarette, la désintégrant ensuite entre ses doigts. Le tabac, encore une fois, l'électrisa légérement, si bien qu'elle en vint à souhaiter du cannabis pour garnir sa prochaine clope. En tout cas, voir Héra aussi émue était quelque chose de rare ... La dernière fois, c'était à l'occasion de la naissance de son fils, pour dire ...

- ... Soit.

Il était vrai qu'Héra était une femme difficile ... Certains diront que son charme vient de là, d'autres expliqueront que les tentatives d'empoisonnements qui lui sont destinés viennent de là. Son mari, ses amants, ses maitresses, tous et toutes pouvaient affirmer que la Reine était une créature que peu de choses pouvaient adoucir, sinon le bon vin. Mais là, à cet instant précis, la déesse se sentit (presque) fondre au contact de ces mots. Pour une femme qui avait fini par adopter la solitude que son statut exigeait, elle en venait à espérer qu'une personne puisse lui offrir autre chose que des courbettes et des gâteries.

Héra, alors, s'approcha de Jessika, un pâle sourire sur les lèvres.

- Tu es ma prêtresse, et je te fais confiance. Tâche juste ...

Ses yeux s'enflammérent, devenant deux billes rougeoyantes, en ébullition.

- ... De ne jamais me trahir. Et de tenir la moindre de tes promesses.

Je le promets, je ne te trahirai pas.
Trop tard, je te mens. Ta prêtresse n'existe pas.
Tu parles avec une illusion, je t'ai déjà trahie.
Tu me fais confiance? Tu as tort.
Je te hais.
Je t'adore.
Vieille bourrique.
Maîtresse Héra.

Quelque chose lui martelait les tempes, il se voutait en avant et plaquait ses mains sur son visage. Qu'était-ce? Du remord? De la peur? De l'anxiété? De la colère?
Il n'avait jamais menti à une femme. Il ne faisait que jouer un rôle, c'était un pari. Elle ne voulait pas mentir. Elle ne voulait pas trahir. Elle adorait Héra. Elle détestait Kyô et ses magouilles. Son mal de tête disparut. Elle aussi. Il était chamboulé.

"Héra, je... Je dois te dire quelque chose de très important."

Il sentit quelque chose de chaud glisser sur sa joue. C'était très gênant, très désagréable, aussi désagréable que ce truc qui coinçait dans sa poitrine. Il posait une main sur son cœur, et de l'autre il s'essuyait. Qu'était-ce? Une larme? Black Heart Kyô n'avait jamais pleuré. Il n'avait jamais rien regretté non plus. Il tomba à genoux devant Héra, la regardant de ses yeux mouillés. Il ne comprenait rien.

"Mon nom n'est pas Jessika Hallison, je ne suis pas prêtresse, je ne ne suis en rien une Démone. C'est Hadès qui m'a envoyée te voir pour te séduire... Et j'ai accepté parce que je me foutais royalement de ce que tu penserais en apprenant que Jessika n'est pas ta prêtresse."

Il avait commencé à descendre une pente glissante, trop tard pour faire demi-tour à présent. Le Courroux de la Reine était aussi craint que les foudres de Zeus sur l'Olympe, mais ce truc qui coinçait l'obligeait à le faire, c'était une telle gêne, il devait s'en débarrasser.

"A vrai dire cette apparence n'est pas la mienne, elle le restera si j'échoue, et je suis sur le point d'échouer. Cependant maintenant je te vois comme une amie, et je ne trahis pas les amis pour d'autres amis. Fais-en ce que tu veux mais..."

Il attrapa le bas de la robe de la Reine, et baissa la tête, mort de honte:

"C'est Moi... Kyô."

