Comme le jour et la nuit [Zoé]

       C'est un Dolan plutôt maussade qui marchait dans les rues boueuses et puantes de corruption. Il était encadré de deux armoires à glace qui scrutaient les ombres à la recherche de quelques malfrats téméraires qui tenteraient de leurs chercher querelles. Le ciel semblait d'aussi bonne humeur que William, car il lâchait des torrents d'eau sur les trois hommes. Bien entendu, les caprices de quelques nuages n'atteignaient pas l'avocat qui était protégé par un parapluie, tenu par l'un de ses fidèles gardes du corps.

       Soudain, William avisa enfin sa destination. Une sorte de bar qui servait de point de rendez-vous. D'habitude se sont plutôt les clients qui viennent dans son cabinet. Les avocats à domicile, ça n'existe pas. Cependant, William aurait été mal avisé de faire un excès de fierté, car son client est très influent dans le milieu du banditisme. Il avait donc ravalé son orgueil et accepté l'invitation.


       William sentit une goutte d'eau s'écraser sur sa joue. Il jeta un coup d'œil irrité vers l'imbécile qui ne savait pas refermer un parapluie correctement, mais ne fit aucun commentaire. Il était enfin arrivé. Le bar se voulait branché mais William le trouvait plutôt classique. Un comptoir, quelques tables collées contre les murs pour permettre aux danseurs d'exprimer leur talent inexistant et ce qui ressemble à un carré V.I.P. C'était là que son client l'attendait. Un grand Yakusa d'une trentaine d'années complètement chauve et pourvu d'un regard cruel. William avait appris à ne pas avoir peur de ce genre de type, car il représente son salut contre les griffes de la justice. En effet, l'homme était accusé de proxénétisme. Une de ses catins l'avait dénoncée et s'était présentée à la police avec nombre de preuves accablantes. Sans Dolan, ce type serait condamné.

       -Vous avez quartier libre jusqu'à ce que j'en ai fini, annonça Dolan à ses hommes de main.

       Les deux armoires à glace se regardèrent un temps, jusqu'à ce qu'ils se décident à aller s'asseoir à une table. Enfin seul, William se dirigea vers l'espace réservé où il fut accueillit avec un enthousiasme qu'il jugea excessif. Venant d'un Yakusa, cela voulait dire qu'il avait vraiment besoin des services de Dolan. Ce fut donc avec un petit sourire en coin qu'il prit place à la table des négociations.

* * *

       -Ce sera tout pour aujourd'hui monsieur Dolan, annonça le Yakusa d'une voix ferme.

       Les négociations ne s'étaient pas passées comme prévu. Dolan est avocat, il n'est pas magicien et ça son interlocuteur semblait ne pas le comprendre. Cet homme était dans la mouise et il ne le réalisait pas. Cette affaire était beaucoup plus grave que Dolan le pensait. La prostituée avait réuni trop de preuves et en plus les flics s'en étaient mêlés en fourrant leur nez dans les trafics du Yakusa.
Dolan ne pouvait rien pour ce pauvre bougre, si ce n'est alléger sa peine. Et il semblerait que ce compromis n'est pas plus à tout le monde.

       -Je vous laisse réfléchir à ce que je vous ai dit, fit Dolan en se levant de sa chaise. Appelez-moi si vous avez besoin de mes services.

       -J'y réfléchirait, en effet, rétorqua le mafieux d'une voix plus posée. Profitez de mon établissement, maitre. C'est moi qui offre.

       L'homme fit un signe au barman qui acquiesça en silence. William le remercia d'un signe de tête et quitta le carré V.I.P. Il n'avait aucun envie de s'attarder dans ce bar mais ça aurait été très impoli de refuser.
       L'avocat prit donc place sur un tabouret et s'accouda au comptoir. Le serveur s'enquit de sa commande et revint un instant plus tard avec une bière brune que William sirota avec une lenteur délibérée.

