Être dans les bras de Damascus.
Sentir sa peau lisse, douce. Sans aucun défaut. Elle la savait pâle, sans avoir besoin de la voir présentement. Parfaite.
Son Paradis n’était pas celui qu’elle croyait mais… Une bouffée étrange colora ses joues, et dans sa poitrine, son cœur vrombit lorsque le Démon lui ordonna de ne plus jamais agir ainsi. Ne plus lui faire peur ? Il était inquiété pour elle ?
Mensonge ou pas, pour le Petit Corbeau, les mots de l’Infernal étaient des vérités intouchables. Elle rêvait de les entendre, et, privée de la vision idéale de son visage si raffiné, sa voix mélodieuse n’en demeurait pas moins la chose la plus plaisante au Monde. Son Monde.
« Oui mon Maître… »
Collée à lui, à son corps nu, une chaleur irradia son buste, le glyphe les liant paraissait plus fort que jamais. Le murmure à son oreille réveilla immédiatement en elle un tourbillon de désir. La Servante avait oublié où elle était, ou s’ils étaient entourés. Le tambour dans sa poitrine résonnait dans ses tympans comme sous un orage puissant… Elle avait envie de lui, son corps le réclamait, et aussitôt cette main glissée entre ses cuisses la fit défaillir.
La chute fut brutale, comme on sort trop vite d’un rêve, et l’air autour d’elle changea. La tension érotique entre eux se dissipa, aussi vite que passe l’averse, laissant la petite Esclave bouche bée. La jeune femme baissa les yeux, honteuse, en sentant son Maître se lever, la laissant choir ainsi, pour suivre l’Ancien.
Vainement, Alecto tourna la tête de part et d’autre de la pièce où elle se trouvait… Seule ? Un sursaut la fit couiner en se rendant compte qu’on la touchait, avec respect, et peut-être même une pointe de timidité. De petites mains -elle en perçu quatre- la redressèrent, et dans un silence étrange, on l’habilla. Ses vêtements sentaient bon. Le cuir ne crissait plus de crasse, de terre, de sang. Ses bottes étaient sèches et les trous dans ses semelles avaient disparus. Sans pouvoir se retenir, un sourire, même un rire, accompagna ces révélations…
- Je la garderais bien avec moi.
- Si le Guerrier échoue, tu n’as qu’à la demander à l’Ancien, mais elle ne sert pas à grand-chose, si elle ne voit pas.
Un ricanement guilleret résonna.
- ça m’arrange un peu qu’elle ne puisse pas me voir…
Et les deux petites voix rirent ensemble.
Alecto n’osa pas souligner tout haut qu’elle avait compris leurs mots. Mais cette conversation anodine avait serré son estomac : Damascus était parti combattre les hordes de petites créatures grises et hargneuses, et sa vie était en danger. La peur étreignit son cœur. Et la petite voix rebelle dans sa tête murmura… « Et s’il était tué dans la bataille ? » Elle cilla. « Tu serai libre. »
Non.
Elle ne voulait pas qu’il lui arrive quoi que ce soit. A l’idée qu’un immonde petit gris puisse blesser le Démon, le Petit Corbeau se sentait envahie d’angoisse, et d’une colère sourde. Le tonnerre grondait dans son crâne. Et soudainement, elle réalisa que, s’il mourrait, s’il échouait dans cette épreuve imposée par ces créatures si douces et frêles, sa première pensée serait de se venger…
La Docile Alecto serrait le poing, à cette pensée. L’Ancien lui paierait cela, aveugle ou non, ce n’était pas une priorité. Elle était convaincue qu’elle pourrait vivre sans yeux, mais pas sans Damascus. Elle… perdrait… toute envie de … vivre.
Une fois habillée, on la réinstalla dans ce hamac étrange qui lui donnait l’impression de flotter lentement. Les deux petites choses qui l’avaient apprêtée lui apportèrent à manger, la texture ressemblait à des champignons, sucrés et salés à la fois. Une boisson fermentée piqua ses narines, et par politesse, la jeune femme accepta un verre, puis deux. Une langueur s’empara de son corps, l’anxiété, qui perturbait toutes ses pensées, accaparait tout son esprit, fut légèrement calmée. Elle se demandait si le liquide n’était pas alcoolisé, mais n’en percevait pas le goût.
Le temps ne passait pas rapidement, mais son état paraissait supportable. Ses pensées vagabondèrent… Que faisait son Maître ? Quoi qu’elle regarde, où que se porte ses yeux, un voile blanc opaque lui refusait toute distraction. Alors ne lui resta que son imagination. Rêveuse, à demi-allongée, se balançant légèrement, la Servante goûtait à l’oisiveté. Comme c’était … reposant.