On entendit un rire, et un applaudissement. Kyô tourna la tête et le vit s'avancer dans la pièce. Il avait tout vu, il avait assisté à tout ça. Il avait vu Kyô pleurer. Et il se fendait bien la poire, Hadès:

"Ah, Kyô, c'était tout à fait théâtral! Mortel même! Je voulais te changer en jeune femme pour que tu te rendes compte à quel point tu ressemblais à ma sœur, mais je ne m'attendais pas à ce que tu te mettes à chialer comme une gosse! C'est vraiment pas ton genre!"

Kyô sécha ses larmes et grogna en insultant Onii-chan pour son coup fourré. C'était pas la première fois, mais ce coup-là il avait fait fort. Le Dieu des morts souriait.

"T'as perdu Usagi, ne pas révéler ton identité faisait partie du pari. Tu me déçois, en entrant je m'attendais à te voir lui rouler une pelle! Tu sais ce qui t'attends..."

La prêtresse tendit la main vers Hadès en criant "la ferme!", puis expédia des sphères noires vers le divin frère d'Héra. La Burning Rain s'arrêtait et se volatilisait avant même d'atteindre Hadès. Jessika se relevait:

"Enfoiré, tu m'as fait croire qu'on se jouerait d'elle... Et tu t'es joué de nous deux! Tu savais que j'y perdais dans les deux cas, hein? Tu savais que si je finissais par la voir comme une amie, alors je perdrai!"

Bien sûr qu'il le savait. Il était le frère de Zeus, presque son égal. Sournois et calculateur, tel était le Dieu des Morts.

"Echec et mat!"

Un martélement. Quand Jessika avoua n'être autre que Kyô, ce fut un violent martelement, qui sacagea littéralement la cage thoracique de la déesse. Elle resta béhate, l'écoutant sans comprendre, sinon avec un temps de retard monumental. Cette fille, à ses pieds, pleurant à chaudes larmes, était Kyô. Dans l'instant, l'idée qu'elle s'était faite de lui, en pensant qu'il était un enculé moyen, se modifia aussitôt. Kyô était, en réalité, un putain d'enfoiré. ( Si tous ces termes vous choquent, remplacez par "Bip" ). Immobile, interdite, elle encaissa ses paroles, sentant une sorte de haine profonde envahir son organisme, et une tristesse poisseuse noyer son cerveau. Et, alors, qu'elle allait parler ...

Un martélement. A nouveau. Quand Hadés entra, et dévoila le jeu, l'enjeu, les régles de cette partie, qu'ils venaient de jouer à ses dépens, elle cru être dans un mauvais rêve. Elle ne bougea cependant toujours pas, stoïque, regardant la scéne se passer comme si elle n'était qu'une spectatrice. Sa seule réaction, après, un long silence, fut de serrer les poings, les yeux rivés au sol, comme une adolescente humiliée par ses camarades de classe. La comparaison, d'ailleurs, était presque bonne ...

Puis elle osa parler :

- Hades, rends-lui son apparence.

Un ordre froid, implacable, sur un ton autoritaire que même Zeus n'oserait contredire.

- Tu t'es assez foutu de moi aujourd'hui, alors fais-moi juste ce petit plaisir.

Elle s'alluma une nouvelle cigarette, avec une lenteur infinie, et regarda Hades, puis Kyô, son regard oscillants entre ces deux personnes.

- ...  Salauds. J'ai beau être parfois mesquine, je ne me joue jamais des autres, grâce à des coups aussi bas ...  Décidement, il n'y en a pas un pour sauver l'autre.

Elle aurait pu ajouter " Bandes de cons ", mais ne leur fit pas cet honneur, préférant tourner les talons et s'éclipser dans ses appartements, non loin d'ici, pour choir sur une méridienne, les yeux grands ouverts, son visage ne reflétant rien. Inerte, elle planta sa cigarette entre ses lèvres, et essuya une larme qui peinait à naitre sur sa peau diaphane. Je les hais. Elle n'était pas ravagée, mais se sentait profondément humiliée par cet affront.