Zoé s'était rendue ce soir là au "White Tiger", un bar branché à la mode, point de rendez-vous de la jeunesse estudiantine japonaise qui désirait s'encanailler, se déhancher sur de la musique techno, draguer des minettes et se biturer la tronche un bon coup.

La jeune fille dansait sur la piste de danse (quoi de plus normal me direz-vous) avec des jeunes de son âge. Bien entendu, elle ne savait pas danser, mais en vérité qui savait vraiment danser dans ce genre d'endroit ? Personne. Le tout était de ne pas avoir l'air trop con quand on faisait les mouvements.

Dire que Zoé était le point de mire de la plupart des clients de l'établissement était un euphémisme : ils la dévoraient du regard tant elle dévorait l'espace avec son corps fin et souple, ses seins ronds et fermes et son visage délicat, rehaussés par la tenue toute en dentelle noire qu'elle affectionnait.

Se trémousser c'est sympa mais au bout d'un moment ça donne soif, aussi se fraya-t-elle un chemin à travers la clientèle compacte pour se diriger vers le comptoir, évitant soigneusement de passer trop près du carré VIP où se tenaient des messieurs tout vêtus de sombre et dont les visages étaient aussi engageants qu'une porte de prison...

Eh, patron, un Perrier z'il-te-plait ! dit-elle au barman. Elle allait s'asseoir sur un tabouret lorsqu'elle trébucha malencontreusement ; elle réussit néanmoins à se rattraper au comptoir, évitant de s'étaler de tout son long sur le sol mais ne put éviter de bousculer un client, un grand type brun, portant lunettes et costard cravate, qui sous le choc renversa sa bière sur le dallage.

Oh ! Je zuis dézolée monzieur, j'ai failli glizzer et me cazzer la figure ! Est-ze que vous voulez que je vous rembourze votre conzommazion ? demanda-t-elle d'une voix gênée.

       William chercha du regard les imbéciles qui lui servaient de gardes-du-corps et les vit à une table en train de faire des avances à de pauvres lycéennes qui semblaient ne pas les apprécier. Heureusement, ils sont assez professionnels pour ne pas déclencher une bagarre dans un bar tenu par un mafieux... Ou du moins, il l'espérait.
L'avocat porta de nouveau son verre à ses lèvres et sentit une poussée dans son dos qui lui fit échapper le verre des mains. Le récipient esquiva avec adresse la veste de son propriétaire et eut la bonne idée de répandre son contenu sur le sol, plutôt que sur l'avocat.
       Dolan grogna et tout en ce tournant, il commença à houspiller l'ivrogne qui l'avait bousculé.

       -Espèce de pauvre...

       Il s'interrompit immédiatement, lorsqu'il avisa qu'il s'agissait d'une femme. Elle s'excusa et William sourit lorsqu'il entendit son zozotement. Venant d'une créature de rêve, c'était presque mignon.
       Dolan la détailla en quelques coups d'œil rapides. En premier lieu, pour s'assurer que ce n'était pas une prostituer, puis pour confirmer qu'il s'agissait bien de la diva de cette boite de nuit. Le juriste observa la jeune fille, comme on observe une œuvre d'art. Pas de désir lubrique, ni d'envie de possession. Juste une contemplation de tous ces petits détails qui faisaient de cette femme une perfection.

       -Ce n'est rien, assura William sans la lâcher des yeux. Prenez donc un verre avec moi.

       Les mires émeraudes de l'avocat glissières sur le côté et observèrent les adorateurs autoproclamés de la diva qui regardait la scène avec une lueur d'inquiétude.

       -A moins que votre fan club ne vous manque déjà, ajouta-t-il avec un soupçon de malice.

L'individu se retourna, ébauchant un début de juron mais qui ne franchit pas ses lèvres quand il vit que la personne qu'il avait en face de lui n'était pas un client éméché mais une charmante jeune fille ; il sourit même lorsqu'elle lui présenta ses excuses : visiblement, lui aussi avait du succomber au zézaiement de Zoé.

