Elle avait accepté. Joie? Non, il n'était pas que joyeux. Il était extatique. Il sentait dans son cœur cette vie, cette force pure et simple d'excitation telle qu'il ne l'avait pas ressentie depuis des années. Il était tout simplement au plus haut point qu'il pouvait atteindre en matière d'enthousiasme, et cela se traduisait par un sourire qui ne voulait plus partir. Le monde aurait pu être en flamme, Terra aurait cessé de tourner qu'il n'aurait même pas battu d'un cil.
Le Roi baissa lentement la tête et l'embrassa tendrement sur les lèvres, la serrant d'autant plus fort contre lui, ses mains se glissant sur ses hanches. Il avait encore une fois envie de lui faire l'amour, là, maintenant, sur la plaine, au diable si on les voyait, mais finalement, il se ravisa, pour la simple raison qu'il n'était pas un exhibitionniste. Et il savait également qu'il y avait des préparatifs à prendre pour garder cette relation secrète et l'empêcher de se propager inutilement et de garantir que cette pauvre demoiselle ne soit de nouveau une cible pour ceux qui le connaissaient et chercherait à l'atteindre à travers d'elle, ne serait-ce que la kidnapper pour demander une rançon. Et puis, qu'adviendrait-il si sa maîtresse, cette sorcière dont il ignorait tout, finissait par montrer le bout de son nez et de demander qu'on lui restitue son esclave? Même en tant que Roi, ne risquait-il pas un autre incident diplomatique pour cette jeune femme?
Enfin, tout cela était bien loin des préoccupations du Roi.
***
Les mois suivants, au nombre de six, fort heureusement pour eux, furent sans le moindre nouvel incident. Serenos passa cette période à travailler assidument le jour tout en consacrant ses soirées et ses nuits à sa bien-aimée Alecto, qui trouva chez son mari un homme très attentionné, et qui se plaisait à passer du temps avec elle, à lui raconter les histoires les plus fascinantes, ou simplement à lire avec elle dans la paix relative de l'Arcanum. Les jeux amoureux, cependant, avaient tout de même pris un coup; comme il lui avait confirmé son intention de la prendre pour épouse devant son dieu, le Roi limitait les moments d'intimité, ce qui résultait d'une frustration sexuelle grandissante, bien qu'il ne pût, en grand pêcheur qu'il était, s'empêcher de, parfois, s'autoriser à partager la couche de sa future épouse.
En dehors de ces moments de faiblesse, le Roi observait les coutumes de sa belle, quoi qu'il démontra finalement une farouche opposition aux pratiques barbares de mutilation auxquelles elle s'adonnait, car aucun dieu prêchant l'amour et la coopération demanderait à ses fidèles de se mutiler pour prouver leur ferveur. L'adoration, disait-il, ne devait jamais être corrompu par la frayeur, mais par la compréhension. Si elle se sentait le besoin d'expier ses péchés, la meilleure méthode, suggérait-il, était de trouver une manière d'aider et de contribuer à la communauté. Il ne s'attendait bien sûr pas à ce qu'elle lui obéisse, car tel n'était pas la dynamique qu'il désirait dans leur relation, mais il voulait qu'au moins elle sache qu'il n'était pas d'accord avec cette coutume. En dehors de son habitude de se faire du mal, le Roi observa également ses séances de prière dans un silence complet; Serenos ne serait jamais un homme religieux, mais cela ne l'empêchait pas de participer à ces activités si cela pouvait faire plaisir à sa future épouse, et que le Roi refusera assurément et obstinément pour le reste de ses jours d'être proprement introduit dans cette religion de quelque façon que ce soit, incluant les baptêmes, les initiations ou les messes. Selon lui, pour qu'un royaume soit stable, il fallait que le Roi soit l'autorité suprême, par son propre mérite, et non parce qu'un Dieu lui aurait soi-disant confié la destinée d'être un souverain.