Parce que Kyô venait de voir une Héra presque humaine, confiante, capable de ressentir ne serait-ce qu'un soupçon de sympathie envers une personne ... Elle qui était si froide, si distante, habituellement ... Ah, elle détestait cela. Quand ils étaient enfants, Hades jouait souvent à la mettre en rogne, mais là ... Il dépasse les bornes. En faisant cela, ils s'étaient mis Héra à dos, à coups sûr. Et ça, c'était peut-être la pire chose qui pouvait arriver à une personne. La colère d'Héra, oui, était terriblement redoutée. 

- Et on se demande pourquoi j'ai quitté Olympe ... soupira t'elle, inspirant une nouvelle bouffée de tabac, s'incendiant les bronches avec délectation.

"Tu t'en sors bien cette fois, à charge de revanche Usagi!"

Revanche?
Sa robe s'évaporait, son aura changeait, ses traits redevenaient siens. Bientôt, il n'y avait plus aucune trace de Jessika. Hadès avait levé la métamorphose, seules demeuraient les gouttes chaudes et salées qui humidifiaient son visage. Mais la flamme de mana n'était pas de retour, et les bandages qui enveloppaient le corps robuste de Kyô étaient noirs comme l'encre. Hadès parut déstabilisé:

"Hé, cette forme est..."

Il connaissait cette forme. Une forme instable, avec laquelle Kyô sacrifiait son pouvoir magique au profit de sa vitesse et de sa force. Elle ne durait pas longtemps mais suffisait à surpasser la force d'Arès, et la vitesse des flèches de sa propre mère. Hadès le savait bien, car c'est seulement par deux fois qu'il avait pris cette forme, pour affronter les deux divinités en question. Arès l'avait eu par la ruse, et Artémis par le temps. Mais si le Dieu des Morts n'avait eu le temps de ponctuer sa phrase, c'est parce que le visage de son neveu était déjà tout près du sien. Les yeux rouges du Dieu lapin étaient mouillés, mais brûlants de colère. Et il enfonça son poing entier dans l'abdomen de son oncle en criant sa rage.
L'impact fut si intense et violent que les murs, le sol et le plafond se lézardèrent, et que les os d'Hadès lui-même se fêlèrent subitement. Le Dieu traversa la porte et sortit du temple à la vitesse d'une balle de fusil, et se retrouva encastré dans un mur à l'autre bout de la petite sauterie extérieure. Il n'avait ni l'armure ni l'endurance du Dieu de la Guerre, il avait été pris par surprise, et Kyô n'avait jamais été aussi sérieux. Dévoré par la douleur, son corps avait préféré s'évanouir. Les convives à l'extérieur n'avait rien compris, ébahis.

Une flamme sombre naissait sur un bras tendu. Le tissu qui enveloppait Kyô reprenait sa couleur habituelle, mais son expression demeurait inchangée. Il essuya son visage avec sa main gantée de mana flamboyant, et tourna les talons à son tour, rejoignant Héra sans presser le pas. Que faire? Que dire? Il n'en savait rien, mais il devait y aller.
Même le meilleur ami de Kyô ne pouvait s'en prendre à ses autres amis sans en payer le prix, cependant le fils d'Artémis, entêté comme à son habitude, avait décidé qu'Héra ne serait plus son ennemie, ainsi il avait quelque chose à faire.
Il trouva Héra, affalée sur une méridienne, le regard vide et clope au bec. Les bandes qui couvraient son visage et le haut de son corps disparurent, et il croisa les bras. Elle ne l'avait pas vu, ou elle ne le voulait pas le voir? Il se racla la gorge pour attirer son attention, et parla en s'avançant:

"Deux-mille cinq-cent dix-huit de conflits à cause d'un mauvais jugement... Et après j'ose prétendre que je suis le meilleur. Une connerie de la bassesse d'un humain ignare, je reconnais que la proposition d'Onii-chan était plus qu'alléchante mais... Sérieux, ça valait pas le coup."