Puis il se mit, non pas à la reluquer comme l'avaient fait jusqu'ici tous les mâles de l'établissement, mais à l'observer, la détailler et Zoé lut dans son regard une sorte d'admiration. Elle lui sourit et l'observa à son tour : grand et bien fait de sa personne, il portait avec beau d'élégance son costume trois-pièces qui, d'après le peu qu'elle connaissait de la mode masculine, ne devait pas être donné. son visage avait des traits réguliers et fins mais son expression devait demeurer la plupart du temps neutre ; son regard, acéré, dénotait une profonde intelligence, mais une intelligence froide et calculatrice. Néanmoins, son sourire, lui conférait beaucoup de charme et Zoé se dit qu'il devrait sourire plus souvent.


- Ce n'est rien. Prenez donc un verre avec moi.

Oh, z'est vraiment gentil de votre part, dit-elle en rougissant légèrement. Encore une fois, veuillez aczepter mes plus zinzères excuzes.

Tandis qu'elle s'installait sur le tabouret, il jeta un coup d'oeil au petit groupe de jeunes gens qui, depuis qu'elle était entrée dans le "White Tiger", n'avaient pas arrêté de la dévorer des yeux...

-A moins que votre fan club ne vous manque déjà.

Oh ! "Fan club" est un bien grand mot ! dit-elle d'une voix amusée, choisissant d'ignorer le soupçon d'ironie qu'il avait mis dans sa voix. Ils zont comme za avec toutes les filles qu'ils voient vous zavez... Mais au fait je ne me zuis pas prézentée : je m'appelle Zoé Zatanna Zauberei. Et vous ?

Elle tendit vers l'homme une main fine qu'elle avait pris soin de déganter.

       Le sourire de Dolan s'élargit lorsqu'elle se présenta. Il se demandait avec amusement s'il y avait réellement tous ces "Z" dans le nom de la jeune fille mais il eut la présence d'esprit de ne pas le lui demander. Cette Zoé amusait beaucoup William ; sa fraicheur était vivifiante. Mais si l'avocat ne s'en était pas déjà débarrassé proprement, c'est que la jeune fille semblait plus intelligente qu'elle n'en avait l'air au premier abord. Cela se voyait à la façon qu'elle a eu de mentir suite à la remarque de Dolan concernant les garçons qui la reluquaient. En effet, ils ne sont pas comme ça avec toutes les filles, seulement celles qui ont une beauté proche de la déité.
       Cette fleur qui lui tendait la main devait être très dangereuse pour ceux qui la cueillent sans se soucier des piquants. William prit donc cette main dégantée et la serra avec délicatesse.

       -Je m'appelle William Dolan, se présenta-il.

       Ce dernier sonda les yeux azur de son interlocutrice à la recherche d'une quelconque réaction. Dolan n'est pas un personnage publique mais il se peut qu'elle ait entendue parler de lui dans un journal ou si elle s'intéressait au droit, tout simplement. William n'était pas imbu de sa personne au point d'être flatté que quelqu'un le reconnaisse. Il préférait s'assurer, au contraire, que Zoé ne le connaissait pas, car ce qu'elle aurait entendue n'avait aucune chance d'être de bonnes choses.

       Le juriste attira l'attention du barman qui se pencha sur le comptoir pour écouter sa requête. Il commanda un Perrier et une autre bière brune pour lui-même. Puis, l'avocat se tourna de nouveau vers la jeune fille avec mine intriguée.

       -Alors Zoé, commença-t-il. Avez-vous d'autres centres d'intérêt que de bousculer les clients?

       Cette question aurait pu passer pour un pic si William ne l'avait agrémenté d'un sourire amusé. En réalité, la maladresse de cette fille était attendrissante.

Le sourire de l'homme s'accentua quand il entendit son nom : de toute évidence il devait trouver amusant que chaque lettre de son nom entier commence par un "Z" mais il était trop gentleman pour en faire la remarque. Il se présenta à son tour et Zoé fut quelque peu étonnée de voir que son nom n'était pas du tout japonais mais elle s'abstint de tout commentaire. Par contre, il lui disait quelque chose car elle était sûre de l'avoir déjà entendu quelque part. Mais où ?...

