Intérieurement, Frig se méfiait toujours un peu de Nicolas malgré ses dires. On est jamais trop prudente, pensait-elle, même si en temps normal elle lui aurait pardonné comme s'il l'avait tout juste bousculé dans la rue ou n'importe. Inconsciemment, ça devait être Freyja, qui sait. Cela arrive de temps à autre que leurs pensées se mélangent quelque peu. Dans le pire des cas, la scandinave improviserait. Elle ne sais pas comment mais elle improviserait.
Elle se doutait bien que quelque chose n'allait pas pour que son compagnon se soit dirigé presque de suite dans la salle de bain. Son petit doigt lui disait que c'était sûrement pour son genou, aussi bien qu'il lui avait soufflé qu'elle devrait sans doute l'aider d'une manière ou d'une autre. Soit, Adelheid n'avait pas totalement tort. Elle aussi, d'ailleurs, avait toujours mal. Mais elle n'avait, physiquement, aucun signe de ce mal, juste les nerfs qui devaient déconner un peu entre le changement de personnalité. Si la douleur persistait, elle avait toujours du laudanum sur elle, pour supprimer cette impression de douleur. Même si, à première réflexion, Nicolas en avait plus besoin qu'elle... Généreuse de nature, elle était assez droguée pour ne pas vouloir partager son opium bien que son bon fond lui forcerait un moment ou un autre à le partager.
Au premier signe distinctif de la douleur, Frig secoua la tête et finit par faire irruption dans la salle de bain. Son petit doigt avait été juste, le fourbe. Mais elle ne s'attendait pas forcément à ce que Nicolas se soit débarrassé de son jean, alors qu'après maintes réflexions, c'était assez « normal » s'il voulait examiner sa cuisse, puisque ce n'était pas son genou qui était touché. Il avait quand même l'air de morfler...
- Bon, d'accord, on attend. C'est plus pour toi que pour moi... Fit-elle d'un ton neutre, ne sachant si elle devait compatir ou si elle devait penser que c'était bien fait pour lui.
La norvégienne tourna le dos au jeune homme, pour lui laisser quand même une once d'intimité, bien qu'aucun des deux n'avaient l'air si réservés que ça. Dès qu'on alla frapper à la porte, elle se jeta presque dessus pour récupérer les deux verres. Derechef, avec hâte, elle se redirigea dans la chambre après avoir prononcé les quelques « merci, non ça ira, merci, au revoir » qui étaient le minimum de la politesse. Frig posa les deux verres sur un des meubles et sortit le flacon de laudanum, prête à verser une quantité égale de sa pseudo-morphine dans chacun des récipients. Finalement elle en versa plus dans celui de Nicolas, car il en avait plus besoin qu'elle qui n'en voulait que par pure addiction, même si ses blessures lui faisaient un certain mal. La jeune femme secoua légèrement les deux verres afin que les deux liquides se mélangent. Heureusement que c'était incolore... au moins, ça ne se voyait pas. Elle avait la ferme intention de ne rien dire à Nicolas, de peur qu'il prenne ça pour une tentative d'empoisonnement ou pour n'importe quoi de malhonnête. Pourtant, là, cela partait vraiment d'un bon sentiment. Reste à voir si ça porte ses fruits...
Elle revint donc dans la salle de bain et tendit sa boisson à Nicolas. Ceci étant fait, elle prit une grande gorgée du sien avant de s'agenouiller. Elle posa son verre non loin d'elle mais assez loin pour ne pas cogner dessus par inadvertance. Adelheid attendit quelques instants, le temps que lui aussi commence à boire. Il ne le savait pas encore, mais c'était important pour elle. Bref. La jeune femme fit basculer sa tête de manière à ne pas être gênée par ses cheveux avant de se saisir du scalpel.
- Si ça peut te rassurer, c'est pas la première fois que je fais ça. Dit-elle enfin, soutenant ses paroles d'un regard sérieux empli de sincérité et d'une étrange compassion, toute animosité s'étant envolée.
Ses doigts glacés se posèrent la peau de sa cuisse. Frig allait tenter quelque chose de grandement risqué, pouvant être très mal perçu par son « patient ». Or, elle avait déjà « opéré » ainsi, donc normalement les choses devraient aller. Et elle ne voyait aucune raison de changer ses habitudes.
- Contente-toi de boire, je ne veux pas un mot.