Il arriva à hauteur de la méridienne, et dominait la Déesse de sa stature et de son expression figée. Mais soudain sa face exprima un profond regret, et il posa un genou au sol, tête baissée. Il s'exprima avec clarté, de sorte que n'importe qui qui écouterait aux portes puisse clairement l'entendre.

"Moi, Kyô Yamiusagi, Dieu des lagomorphes et fils de l'autre pouffiasse bâtarde nommée Artémis, je reconnais Héra comme étant la seule et unique Reine de l'Olympe, disposant de tout pouvoir et de toute autorité sur ma divine personne. Je reconnais aussi que si elle a un problème avec une autre divinité, elle n'a qu'à lui péter la gueule, ça m'étonnerait que ce soit un soucis."

Il laissa un petit moment de flottement. Sa dernière réplique cassait un peu le côté solennel, mais il disait ce qu'il pensait. Il redressa la tête, et risqua un sourire qui en disait long:

"Ça ne veut pas dire que je vais foutre la paix à Zeus, je lui botterai quand même le cul à ce sale débris inutile!"

Il se releva et écarta les bras en penchant légèrement la tête en arrière, pour ouvrir sa garde et découvrir sa gorge au besoin. Son épée vint à sa main mais il ma tenait à l'envers, présentant le manche et non la lame. Il connaissait la cruauté d'une Héra en colère, mais il était prêt à la subir, envers et contre tout. Il continuait de sourire.

"Fais ce que tu veux. J'veux pas avoir de comptes à te rendre."

Perdue dans la contemplation de la fumée qui valsait dans l'air, Héra ne l'entendit, ni ne le vit arriver dans la pièce. Elle en vint même à sursauter, le fixant avec un air ébahi ... qui retomba en un instant. Les sourcils légérement froncés, l'air autant énervé qu'épuisé, elle s'apprêtait à l'envoyer paitre loin - et ce grâce à un sort, s'il ne comprenait pas -  très loin d'elle. Dans l'instant présent, elle rêvait plutôt de solitude, puis elle irait calmer ses nerfs sur le prêtresses, attisant ainsi le rôle de mégére qu'elle portait si bien. Mais les paroles du jeune dieu la stoppérent dans son élan ... Elle resta là, immobile, encore allongée, tout son équilibre reposant sur un bras, tandis qu'elle le regardant sans ciller. Durant toute la durée du discours, elle ne cilla pas, ni tiqua, ne permit aucunement à son visage d'exprimer une quelconque émotion ... Et pourtant ... Si elle avait pu, si elle n'était pas Héra, reine implacable et autoritaire, elle lui aurait sautée au cou comme une adolescente.

Mais non. Elle se contenta de se redresser, puis de se lever, regardant ce cher dieu à ses pieds. Il semblait attendre qu'elle le punisse ... Foutaises. Elle laissa un profond soupir s'échapper d'entre ses lèvres, mais se permit un petit sourire, aussi tendre que possible.

- Je ...

Elle jeta sa clope dans les airs, laissant le vent l'emporter loin d'elle (Oui, Héra pollue Olympe) puis posa une main sur l'épaule de Kyô, s'agenouillant à son niveau.

- Je ne pensais pas entendre cela un jour. Je pense qu'aucun dieu de ce panthéon ne m'a jamais dit cela ... Sincérement.

Héra eut un petit rire, se rappelant les parodies de serments d'allégeance auxquelles elle avait été confronté en devenant Reine des dieux. Tous, un par un, avait prononcé des phrases du même style, le visage grave, et les yeux fermés. Cela l'attristait plus qu'autre chose, d'ailleurs ...

- Hadés se complait à me tourmenter ... C'est lui qui mérite une punition. Qu'il aura, je peux le jurer.

Depuis le temps qu'elle voulait mettre une dérouillée à son frère ... Elle savait bien qu'il ne supportait que très mal de la voir attristée. Avec un peu de chance, elle pleurerait et gagnerait contre Hadés. Ce qui ne lui était arrivée que cinq fois dans sa vie éternelle. Et vu le nombre de fois où ils se sont tapés dessus ... C'est pas beaucoup.

