À son réveil, Serenos remarqua immédiatement l'absence d'Alecto sous lui. Encore à moitié endormi par sa sieste, ses mains cherchèrent le lit, comme si elle pouvait se cacher dans le pli des draps. Constatant que, dans ces plis, elle n'y était pas, le souverain ne put s'empêcher d'apprécier l'ironie de la situation; tel était le traitement qu'il lui avait infligé au matin même. Eh bien, c'était donc maintenant de bonne guerre. Néanmoins, le Roi n'était pas fâché, il était simplement inquiet. Le palais était immense, pour les récentes arrivées, et s'y aventurer sans prendre les mesures appropriées était une excellente façon de se perdre définitivement dans les méandres du palais. Ce qui le rassura, néanmoins, c'est qu'une Sœur de Guerre l'empêcherait d'accéder aux endroits dangereux du palais, comme les catacombes, la salle d'arme ou la bibliothèque, cette dernière ne lui était pas strictement interdite, mais elle ne pouvait pas y entrer sans y être accompagnée, de peur qu'un autre incident comme celui de la veille ne lui tombe dessus sans que personne ne lui vienne en aide.
"Selene?"
La seconde servante, jusque là sans nom pour Alecto, entra, comme si elle avait entendu la voix de son Roi au travers de la porte d'argent et d'onyx. Comme à son habitude, elle approcha le Roi. Celui-ci se tira du lit et, avec une éponge ainsi qu'un seau d'eau tiède, la jeune femme s'affaira à nettoyer le Roi, de la tête aux pieds, retirant cette fine couche de sueur séchée sur les muscles du Roi, puis frotta son membre pour le nettoyer, presque impassible, sinon un brin rougissant, devant cette tâche.
De nulle part, le Roi sentit ses jambes se dérober et il tomba sur ses genoux. La servante eut un cri, avant d'essayer d'aider le Roi. Celui-ci la repoussa.
"Non. Ne me touche pas!"
Le Roi resta ainsi, prostré, pantelant.
"Va chercher Aldericht. Vite."
Sans demander son reste, la jeune servante détala, fonçant dans les couloirs pour aller trouver le prince.
Entretemps, Serenos sentait cette gangrène, cette Corruption, lui monter le long du bras et du flanc, ces taches plus brûlantes encore que des flammes, qui se répandaient sur sa peau, formant d'horrible cloques noires sur sa chair. Pris de douleur, le Roi se tint le bras et rugit de souffrance alors qu'il sentait ce feu grimper le long de ses muscles et de ses os, se tortillant à même le sol. Et le pire, c'est qu'il n'y avait rien à faire pour empêcher cette souffrance, et il avait tout tenté; bloquer ses nerfs magiquement n'y faisait rien, les brûler, et de ce fait s'infliger une douleur sans nom, non plus. Rien n'allégeait son calvaire, ni la magie, ni la science, ni l'alcool. Tout ce qui lui restait, c'était de souffrir et d'attendre que son fils n'arrive.
Évidemment, une fois convoqué, Aldericht ne perdit pas une seule seconde pour se manifester dans la chambre du Roi. Constatant magiquement de son état, le prince aveugle agrippa l'épaule du souverain et le poussa sur le lit avant de lever les mains et de les plonger
dans son père, ses mains disparaissant dans les flammes. Contrairement à son père, qui absorbait la Corruption, le prince, lui, ne pouvait que lutter à ses côtés. Après quelques minutes d'intenses souffrances à protéger la psyché de son père, la douleur s'estompa et les cloques noires disparurent.
"Comment vous sentez-vous, père?
-Fe me fuis morgu 'a 'angue, grommela le Roi en crachant une petite dose de sang sur le sol.
-Je parlais en général.
-Fe fe 'aiffe gevi'er."
Roulant de ses yeux aveugles, le Prince aida son père à se redresser, s'assurant que les séquelles ne restaient pas, usant de sa propre magie pour assister le souverain en soulageant au mieux ses nerfs.
"Les crises sont de plus en plus fréquentes, commenta Aldericht.
-F'ai remarqué.
Un autre roulement des yeux, mais Aldericht était capable de comprendre que le Roi souffrait intensément de ces crises. La Corruption, comme toujours, était une terrible affliction. Incurable, douloureuse et souvent léthale, avec seulement un pratiquant de la magie sur plusieurs dizaines de milliers qui en mourait tous les jours, et rare étaient ceux qui vivaient aussi longtemps que le Roi. Le simple fait qu'il ne soit pas devenu simplement fou en raison de la douleur tenait du miracle en lui-même. Cette corruption n'était pas qu'une simple maladie; elle était une conséquence une façon pour la magie de montrer à tous qu'être un magicien et utiliser son pouvoir pour de mauvaises raisons n'était pas sans risque. Cela commençait souvent par une simple sensation de brulure, et des points noirs apparaissant sur un membre, ou deux, plus fréquemment sur le bras dominant, celui qui était le plus souvent utilisé pour exécuter proprement les mouvements nécessaires aux sortilèges, puis plus le temps passait, plus les taches grossissaient, se répandant sur le corps comme si elle cherchait à le consumer.