Finalement elle secoua légèrement la tête : cela lui reviendrait plus tard et puis ça n'avait pas vraiment une grande importance.

William commanda deux boissons : une bière pour lui et un Perrier pour elle. Elle lui gratifia son plus sourire :

Z'est vraiment gentil à vous de m'offrir à boire. Le prochain verre zera pour moi !

Et elle trinqua avec lui. On pourrait s'étonner que Zoé, fêtarde comme pas deux, boive seulement du Perrier. C'est qu'en fait elle supportait mal l'alcool ; non pas qu'elle vomissait tripes et boyaux après quelques verres mais c'est qu'elle devenait vite gaie (ce qui est toujours mieux que de devenir triste ou violent sous l'emprise de la boisson), tellement gaie au point de danser les seins à l'air sur le comptoir et de voir ses exploits finir sur Youtube...

-Alors Zoé, commença-t-il. Avez-vous d'autres centres d'intérêt que de bousculer les clients?

La question la prit un peu au dépourvu mais elle y répondit quand même :

Eh bien, comme toute fille normalement conztituée, j'aime faire du lèche-vitrines, aller au karaoké, faire du zport, papoter... Je m'intérezze auzzi à l'aztrologie et à la cartomanzie...

Attendant sa réaction, elle but une gorgée de Perrier.

       William l'écouta en silence, tout en sirotant sa bière. Curieuse jeune fille. En tant qu'indécrottable cartésien, Dolan ne pouvait prêter foi à la cartomancie ou à l'étude des astres. Il la fixa de ses yeux émeraudes, essayant de comprendre ce qui pouvait bien se passer dans cette jolie tête. A quoi pensait-elle? … Elle n'avait pas l'air de vouloir le séduire. Pour ça, ce genre de fille bat des cils et met ses formes en avant, mais le pire c'est que ça marche.
       William était perplexe et comme il en était à sa deuxième bière sans compter les deux verres de piquette infecte qu'il avait dû avalé avec son client, il ne trouva rien de mieux que de lui demander directement.

       -Vous ne buvez pas d'alcool? Demanda-t-il pour introduire sa véritable question. Vous venez donc pour faire la fête, danser ou trouvez un homme? Peut-être les trois...

       Ça, ce n'était pas très galant maitre Dolan. Il ne savait pas vraiment pourquoi il avait dit ça. Cette jeune fille était tout à fait charmante. C'était peut-être le stress, la frustration de ne pas avoir conclu l'affaire. Toutefois, il avait regretté ses mots, au moment même où ils étaient sortis.

       Dans le fond, William avisa du coin de l'œil que ses hommes commençaient à faire du grabuge.  L'un d'eux semblait se montrer un peu trop démonstratif avec une adolescente, qui se trouvait être la petite amie de l'imprudent qui avait poussé le gorille pour l'éloigner d'elle. Pour deviner la suite, il n'était pas nécessaire d'avoir fait polytechnique.
       Bizarrement, L'avocat s'en fichait. Il avait lui aussi ses problèmes.

-Vous ne buvez pas d'alcool? [...] Vous venez donc pour faire la fête, danser ou trouvez un homme? Peut-être les trois...

Ouah, vous attaquez direct vous ! répondit-elle en riant. Puis elle reprit une gorgée de Perrier avant de répondre à William Dolan :

Je ne zupporte pas très bien l'alcool. Pas que za me zoulève le coeur mais z'est juzte qu'avec deux ou trois verres, eh bien je m'envole rapidement si vous voyez ce que je veux dire...

Nouvelle gorgée de Perrier avant de poursuivre :

Zinon, j'adore venir en boite de nuit pour danzer : za me permet d'évacuer le ztrezz et de me déconnecter de la réalité un court inztant. Mais dites-moi...

Et là elle planta son beau regard dans celui, émeraude, du jeune homme :

...qu'est-ze qu'un type comme vous, ayant beaucoup de clazze et de diztinczion, fait dans zet endroit ? Ne le prenez pas mal mais vous êtes autant à votre plaze qu'un loup parmi des chiens de zalon...