Elle ébouriffa les cheveux noirs de Kyô en souriant. Celui-là, lui aura causé beaucoup de soucis, décidemment ...

- J'espère qu'on ne se ressemble pas tant que ça, tout de même ... Si les autres déités s'en rendent compte ... Nous allons perdre notre crédibilité. On va même finir par croire que tu es mon fils ...

Cette situation, néanmoins, l'amusait beaucoup. Elle se permit de rire légérement, puis se releva, lui faisant signe de ne pas rester ainsi, agenouillée devant elle.

C'est ça, avoir du cœur? Pardonner, être reconnaissant? C'est des conneries... Mais ça m'arrive aussi...

Le jeune Dieu attendit un peu avant de se relever. Son visage était encore rougi de honte, et une fois debout il demeurait dans la contemplation de ses deux pieds. Il bougea un orteil et se gratta nerveusement l'arrière de l'oreille gauche:

"Onii-chan doit être dans le coma maintenant. Et ce serait dégueulasse que je sois gracié alors que j'me suis foutu ouvertement de ta gueule. J'suis sûr qu'il a déjà tout déballé à tonton Arès, sur Jessika..."

Il reprit sa confiance habituelle. Il ne prenait pas ce qu'il avait fait à Hadès comme une victoire car il l'avait surpassé, car ça n'avait rien d'un duel. C'en était même une défaite s'il en était venu à cogner ainsi le Dieu qu'il appréciait le plus. Après lui-même bien sûr... Il tapota gentiment le haut du crâne d'Héra comme si elle était sa fille, souriant et la fixant avec des yeux rieurs:

"Et puis tu devrais en profiter, j'ai dit que je reconnaissais ton droit de sévir, pas que je me laisserai faire à chaque fois! Ouais t'es sympa, t'es la Reine tout ça, mais bon t'es quand même une vieille, alors je serai pas ton clébard! Et je bosserai pas non plus!"

Il prit un air faussement mesquin et lui colla une pichenette sur le front, puis ricana et tourna les talons. Il fit à peine quelques pas qu'il s'arrêta. C'était vachement théâtral en fait. Mais c'était sa manière de faire, et il était instinctif.

"Mais..."

Il baissa encore une fois les yeux, comme s'il avait honte. Vous vous imaginez vous retrouver à poil au milieu d'une ville inconnue? Ce genre de honte. Bon, lui il n'aurait pas honte de ça, mais c'est l'idée...

"Si on compare avec la chasseresse mal lunée, il n'y a pas photo, j'aurais préféré t'avoir pour mère..."

On tombe vraiment dans le sentimentalisme, j'en ai envie de gerber. J'ai une réputation à tenir!
Il grogna et tapa du pied, puis se retourna à nouveau vers Héra, les sourcils froncés, comme si sa hargne habituelle avait refait sur place. Tout ça reste entre nous, hein? Il tendit la main, paume vers le ciel, et demanda avec un ton boudeur:

"Et puis merde, tu m'files une clope ta majesté?"

La clope, elle lui fila sans soucis. C'était une de ces cigarettes qui prenaient un goût de menthe, si on appuyait assez fort sur le filtre. De son année sur Terre, elle avait retenue beaucoup de choses, mais surtout qu'une clope, c'est un délice. Et pas que. La déesse avait la fâcheuse tendance de devenir franchement humaine, quand il s'agissait de déguster des drogues plus ou moins rassurantes. Elle s'en calait pas mal, en vérité ; elle était Héra, reine des dieux, maitresse du Monde dans ses beaux jours plein d'égocentrisme mal placé. Elle lui jeta par la même occasion un briquet, où un autocollant Diddle était collé. Un sourire, comme une excuse pour cette décoration indigne d'une reine. Mais digne d'une humaine fantasque.