Fort heureusement, le Roi avait un esprit et une volonté de fer; même si Aldericht n'avait pas été là pour l'aider, il s'en serait certainement sorti sans trop de mal, ce qui ne voulait pas dire que le Roi était immunisé, pas du tout. Il savait que les crises allaient arriver, peu importe à quel point il voudrait les éviter. Il ne savait jamais quand, ou où, ou même s'il ne serait pas en séance de doléance et forcé d'agir comme si de rien n'était alors que son corps était baigné dans une douleur plus intense que les flammes de l'enfer. Il savait simplement qu'il n'y avait aucune façon d'y échapper, et cela, juste de savoir cela, suffisait à rendre certains mages complètement fous et dangereux.
Selene revint alors et vêtit son Roi en sanglotant, terrifiée et embarrassée de ne pas pouvoir aider son seigneur. Une main du Roi se posa alors sur sa tête et frotta doucement ses cheveux, comme pour la rassurer, ou pour l'assurer qu'il était satisfait de son travail. Ce n'était pas sa faute, et il était important qu'elle le comprenne, sinon, cela lui pèserait. Il le savait. Comme le bal approchait, il savait qu'il était nécessaire qu'il enfile quelque chose de plus adapté, donc il se fit apporter une tunique blanche décorée de ses armoiries et d'un pantalon noir. À ses poignets, on passa des bracelets d'argent, alors que son cou, on lui passait des colliers de platine, ainsi qu'un petit pendentif qui miroitait celui qu'il avait offert à Alecto.
"Où est Alecto?"
"Je l'ignore, monseigneur. Avec Marina, je crois."
"Eh bien, nous allons devoir la retrouver… la cérémonie d'intronisation ne va pas tarder."
***
Marina eut un cri soudain, qui fut étouffé par la main d'un homme massif, alors qu'une femme apparaissait dans le cadre de la porte menant à la petite chapelle où se trouvait la jeune Alecto.
"Eh bien, eh bien, eh bien."
Alecto n'aurait aucun mal à reconnaître ce ton hargneux et cette voix; il s'agissait de Patience, la jeune noble qu'elle avait rencontré plus tôt avec Aldericht. Derrière elle, deux grands hommes se tenaient, lèvres cousues ensemble et les yeux bandés. Leurs muscles, cependant, restaient une menace bien réelle; assurément plus grand que le Roi et plus musclés, ils ne portaient des kilts rouges.
"Je ne vous croyais pas assez stupide pour vous aventurer ainsi, seule, dans cette aile inhabitée. Maintenant, il est temps de vous punir. Rogor, Fervanst. Attrapez cette catin."
Les géants, bien que massifs, furent très rapides et pourchassèrent Alecto dans la pièce si elle tentait de se sauver, puisqu'il lui était désormais impossible d'échapper à la pièce en raison du troisième homme qui couvrait la seule porte. Une fois entre les mains de ces hommes, Alecto fut tirée de force jusqu'à Patience. Elle s'approcha alors d'elle et lui plaqua une main dans ses cheveux noirs pour les tirer.
"Le Roi était à moi, sale trainée!"
Elle lui asséna une puissante gifle sur la joue, la laissant tomber au sol, avant qu'elle ne tire sur ses cheveux et ne la redresse de nouveau, la frappant encore.
Le manège dura quelques bonnes secondes, avant que la "noble" dame ne cesse de la frapper, pantelante de rage et de colère.
"Pour ta sanction, tu vas prendre ce que Rogor va te montrer dans ta bouche, sans les dents. Puis, ce sera au tour de Fervanst, puis tu feras Versiren."
Avec un sourire immonde en raison de ses lèvres cousues, Rogor releva son pagne et révéla une verge conséquente. Il lui agrippa alors les cheveux et la plaqua contre son bas-ventre, lui enfournant la tête contre son membre et ses bourses, poussant un ricanement malveillant par le nez.
C'est alors qu'un nouveau grondement se fit entendre, derrière Patience, et finalement Marina poussa un cri, et avec raison; à quelques centimètres de sa tête, une lame écarlate avait jaillit de la poitrine de l'homme nommé Versiren. Elle s'extirpa immédiatement de sa prise pour aller se cacher dans un coin, alors que le colosse s'effondrait, libérant la porte et révélant derrière une silhouette bien familière à Alecto, puisqu'elle l'avait rencontré ce matin; c'était la silhouette du Chevalier nommé Gwyhin. Le blondin regarda les deux autres hommes et Patience, dont le visage se décomposa.
"S… Seigneur Gwyhin! Ce… ce n'est pas du tout ce que vous croyiez! Nous… Erm… Cette voleuse s'est infiltrée dans le palais! Nous allions la p…"
"Silence."
Et Patience se tut.
Gwyhin regarda lentement encore une autre fois les deux colosses, dont l'un relâcha nerveusement Alecto.
"Dame Alecto. Le sort de Patience repose entre les mains du Roi, désormais, mais quel sort attend ces deux brutes?"
La lame du chevalier se tourna lentement, prête à frapper.