La question avait peut été trop directe et pouvait heurter William mais à vrai dire Zoé s'en foutait un peu : il voulait qu'il la prenne comme elle était et non qu'elle se calque sur lui. Et puis, il ne devait pas avoir l'habitude de discuter avec des personnes autres que celles qu'il côtoyait au quotidien. Un peu de nouveauté lui ferait peut être pas de mal...

       William fut un peu surpris de la réaction de la jeune fille. Et après coup, il réalisa, en fait, qu'il en était ravi. Pas vexée pour un sou, la jeune fille avait continuée la conversation, expliquant qu'elle ne supportait pas bien l'alcool. William se demandait, par ailleurs, qu'est-ce qu'elle pouvait bien faire pour devoir évacuer le stress. Vu son âge, elle devait être étudiante.

       Le juriste éclata d'un rire franc lorsqu'elle lui demanda ce qu'il faisait ici. Ce n'était pas un rire moqueur et, bien que rare, il était assez agréable. Il regarda à son tour la jeune fille qui avait plantée ses mires azur dans les siennes.

       -Je suis ici pour affaire. Comme je suis avocat, vous devez bien vous imaginer que des types comme ça – il désigna les Yakusas qui discutaient calmement dans le carré V.I.P.- requièrent mes services un jour ou l'autre.

       William se demandait si elle allait avoir peur de discuter avec un associé des Yakusas. Ce n'est pas comme si elle avait des raisons, mais certaines personnes se sentaient mal à l'aise près de William Dolan, l'avocat le plus corrompu du Japon.
       Ce dernier finit sa bière brune et éloigna le verre de lui.

       -Autant dire que je ne suis pas venu là dans le but de passer du bon temps, expliqua-t-il. Mais il faut croire que le bon temps m'ait trouvé sans que j'ai besoin de le chercher.

       Dolan gratifia sa compagne d'un petit sourire qu'il essaya de rendre engageant.

A sa question, il éclata de rire et lui expliqua qu'il était avocat et que l'un de ses clients était l'un des types du carré VIP, le patron du White Tiger pour être exact.

Elle se souvint alors où elle avait déjà entendu ce nom là : William Dolan, l'avocat des hommes d'affaires corrompus, des financiers véreux et des Yakusas (ce qui revenait à peu près au même quand on y réfléchissait bien).

Je vois. Vous êtes en quelque zorte l'avocat du Diable.

Elle avait dit ça sans aucune malice ni aucun sous-entendu, mais tout simplement comme si elle énonçait un fait établi.

Elle regarda de nouveau les hommes de main et se dit que cela n'avait rien à voir avec l'image du mafieux japonais telle qu'elle était représentée dans les films... Peut être a-t-il existé par le passé des Yakusas "honorables" mais il fallait bien avouer que ce spécimen avait disparu. Et puis, pour Zoé, un gangster reste un gangster, si "honorable" qu'il soit.

Quant à William, qu'il défende de telles personnes ne la dérangeait pas spécialement car après tout, on était dans un système où même les criminels avaient droit à un avocat. Donc, pourquoi s'en priveraient-ils ?

Elle reporta son attention sur Willam Dolan et lui sourit quand il lui sortit une phrase qui faisait l'éloge, de manière indirecte, sur sa compagnie qu'il devait trouver plus que charmante.

Z'est très gentil à vous de me dire za, monsieur Dolan. Est-ze que za vous dirait que l'on aille ailleurs ze changer les idées ? Vous aimez le karaoké ? Zi oui, on peut y aller si vous voulez. Zinon, eh bien on peut faire autre choze...

Finissant son Perrier, elle attendit sa réponse.

       Maintenant, William ne doutait plus du fait qu'elle avait déjà entendu parler de lui. Les médias l'appelaient parfois l'avocat du diable, ce qui était on ne peut plus vrai. Quoiqu'il en soit, Zoé n'avait pas l'air d'être choquée pour autant, ce qui était une aubaine pour lui. Dolan avait l'habitude des gens qui, lorsqu'ils savent qui il est, l'évitent ou affichent une franche hostilité. Un comportement compréhensible mais loin d'être nécessaire, car bien que William soit totalement amorale, il savait tout de même comment traiter une femme.