C'était peut-être ce qu'elle était, au fond.

- Je l'ai volé, lança t'elle comme excuse.

L'idée qu'il puisse l'imaginer adorer cette sourie niaise et difforme l'effrayait assez, en vérité.

- Crois-moi, la Terre est un excellent refuge ... souffla t'elle.

Elle comptait redescendre bientôt, d'ailleurs ... C'était si beau, en bas. Exotique, presque. Héra devait pourtant admettre qu'elle devait être la seue déité de tout ce panthéon à adorer les humains, et à les mépriser quand même. Un signe d'affection, songea t'elle, un brin ironique.

- Tu n'aurais pas préféré être humain, toi ?

Par réflexe, elle s'alluma une cigarette.

En entendant Héra chercher des excuses pour le briquet il sourit. Le ridicule il connaissait, lui dont les fidèles étaient loin d'être les plus grands prédateurs de l'ère animale. Il haussa les épaules et alluma sa clope, puis lui rendit le briquet l'air de rien. Il en tira une bouffée, grimaça et jeta la clope derrière lui. De la menthe? Non merci. Et puis la question sortit de nulle part:

"Tu n'aurais pas préféré être humain, toi?"

Silence.
Il la regardait fixement, pour voir si elle se foutait de sa gueule. Visiblement pas, pourtant il haussa tout de même les sourcils. Et il se mit à y réfléchir sérieusement.

"Pas du tout, vivre en sachant qu'on peut crever du jour au lendemain, juger et se faire juger, et puis se casser le cul toute sa vie pour gagner des petits bout de métal qui servent à bouffer comme si c'était un luxe, non merci. De toute façon que je sois né Dieu ou Humain peu importe, j'aime pas ce monde, j'pense que j'aurais quand même cherché à surpasser les vieux pour changer tout ça..."

Il alla s'asseoir sur la méridienne, et se mit à sermonner la Reine. Kyô était ce genre de type.

"Et puis franchement, venant de ta part, c'est quoi ces conneries? T'es la taulière, tu gères le bled où on trouve le gratin du monde entier quand même, c'est pas rien. L’Olympe aussi c'est un refuge, j'veux dire c'est chez Moi, j'ai un foyer, des amis... D'ailleurs, mes prêtres sont mes amis. C'est déjà assez blessant de les voir crever comme des Mortels qu'ils sont, alors t'imagines être humain? Tu crèves, tout le monde souffre. C'est pas drôle. Et puis j'ai pas trop envie d'être sur la liste des pensionnaires de tonton Hadès."

Pour un jeune Dieu dont l'idéal était de se placer à la tête du monde entier, être un humain c'était s'éloigner de son rêve. Et puis avec tout le mépris qu'il traitait les Mortels, non vraiment, devenir l'un d'entre eux, très peu pour lui. Selon Kyô, les gens étaient faits pour s'élever et se surpasser, c'était assez difficile de croire qu'une puissante Déesse rêvait de se rabaisser au stade d'une Mortelle quelconque livrée à elle-même dans un monde pourri par l'avarice et la folie des hommes.

"A mon tour de te poser une question bizarre alors. T'as jamais pensé à saquer ton vieux mari une bonne fois pour toutes? Le virer, lui botter le cul, et puis prendre les rennes pour changer tout ce bordel?"

Pendant qu'il la sermonnait, elle s'était servie du vin, dans un silence quasi-religieux. Aah, elle se doutait que Kyô était le dernier à vouloir devenir humain ... La soif de grandeur des déités était parfois aberrante. Héra n'avait de cesse de voir, ici et là, des dieux se battre, chercher à conquérir une épouse ou un pouvoir, à échafauder des plans aussi complexes que cruels ... Au point qu'une nausée agitait son divin estomac chaque fois qu'elle était confrontée à ce genre de choses. Alors, à la fin du sermon, elle s'envoya une gorgée d'alcool ... Que la question de Kyô lui fit recracher. Elle manqua de s'étouffer, reposant le verre loin d'elle, pour éviter toute autre bêtise. Une bouffée de tabac, et elle s'apaisa.

