La joue d’Alecto la brûlait, et dès qu’elle eut constaté dans quel courroux son Maître était plongé, elle voulut protester.
« Je ne voulais pas… » Mais les jumelles de la première gifle la firent taire, et les suivantes la laissèrent sans voix, et presque sans conscience. La violence douleur qui arracha son cuir chevelu lui fit pousser un gémissement suraigu, mais les mots du Démon furent plus brutaux encore pour la jeune Esclave.
Elle pleurait.
Le lourd tribut réclamé par Saïf énoncé par Damascus la terrifia, et elle se convainquit que jamais son Maître ne lui ferait de mal, jamais il ne la mutilerait pour le bon plaisir d’un étranger… Elle s’étouffa en constatant qu’elle se trompait lourdement et, jusqu’au bout, cru véritablement qu’il lui découperait l’oreille sans une once de pitié. C’était là ce qui lui faisait le plus mal, en réalité, mais les choses s’enchaînaient trop vite pour qu’elle réussisse à réfléchir à autre chose que les pics douloureux et les secousses.
Pourtant, lorsqu’elle comprit, plusieurs minutes après le début de son scalp, ce que faisait Damascus, Alecto ressentit une frayeur telle, qu’elle devint parfaitement immobile, là où peu de temps avant, elle était secouée de sanglots et de tremblements. La crainte qu’il ne la coupe, dans son entreprise furieuse, la rendit blême comme une défunte, et en elle, s’opérait un bien étrange chamboulement. Le Petit Corbeau n’avait jamais renssenti l’orgueil de se mirer dans une glace et d’en apprécier le reflet, l’idée saugrenue de se trouver jolie, attirante, et d’avoir découvert combien il était agréable d’être admirée lui était jadis étrangère mais… Depuis le Glyphe, elle se surprenait à aimer l’attrait qu’elle pouvait avoir pour les regards plus appuyés, développant une petite vanité naissante, qui grandissait à mesure qu’elle s’affirmait.
Alors, elle se sentait horrifiée du physique qu’elle arborerait, alors qu’elle voyait tomber des mèches entières de ses longs et beaux cheveux noirs. Elle serait laide, songea-t-elle avec effroi. Assurément. De fait, vexée, elle développa à mesure de son traitement capillaire violent une sorte d’animosité. Les sanglots de panique et de douleur laissèrent place, imperceptiblement, à quelque chose de plus sourd.
Et pire, les paroles crachées par son Maître à propos de son échec et des conséquences d’un éventuel prochain la firent frémir certes, mais la colère naissait de ces menaces. Elle n’avait jamais ressenti la colère, avant. A l’encontre de quiconque, d’ailleurs, même si elle s’était surprise à avoir une haine dégoûtée du Gras en sa demeure. Jamais, non jamais, elle n’avait pu développer de haine, ou de rancune, vis-à-vis de ses Maîtres. Et ce, quel que soit le traitement qu’ils administraient à leur possession docile.
Alecto courbait l’échine, ne ressentait pas d’émotions brutales, en bien comme en mal.
Et ce qui naissait en elle la chamboulait, comme toute nouveauté, son corps et son esprit ne savaient comment le gérer. Fort heureusement, son ire était à peine germée, et restait sagement contenue en elle, sans même qu’elle arrive à la définir clairement.
La sentence tomba, et Alecto ne s’en étonna pas… Quelle que soit la faute, les hommes n’avaient en tête que cette pulsion, et ne songeaient qu’à asseoir leur pouvoir par la domination de bas instincts… Si elle avait été plus assurée, et il n’était pas à douter que le Glyphe le lui permettrait plus tard, le petit Corbeau aurait ricané à l’entente de ce châtiment.
Mais pour l’heure, l’Esclave avait le cœur meurtri de cette déception qu’elle avait causé à son Maître. Celui qu’elle admirait et qu’elle chérissait avec tant de ferveur s’était montré dur avec elle, n’avait pas montré la clémence qu’elle avait espéré… Et un espoir déçu entraînait trop souvent de douloureuses conséquences dans les sentiments que l’on voue à quelqu’un…
Cependant, obéissante, elle ne dit mot et se dévêtit avec minutie. Ses joues étaient rouges des violences infligées, et lui brûlaient encore.
Alecto se retrouvait à quatre pattes à la merci d’une file de serviteurs qui, un par un, vinrent procéder savamment à son humiliation. La douleur des coups et de son corps écartelé par leurs membres de diverses tailles n’était finalement rien, comparé au désarroi qui lui lacérait les entrailles : Damascus se pliait aux désirs d’un étranger à son propos. Il l’avait déjà vendue à Tadéus, mais ce n’était pas comparable, pour elle, puisqu’ils avaient tous deux intérêts à amadouer le Gras.
Une lueur d’espoir, vicieuse, l’éveilla alors qu’elle brinquebalait au gré des coups de butoir comme une poupée de chiffon qui ne se débattait en rien ; Son Maître était-il satisfait de la voir ainsi prise comme un animal par tous ces mâles différents, sagement disposés en file en attendant leur tour de détruire ses fesses ? Elle tourna les yeux vers lui, ses larmes ayant laissé des sillons clairs sur son visage rouge et poussiéreux…
Le Démon en la regardait pas.