       Il fut secoué d'un nouveau rire lorsqu'elle lui proposa un karaoké. Décidément, cette fille lui en faisait voir de toutes les couleurs. Lui dans un karaoké, ça serait pour le moins cocasse, mais il n'avait pas le cœur à refuser une invitation venant d'elle.

       -Ça serait avec plaisir, mais vous n'arriverez jamais à me faire chanter, affirma-t-il en levant l'index devant son visage. Jamais.

       Il la gratifia d'une dernier sourire amusé et jeta un coup d'œil vers ses gorilles qui batifolaient toujours à leur guise, tel des loups lâchés dans une bergerie.

       -Excusez-moi, je reviens immédiatement, fit-il en se levant de son tabouret.

       Il traversa la piste de danse, passant au travers de la foule comme si elle n'existait pas. Lorsqu'il fut assez près de ses employés il put discerner ce qu'ils disaient à un adolescent qui s'était mis entre eux et la jeune fille qu'ils harcelaient depuis plusieurs minutes.

       -Si ta copine met des jupes aussi courtes, c'est pour attirer d'autres mecs que toi non? Demanda une brute d'un air goguenard.

       L'adolescent répondit quelque chose mais sa rhétorique manquait trop de conviction pour arriver aux oreilles de Dolan. Ce dernier décida donc de mettre fin à la mascarade.

       -Messieurs, commença Dolan d'une voix assez forte pour couvrir le bruit de la musique. Je me passerai de vos services pour ce soir. Quittez ce bar!

       L'avocat ne prit pas la peine de regarder s'ils avaient suivi ses directives. Il fit aussitôt volte-face et revint vers Zoé. Ses loubards congédiés et la catastrophe évitée, il pouvait de nouveau reporter toute son attention sur la demoiselle.

       -Nous y allons lorsque vous serez prête. Au fait. Aurons-nous besoin d'une voiture?

Il rit de nouveau quand elle lui proposa le karaoké. Décidément, il était marqué quelque part qu'elle le ferait rire pas mal de fois au cours de cette soirée. Il accepta l'idée mais il dit d'un ton très sérieux que jamais elle n'arrivera à le faire chanter.

Il ne faut jamais dire "jamais" ! dit-elle en lui faisant un petit clin d'oeil.

Soit il chante comme une casserole, soit il est timide, voire les deux... pensa-t-elle, amusée. Bah ! Pas grave, je chanterai pour deux ! reprit-elle à voix haute.

Il jeta un oeil aux malabars qui étaient attablés pas très loin et qui faisait du gringue à une minette dont la tenue était plutôt affriolante. Enfin, quelle fille, dans cette boîte de nuit, n'était pas habillée de manière à attirer les regards ? Aucune. Même Zoé ne faisait pas exception à la règle.
William se leva, traversa la salle et leur dit quelques mots ; aussitôt ils quittèrent leurs chaises et se dirigèrent vers la sortie.

Quand l'avocat revint, il demanda à la jeune fille si c'était loin.

Non, z'est à quelques pâtés d'immeubles d'izi. Euh, z'était qui zes gars là, zi z'est pas indizcret ?

Elle regretta aussitôt cette question : avait-elle le droit de se mêler ainsi de sa vie privée ? Elle espérait qu'il ne lui en voudrait pas de sa curiosité malvenue...

       Le regard de Dolan suivit les deux gardes du corps qui sortaient en lançant des coups d'œil déçu à la jeune fille qu'ils avaient fini par laisser tranquille. La question de Zoé surpris l'avocat. Ainsi elle ne le connaissait pas si bien que ça, malgré qu'elle ait entendu parler de lui. Tant mieux.

       -Ceux sont mes employés, répondit Dolan.