Puis un sourire amusé se traça sur sa figure, au point qu'elle se permette même un rire.

- Prendre la place de ... Zeus ?

Répéta t'elle, comme pour s'assurer qu'elle n'avait pas mal compris cette question. Elle coinça sa cigarette entre ses lèvres, aspirant une large et lente bouffée de tabac, encore. Elle recracha la fumée tout en répondant :

- Je ne veux pas. Être reine, c'est déjà ... Oh, misére, c'est déjà si lourd à porter !

Un grand sourire, qui révéla sa -parfaite, héhé- dentition.

 - L'ordre des choses est ainsi ... Si Olympe veut subsister, il faut laisser Zeus sur le trône. Aucun autre dieu n'est capable d'éxécuter ce qu'est capable de faire Zeus ... Aucun.

La déesse se massa, d'une main, les tempes. C'était si complexe, et pourtant si simple ... Héra était encore de la vieille école, un brin traditionnaliste. Respecter les régles, même quand on est reine. Et devoir plier l'échine devant des lois immuables.

- J'y ai pensé ... Quand j'étais jeune reine. Assoiffée de pouvoir, j'étais même pire qu'actuellement, tu sais ... Mais, au fil du temps, plus l'éternité se déroulait, plus mes envies de conquérir s'évaporaient. Et j'ai réalisé que, si nous étions encore tous debout, malgré l'absence de prêtres & prêtresses, c'est grâce à Zeus.

Oui, ça lui écorchait la langue de dire cela. Grâce à Zeus ... Mon cul, oui. Les gens riaient de la libido exacerbée de Zeus, mais craignaient la colère ravageuse de son épouse. Au fond, ils étaient un bon couple ... Enfin, couple ... En théorie.

- C'est pour cela que ... J'aimerais aimer une personne au point de quitter Olympe. Ou bien disparaitre, comme je l'ai si bien fait auparavant ... Je ne supporte plus d'être une déesse. L'éternité, les responsabilités me rongent. Et vu la famille que je me traine ... Olympe ne vaut pas mieux que la Terre, crois-moi ...

Elle sourit à nouveau. Oh, elle le disait pour taquiner Kyô, mais elle le pensait tout de même. Tous lorgnaient sur son trône. Fréres, soeurs, enfants ... Aucune pitié, aucun scrupule n'était de mise.

Depuis qu'elle avait dit que Zeus devait rester sur le trône, il faisait la gueule. Bras croisés, il regardait en coin le plafond en serrant les dents. Certes il continuait d'écouter la Reine, mais ce qu'elle disait était fort déplaisant. Sa flamme bougeait nerveusement, il trouvait ce discours aussi pathétique qu'énervant. Et puis quand elle semblait avoir fini, son regard revint dans les yeux d'Héra, incendiaire. Il ferma les yeux, et sourit.

"J'ai dit que je lui botterai le cul, pas qu'un jour j'irai le buter. Bien sûr que l'Olympe a besoin de ce vieux débris, mais je le garderai comme subordonné, sous mes directives!"

Il disait ça comme si c'était évident, mais aussi comme si c'était acquis. Pas quelque chose qu'il voulait voir se dérouler, mais quelque chose qui allait se dérouler. L'inébranlable conviction qu'un jour, Kyô prendrait place sur le trône, avec le vieux Zeus en guise de sous-fifre. Les seules divinités que le Sanctus Tenebris voulait voir disparaitre un jour, c'était Artémis, et ses frères et sœurs. Il visualisa tout ça, rouvrit les yeux et ricana:

"Si c'est qu'un problème de responsabilité, on peut échanger les rôles si tu veux. Moi je gère les autres Dieux, la fécondité des couples, et toi tu t'occupes de deux trois lapins paumés dans la forêt. C'est pas que je suis incapable de remplir mes fonctions, juste que je les supporte pas."