Ses paroles étaient anormalement calmes, Frig n'ayant pas l'habitude de donner des ordres. Mais ces mots n'étaient pas prononcés avec un fond d'amertume, ils étaient sortis tout naturellement, comme n'importe quel autre. Ses deux mains se posèrent sur la cuisse, autour de l'éclat posant problème tandis que son index et son majeur droit tenaient le scalpel le temps de ce petit « tour ». Adelheid ferma les yeux et une violente douleur s'éprit de ses côtes blessées. Voilà où était le soucis : elle avait toujours l'habitude d'utiliser la cryomancie comme quelconque anesthésiant (du moins, sur son frère qui servait de potentiel cobaye), c'était toujours mieux que rien. Sauf que, Freyja avait été précédemment bien blessée et qu'en l'invoquant de plus belle, la douleur avait brusquement refait surface, plus qu'avant. La scandinave sentait donc à nouveau les séquelles de leur combat, sans parler de la fatigue. Elle avait pourtant affirmé qu'elle ne pourrait pas refaire apparaître Freyja, mais pour un « petit truc » du genre, peut-être qu'elle avait moyen, bien que cela soit aussi douloureux pour elle. Mais la jeune femme s'en fichait pas mal, elle n'avait pas un truc planté je ne sais où dans son corps. Ainsi donc la peau de son « patient » se gela, ce qui devait sans doute procurer une étrange sensation, sûrement désagréable.
La norvégienne rouvrit ses paupières, dévoilant ses yeux à nouveau noirs. Ensuite elle procéda donc au retrait du pic pointu reposant dans la chair. Dire que ce truc était issu d'elle... D'abord elle démolissait la jambe de Nicolas avec ce machin minuscule, ensuite elle le droguait pour qu'il sente moins les événements se passer (pour son bien !) et enfin elle osait lui glacer la jambe pour retirer ce dit machin minuscule sans être finalement très sûre qu'il ne sente rien. C'était osé, n'empêche. Un sentiment de culpabilité envahit Frig. Là, en cet instant, elle se sentait comme une personne mauvaise dotée de mauvaises intentions, bien que ça ne soit pas vraiment le cas. En y repensant bien, elle avait vraiment l'impression d'être la véritable fautive dans cette histoire, ce qui lui plomba un peu le moral.
Elle se débarrassa, avec peu de délicatesse, de la cause de la douleur de Nicolas. Machinalement Adelheid attrapa une compresse pour nettoyer la plaie.
- Si tu veux bien tenir la compresse, s'il te plaît...
Elle put se saisir de la trousse de secours et enfin trouver ce qu'elle cherchait : une fine aiguille, ou du moins ça pourrait en servir. Sauf que pas de fil, donc pas de moyen de recoudre un minimum la plaie. La norvégienne se releva furtivement malgré ses crampes et c'est sans dissimuler son empressement qu'elle fouilla un peu partout dans la chambre pour trouver ne serait-ce qu'un rouleau de fil, qu'importe pour l'instant. Semant désolation et destruction désordre sur son passage, elle trouva enfin une bobine. Elle déboula de nouveau dans la salle de bain et s'empressa de couper un long morceau de fil. Adelheid recousu la plaie de très près, bien qu'elle soit plutôt petite, mais c'était nécessaire. Elle s'appliqua à la tache, et une fois que ce fut fini, elle coupa le trop de fil avec les dents.
- Mmh... voilà qui n'est pas trop mal ! Annonça-t-elle en regardant son travail avec un certain air satisfait pour cacher ce mal-être qui s'éprenait d'elle.
La scandinave reprit une grande goulée de son verre avant de terminer par le plus compliqué, histoire de ne pas laisser Nicolas avec une jambe de bois, ou plutôt une jambe de glace. Ses mains se reposèrent sur sa cuisse, Frig ferma les yeux, et lentement le givre s'étant installé disparut, libérant ainsi les muscles de cet engourdissement insupportable. Elle n'osait pas ouvrir ses paupières en cet instant, à cause de leur couleur blanc-argenté très particulière à Freyja. Et quand on sait ce qui s'est passé précédemment...
Faiblement elle reprit une autre compresse et la fixa avec un peu de sparadrap.
- Je pense que ça ira... conclut-elle, la voix assez faible. J'voulais pas que ça soit trop douloureux pour toi, parce que c'est de ma faute si tu te retrouves dans cet état là... Encore désolée... Ajouta-t-elle. Là c'était du Frig tout craché.
Deux nouvelles interventions de son alter-ego vengeur après ce combat acharné. Ça l'avait plus que fatigué, Adelheid avait vu sa douleur se raviver de plus belle mais cela avait de grandes chances de passer avec le temps. Elle reprit son verre et se redressa avant de le finir d'une traite. Nonchalamment elle sortit de la salle de bain et posa son verre vide sur la première surface plane qu'elle trouva avant enfin de se laisser tomber dans un fauteuil. La jeune femme poussa un long soupir de soulagement. Maintenant elle espérait que Nicolas ne se rende pas compte du double contenu de son verre... Bof... au point où elle en était...
- Faen, flasken ! Lâcha-t-elle sans retenue en se relevant hâtivement, une main portée sur ses côtes.
( Merde, le flacon !)
Là Frig frôlait la faute professionnelle. Elle se redirigea vers le meuble, cherchant du regard la petite bouteille vide de vin d'opium. Furtivement elle le rapatria dans sa poche et elle retourna dans son fauteuil avec une allure faussement naturelle. Heureusement qu'elle ne l'avait pas oublié, elle n'imaginait même pas la réaction de Nicolas.