       Il ne jugea pas utile de préciser pour qu'elle genre de service William les payait, mais la jeune fille devait s'en douter rien que par leur allure. Ils n'avaient pas vraiment l'air de porteurs de parapluie ou d'une escorte princière.

       -Allons-y, fit-il en lui proposant son bras.

       Ainsi, William quitta le bar en charmante compagnie. Le silence et la fraicheur de la nuit lui faisait un bien fou. Le contraste entre la musique de dancefloor et l'extérieur était tel que ses oreilles bourdonnaient. Il faut dire que le juriste n'était pas habitué aux boites de nuit. Il en avait pourtant fréquenté quelques unes lorsqu'il était étudiant mais les réceptions mondaines avaient vite remplacées ces petits divertissements. Et voilà qu'il était en route pour un karaoké avec une clubeuse.

       Tandis qu'il marchait, William lui jeta un regard en coin. Il tentait de la détailler discrètement mais sans grand succès pour ce dernier point. Ses vêtements pouvaient laisser présumer beaucoup de choses quand à cette Zoé. Dolan n'est pas du genre à faire des jugements trop hâtifs mais il n'y avait pas de mal à faire des hypothèses.
       Alors? Une fille facile ou bien une petite prude en quête d'attention et de reconnaissance? Une adorable candide ou bien une manipulatrice hors pair? Mais la question la plus importante est : Pourquoi elle n'avait pas décampée à la seconde même où elle l'a bousculé? En effet, seul les femmes au sang bleu, attirées par le pouvoir et l'argent gravitent autour de William, et non pas les adolescentes surchargées d'hormones – ce à quoi Zoé ressemblait -. Cependant, les apparences sont parfois trompeuses, alors il pouvait bien lui accorder le bénéfice du doute.

       Les chaussures hors de prix claquaient sur les pavés du trottoir dans un rythme régulier et agaçant. William passa sa main libre dans ses cheveux noirs qui glissèrent comme des anguilles le long de ses phalanges et prit une bouffé d'air frais en se demanda pour la énième fois, qu'est-ce qu'il lui prenait de s'aventurer dans un karaoké. La vérité c'est qu'il était un peu neveux.

       -Qu'est-ce que vous faites dans la vie Zoé? Demanda-t-il pour se changer les idées. Vous vivez chez vos parents?

       William tourna son visage vers la jeune fille et la gratifia d'un sourire amusé suite à sa question, universellement connu des pires dragueurs qui ont foulés le sol de cette bonne vieille terre.

Quand Zoé demanda à William qui étaient les deux armoires à glace, il répondit qu'ils étaient ses employés.

Oh ! Je vois. Répondit-elle. Ze zont vos gardes du corps. Zans indizcrezion, vous avez déjà rezu des menazes de mort ?

Il y avait à la fois de la curiosité, de la peur et de l'excitation dans sa question : les personnes qui vivaient dans la crainte de se faire tuer à cause de leurs activités ou pour tout autre raison n'avaient pas un sort des plus enviables mais en même temps, elles exerçaient une curieuse fascination (quelque peu morbide il fallait bien le reconnaître) comme si en les côtoyant on vivait un peu de leur existence en sursis...

Bras-dessus bras-dessous, l'avocat et la jeune fille déambulaient dans la rue, formant un couple des plus curieux. Elle s'aperçut que William la regardait de temps à autre mais ne fit aucun commentaire ; elle se contenta de lui sourire. Au bout d'un moment, il lui demanda :

"Qu'est-ce que vous faites dans la vie Zoé ? Vous vivez chez vos parents ?"

Eh bien, je zuis lyzéenne. En ze qui conzerne mes parents, z'est oui et non : je zuis chez eux, à Paris, durant les vacanzes mais durant les périodes zcolaires, j'ai ma piaule pas loin de mon lyzée ; enfin bon, on peut dire que d'une zertaine manière je vis encore chez eux vu que je dépends d'eux finanzièrement. Et vous, depuis combien de temps êtes vous avocat ?

Ils arrivèrent finalement à l'établissement en question : "Le Black Jack".