En parlant des fonctions d'Héra, il en avait volontairement omis un: le mariage. Ces trucs-là ne l'intéressaient pas, parce que ça signifiait "rester au moins 15 ans avec une seule et même gonzesse". Pas joyeux-joyeux... Même plutôt bordélique. Vu sous cet angle, c'est peut-être une Déesse du Chaos, Héra...
Il lui tapota l'épaule, tout souriant:

"Je t'aime bien, t'es pas trop gonflante pour une vieille mégère!"

On ne dirait pas, mais c'était un compliment. Il avait tendance à s'exprimer comme ça avec un peu tous les Dieux. Arès s'énervait assez quand Kyô l'appelait vieux débris cogneur à longueur de journée.

"Rassure-toi, je vais pas trop l'abîmer ton frangin si ça t'inquiètes! N'empêche que je ne bougerai pas, un jour, Le Roi, ce sera M..."

Il s'interrompit et devint tout rouge, puis contempla minutieusement ses orteils. Dire qu'on veut être le Roi à la Reine, ça peut être mal vu! Et puis même, quand on prend le trône, soit on garde la Reine, soit on la dégage. Il ne voulait pas la dégager parce qu'il l'aimait bien, mais il ne voulait pas la garder non plus. Il tapa des pieds et grogna:

"Raah, t'es vraiment un dilemme à toi toute seule!"

La déesse ne put s'empêcher de rire en l'entendant proposer d'échanger les rôles. Héra ne se voyait pas tellement gérer des lapins ... Et puis, s'il vous plait, essayez d'imaginer Kyô en dieu des mariages ! Déjà qu'elle, ça la faisait profondément chier, mais alors lui ... Il n'y parviendrait pas. Elle imaginait déjà en souriant le bordel causé par un échange de rôles. Et quand il émit l'idée qu'il deviendrait Roi, elle fit tomber sa cigarette dans un rire. Certes, elle se moquait un peu de lui, en essayant de deviner ce à quoi ressemblerait Olympe si Kyô gouvernait ... Mais surtout, elle se demandait ce qu'elle deviendrait.

Et elle le regarda dans un sourire.

- Si tu deviens roi, éjectes-moi. Cela me fera une bonne raison pour décamper.

Le ton était amusé, mais cette proposition était un brin sérieuse. La Reine des dieux était partagée entre le calme d'Olympe, et sa liberté individuelle. Les autres, ou moi. Un dilemme déchirant, en vérité ... Elle remarqua, amusée, qu'il rougissait. Depuis combien d'années n'avait-elle pas rougie ? Le simple fait d'y penser lui donnait la sensation d'être une vieille peau, ce qui l'agaça assez. Elle posa sa main sur l'épaule du Kyô.

- Fais moi descendre de mon trône ... Mais ne fais pas de mal à Oneiros, entendu ?

Un rire l'agita, à nouveau.

- Ah, je parle comme si tu allais vraiment devenir Roi d'Olympe ... Enfin, si un jour c'est le cas, je crois que ...

Une bouffée de tabac, qui brula ses lèvres. La cigarette était presque finie, et la braise était bien trop proche de sa bouche.

- Je crois que je ne m'inclinerais pas devant toi, Kyô. Mais que je m'amuserais à venir te causer autant de soucis que possible. Je me travestirais en homme et je viendrais te demander de m'accepter comme prêtre.

Elle ne put retenir un nouveau rire, et en vint à penser qu'elle tenait une cigarette magique entre ses doigts. Elle vérifia rapidement. Ce n'était pas le cas. Dommage ... Mais là, dans l'instant, elle se sentait presque hilare. Comme si, pour une fois, tout allait bien. Elle ne craignait même pas qu'il la poignarde dés qu'elle tournerait le dos ... C'était plutôt apaisant, comme impression.

- Si nous devions gouverner Olympe ensemble, tu imagines ... ?