Il discutait avec Saïf, elle vit l’Oriental ricaner à ce qui devait être un bon mot, et lui répondre en parlant joyeusement avec les mains.
Damascus ne la regardait pas.
Ce nouvel espoir brisé vint à son tour nourrir la petite étincelle colérique qui venait de naître dans ses tripes, à mesure que son cœur se brisait. L’aimant comme un chien se dévoue à son Maître, elle apprenait nouvellement à se rendre compte des injustices de son traitement.
Un assaut plus violent fit se cogner son visage contre le bois, et plutôt que gémir et pleurer, elle grogna légèrement, en fronçant le nez.
Pourtant, sa relative rébellion s’arrêta au moment où la voix du Démon retentit pour aboyer des ordres. Pour la première fois de sa vie, elle fut tentée de ne pas obéir. Elle y songea. Le défier.
Puis, aussi subitement, elle ouvrit la bouche et sa gorge libéra un gémissement rauque et long, digne des meilleures cantatrices de bordel, venant perturber le chant des succions diverses, suintements et claquements. Alecto ronronna son désir, d’abord timidement, sentant l’homme qui lui ravageait l’arrière s’exciter de l’entendre, et lui asséner une violente claque sur la fesse rebondie.
Pourtant, aucune passion ne l’assaillait, et elle se trouvait trop perturbée par ces sentiments éparses, sourds et inconnus, pour tirer la moindre envie, ou le moindre plaisir pervers de la situation. Un tout jeune adolescent, sans doute moins âgé qu’elle, s’approche face à elle, tenant une coupe et une cruche de simple facture, et elle crut, naïvement, qu’il s’agissait d’un rafraichissement pour l’aider à supporter son châtiment…
Il n’en était rien, et il lui envoya au visage le contenu du verre, tout en déversant une eau trop chaude pour ne pas la brûler sur son dos souillé. Immédiatement alors qu’elle criait, le gamin raclait sa peau avec un gant d’un crin rêche, semblable à celui qu’elle s’imposait en cilice jadis, sans doute pour retirer tous les fluides visqueux et odorants qu’elle venait de se prendre sur la croupe, le dos, jusque dans ses cheveux par un homme long et fin, qui l’avait particulièrement apprécié.
Alecto sentit sa rage monter d’un cran supplémentaire, devenant plus nette.
Cependant, elle tourna de nouveau dans une contorsion son visage vers le couple de nababs qui festoyait tranquillement sans même se préoccuper de son sort. L’amertume lui coupa le souffle. Elle posa un regard où perlait la déception sur le beau et raffiné visage de son Maître.
Comment pouvait-il être insensible aux misères qu’elle subissait, et ce, même si elle l’avait déçu ? Saïf valait-il plus que sa ‘muse’, l’ ‘inspiratrice de bien des passions’, son ‘petit cœur’, sa ‘précieuse nymphe ténébreuse’… son Petit Corbeau.
Enfin, l’adolescent qui avait semblé prendre un malin plaisir à astiquer sa peau sans ménagement prit la place du grand et mince serviteur si généreux en foutre, et à alors qu’il pestait derrière elle, d’un déficit de vigueur sembla-t-elle deviner, enfonça plusieurs doigts en elle, vexé. Sans aucun mal, il fut sans doute déçu de passer en dernier, tant le passage étroit ne l’était plus, et pesta à nouveau dans le duvet qui lui servait de barbe, avant de frapper sa fesse avec plus de force encore que les précédents. Il était furieux de lui-même, et passa ses nerfs sur l’Esclave, oubliant la présence des Maîtres.
D’un claquement de langue, Saïf se rappela à son domestique qui sursauta, s’inclina plus bas que terre, et sur un regard de son Propriétaire, acquiesça avant de se placer face à Alecto, un sourire narquois aux lèvres.
- Il dit que tu dors à la belle-étoile, Putain. Murmura-t-il.
Le Petit Corbeau leva les yeux sur lui, se redressa en laissant dégouliner semences et fluides blanchâtres le long de ses cuisses. Elle débordait. Chancelante, elle eut du mal à prendre son équilibre, mais constata qu’elle était plus grande que l’Adolescent. Cet état de fait lui donna l’assurance nécessaire pour rester droite face à lui, quelques instants.
« Je ne reçois d’ordres que de mon Maître, Puceau. » Rétorqua la jeune femme dont le côté du crâne rasé lui donnait tout à la fois un air misérable et effrayant.
Il sembla désirer avec force la gifler, mais se souvenait se trouver non loin des nobles hommes qui conversaient. Alecto avait parlé entre ses dents d’une voix sèche et froide, pleine d’une rage glacée nouvelle. Des gouttes de spermes tombèrent dans la flaque entre ses jambes, le temps au garçon de la jauger, pour finalement retourner auprès de l’Oriental et lui glisser quelques mots à l’oreille, en s’inclinant.
Saïf resta impassible, congédia d’un mouvement semblable à la chasse d’une mouche importune, et souffla à son invité.
- Je ne saurai m’interposer entre un Maître et son Bien. Fit-il avec un geste faussement humble.