Malfée croisa les jambes avec une lenteur étudiée, son regard perçant braqué sur Shun comme s’il lisait en lui, disséquant chaque émotion naissante sous la surface. Une lueur fugace traversa ses prunelles sombres, pareille à une braise sous la cendre. Puis, il lâcha enfin sa sentence, d’un ton mesuré mais implacable :
"Oui, porter plainte. Pour l’instant, elle essaie de se calmer seule dans mon bureau."
Il laissa planer un silence, scrutant la réaction du garçon. L’air dans la pièce semblait s’être épaissi, comme si l’espace lui-même retenait son souffle, suspendu au bon vouloir de Malfée.
"Je suis convaincu que vous étiez tous les deux plus ou moins consentants et je n’ai aucune intention de la laisser détruire ta vie."
Son sourire s’étira imperceptiblement, presque amusé, comme s’il savourait une blague dont Shun ignorait encore l’existence. Il préféra ne pas avouer que toute cette mésaventure du placard avait été savamment orchestrée, une scène méticuleusement mise en place où ni Brittany ni Shun n’étaient réellement maîtres de leur destin.
Avec un soupir théâtral, Malfée retira ses lunettes et secoua sa chevelure. Comme par enchantement, la couleur sombre de ses mèches s’effilocha en un rideau liquide, se métamorphosant en un argent pur, spectral. Un frisson sembla parcourir la pièce, une onde invisible qui fit vaciller la lumière des lampes. Il détacha lentement les boutons de sa veste, révélant un sous-pull cintré aux rayures noires et grises qui moulait son torse avec une élégance surnaturelle. Puis, d’un geste désinvolte, il secoua la veste.
Le tissu ondula comme une matière vivante, sa texture se fluidifiant un instant avant de se fixer sous une nouvelle forme : un trench-coat beige, souple et noble, dont les pans effleurèrent le sol dans un bruissement feutré. Autour de lui, l’ombre vacilla, comme si la pièce ne savait plus exactement quelle réalité suivre.
L’homme qui se tenait devant Shun n’était plus un simple directeur. C’était autre chose. Quelque chose de plus ancien, de plus vaste, de plus... capricieux. Une aura presque irréelle l’enveloppait, une impression fugace que le temps et l’espace se pliaient à sa seule fantaisie.
Un sourire en coin, Malfée planta ses mains dans les poches de son manteau et inclina légèrement la tête.
"Bien, je ne vais pas y aller par quatre chemins : tu me plais, Shun."
Sa voix, bien que toujours charmeuse, portait maintenant une nuance plus profonde, une onde qui vibrait dans l’air comme une mélodie sourde et hypnotique. Autour d’eux, les ombres semblaient frémir, oscillant au rythme de ses paroles.
"J’aime comment tu as géré la situation avec Brittany, et quelque chose me dit que tu as aimé toi aussi."
Il fit un pas de côté, comme un prédateur qui tourne autour de sa proie, sans urgence, simplement pour le plaisir du jeu. Ses pas ne faisaient aucun bruit, comme si le sol lui-même se pliait à sa volonté.
"Ne t’y trompe pas, Brittany ne me pose aucun problème : je suis même ravi de voir, jour après jour, toute la tourmente et les émotions qu’elle est capable de générer dans son sillage."
Ses doigts s’agitèrent légèrement, dessinant un geste dans l’air comme s’il modelait une idée tangible. L’espace sembla se tordre légèrement autour de ses mouvements, comme une illusion sur le point de s’effondrer.
"C’est un vrai régal !"
Il s’arrêta enfin, redressant les épaules, comme s’il venait de prendre une grande décision.
"Mais je suis un peu comme un grand enfant : j’ai tendance à casser mes jouets. Aussi ai-je décidé de te ‘prêter’ Brittany."
Un éclat de malice traversa son regard, une lueur de défi teintée d’une douce cruauté.
"Je ne doute pas que tu aies de bonnes raisons de lui en vouloir, ou tout simplement d’avoir envie de jouer avec elle toi aussi. C’est pourquoi j’ai décidé de te léguer une infime partie de mon pouvoir : je vais te donner un mot."
Il tendit la main, paume ouverte, comme s’il allait déposer un secret au creux de l’univers. L’ombre de ses doigts s’allongea étrangement sur le sol, ondulant comme une mare d’encre.
"Ce mot aura un effet temporaire tout simple, toujours le même : Brittany perdra la majorité de ses capacités mentales, faisant d’elle l’élève la plus bête du lycée."
Son sourire s’élargit, dévoilant une rangée de dents trop blanches, trop parfaites, comme sculptées par un artisan divin.
"Une mémoire à long terme proche de celle d’un poisson rouge, l’inhibition d’un jeune chiot surexcité, les facultés de raisonnement d’un panda et l’attention d’un écureuil."
Le silence s’épaissit. Malfée referma lentement sa main, scellant son offrande dans une attente suspendue. Une brise fantomatique effleura la pièce, soulevant brièvement les cheveux de Shun sans qu’aucune fenêtre ne soit ouverte.
"On dirait bien que tu vas pouvoir jouer à la poupée."
Et dans l’air, une promesse flottait, douce et vénéneuse, prête à être cueillie.
"Allez va, tu sais où la trouver. Et si tu t’inquiètes pour la suite, il y a des caméras dans mon bureau ; je te laisserai les enregistrements : tu trouveras bien quoi en faire."