Lorsque le sixième mois arriva enfin, le Roi et sa future épouse gagnèrent le continent dans le plus grand des secrets. Malgré son excommunication et le rejet presque général de tous les prêtres et fidèles de l'Ordre Immaculé, il existait toujours un homme qui, malgré sa Foi, conservait pour le roi une sincère affection, parce que, comme Alecto, il voyait chez le Roi quelque chose de plus grand que la religion. Cet homme, c'était Albert, et c'était l'homme qui allait exécuter la cérémonie pour eux, dans sa chapelle.
Le Roi prit Alecto par la main et la regarda dans les yeux.
"Il est encore temps de faire demi-tour, ma chérie. On peut encore te condamner à quelques années d'éducation et te faire passer Reine."
Le Roi, se trouvant fin comédien, étira un grand sourire taquin, avant de prendre la main de sa belle dans la sienne, la guidant vers la chapelle.
Ladite chapelle, si elle avait le mérite d'être appelée ainsi parce que telle était sa fonction, était une rareté parmi ses sœurs et n'était pas sans rappeler la petite chapelle du château dans le sens où il n'y avait aucune parure, aucun or, rien. La chapelle était faite de bois et de pierre, les quelques œuvres d'art qui la décoraient avaient été faites par la main d'Albert avec ses maigres moyens. L'idole représentant la Lumière du Seigneur était fait en bois et avait été sculpté à la main. À leurs pieds, le pauvre tapis était bien usé et misérable, mais pour être honnête, Serenos y ressentait davantage le concept de Foi; ce n'était pas par sa force monétaire que cette église tenait debout, mais parce que le prêtre en fonction la maintenait en forme.
Comme cette union était faite dans le plus grand secret, ils n'avaient pas le loisir de prendre des témoins, et bien que cela soit un brin non-orthodoxe, Albert avait jugé que finalement, aux yeux du Seigneur, qu'il y ait ou non des témoins, lui qui était partout n'en avait rien à faire.
Le Roi marcha jusqu'à s'arrêter devant le petit pupitre de fortune qui faisait office de lutrin où se trouvait une copie bien tristement endommagée du Cantique. Albert s'approcha enfin d'eux, toussota un peu avant de leur adresser un sourire bienveillant.
"Serenos. Alecto." Les interpella-t-il. "Vous vous êtes présentés ici, dans ma modeste chapelle, pour vous unir par les liens sacrés du mariage. Alecto, fille de personne, et Serenos, fils de Talion, permettez-moi de vous rappeler que l'amour que vous vous portez à chacun vous permettra de trouver le chemin vers le bonheur. Alecto, confie-toi à ton mari et illumine-le à la lumière de notre Dieu. Serenos, toi qui accueilles ta femme dans ta demeure, ne la prive jamais de ton cœur. Toi qui n'est pas de notre Foi, je te supplie de protéger celle de ta femme, car à travers elle, les Portes du Ciel s'ouvriront pour toi. Je crois que Serenos, Alecto, a écrit ses vœux et ses serments, je lui laisse donc la parole."
Le souverain de Meisa se sentit étrangement embarrassé de faire ce genre de discours, et pourtant il n'y avait personne pour le voir qu'un prêtre dans la force de l'âge et sa bien-aimée.
"Eh bien… Très bien, j'y vais. Alecto…"
Il lui prit les mains et la regarda dans les yeux.
"À toi, je promets un amour grand comme le ciel bleu. Je jure que tu ne connaîtras jamais la faim, la soif, la solitude ou la cruauté tant que je pourrai veiller sur toi. Je jure solennellement de t'aimer, toi, et les enfants que nous pourrions avoir. Je jure solennellement de te traiter en égale dans notre vie intime. Je jure devant ton Dieu, et qu'il me frappe de ses foudres si je m'égare de ces serments."
Il lui sourit, résistant bien à l'envie de l'embrasser là, immédiatement, sans attendre le signal du Prêtre. Évidemment, il arriva à se contenir; il n'allait pas gacher leurs efforts sur un coup de tête.
"Dame Alecto? Aviez-vous vos propres vœux et serments?" demanda le prêtre. "… Sinon, embrassez-vous, parce que… Je n'ai pas fini ma journée."