Mais du bruit brisa sa quiétude. Se redressant comme après un doux songe, tournant la tête de toute part dans l’espoir de percevoir quelque chose, un indice, quoi que ce soit… Les clameurs étaient indistinctes, et Alecto crut d’abord à une très mauvaise nouvelle. Fallait-il fuir ? Où était son Maître ? La peur écarquilla ses yeux aveugles, la panique la submergea… Où était son Maître ? Tout s’agitait autour d’elle, elle entendait des pas, des murmures puis des petits cris. Ca courrait. Sa main se posa sur la garde de son aiguille, tremblante.
Pourtant, bientôt, la liesse se fit plus nette. Certains mots étaient faciles à comprendre, instinctivement. « Victoire ».
L’Espace lâcha sa rapière, sauta sur ses pieds, chercha en vain quelque chose dans l’immaculé de sa vision. Les sons venaient vers elle, on hurlait, on chantait, on scandait des Hourras. Il y avait comme une odeur de feu et de viande qu’on fait rôtir au loin. Et bientôt, un autre parfum prit toute la place dans son esprit. Envahissant ses sinus, l’aura du Démon perfora ses pensées égarées. Son visage se tourna immédiatement en direction de lui, sans le voir, et les pas rapides, maîtrisés, puissants de son Maître s’approchèrent d’elle. Elle ressentait l’allégresse autour de lui, mais ne la percevait pas chez ce Guerrier Victorieux. Il y avait quelque chose de … déterminé.
Le contact de sa main sur son visage lui briller un sourire éclatant.
« Chaque seconde loin de vous est un déchirement. » Lança-t-elle sans réfléchir, avec une franchise déconcertante d’adoration. Instinctivement, ses lèvres cherchaient déjà les siennes.
Les mots qu’il prononça l’électrisèrent immédiatement. Cependant, nul besoin de donner d’instruction au Sage qui devait se trouver non loin, car elle l’entendit parfaitement ricaner, et articuler un calme « Récompense », avant de se retirer.
Un calme étrange suivit le départ des Créatures, une seconde floue, hors du temps. Le visage d’albâtre de la Petite Poupée n’avait pas suivi les pas qui l’éloignaient, elle semblait chercher du regard les yeux du Démon, chercher sa bouche, sans y parvenir.
Il avait combattu, il en avait l’odeur, mais ne paraissait en rien éreinté de bataille. Elle supposa que viendrait le temps de lui conter ses aventures, comment il avait vaincu toute une armée de pygmées gris et hostiles, mais en cet instant, cela lui importait peu. Ils étaient en vie, et ses doigts graciles montaient déjà, à l’aveugle, jusqu’au ventre protégé de cuir de son Maître. Sa vue absente rendait ses mouvements délicats, elle devait se concentrer pour chercher, mais tâtonna jusqu’à sa ceinture. Elle avait mille fois dû dévêtir ses anciens Propriétaires, c’était un geste éculé, mais cette fois, Alecto était tremblante, certes, mais d’impatience.
Son pouls s’était accéléré, elle ressentait au creux de son ventre un puissant brasier. Le désir brûlait sa poitrine, alors qu’elle se hissait à ses lèvres pour l’embrasser. Une seconde, la petite voix lui souffla qu’il allait l’arrêter, encore, comme au beau milieu de la forêt, qu’il allait la torturer et faire d’elle ce qu’il voulait. Ses sourcils se froncèrent, et avec conviction, son baiser s’empara de cette bouche démoniaque avec appétit, pendant que ses doigts faisaient abdiquer la boucle de ceinture, qui tomba lourdement sous le poids des armes.
« Le Vainqueur des ennemis ancestraux mérite sa Récompense en effet. » Murmura la jeune femme, l’œil vide mais brillant d’une malice nouvelle.
Ses mains s’agitèrent pour faire céder tout tissu qui se trouverait sur sa route, jusqu’à empoigner avec une assurance étrange et fougueuse la trique déjà dressée du Démon. Son simple contact la fit soupirer d’aise, redoublant l’ardeur de ses baisers.
Sans attendre, elle se mit à genoux. Alors qu’elle semblait toujours si déférente dans cette posture, comme si Alecto était née pour courber l’échine, cette posture la rendit plus élégante. La soif de ce corps qu’elle chérissait tant, dont elle avait été trop privée, ce besoin qu’elle osait exprimer réellement, illuminait tout son être. En ouvrant la bouche sur son sexe comme une avaleuse de sabre, le Petit Corbeau souffla un gémissement de soulagement contre la peau brûlante et tendue.