Alecto était, très sincèrement, l'une des femmes les plus délectables que le Roi n'eut jamais le privilège de rencontrer. Oh, elle n'était pas nécessairement la plus exotique, ni la plus raffinée ou toutes ces choses que ses contemporains semblaient collectionner. Elle était simple, humble, mais elle le remplissait d'un sentiment de chaleur et de confort qu'il n'avait, dans les faits, jamais ressenti. Elle nourrissait en lui un besoin de la protéger, de la chérir. Tout ce qu'il l'arrêtait, c'était la Foi de la jeune femme. Certes, il pourrait assurément la manipuler en usant de rhétorique, et probablement que cela serait le plus simple pour elle, mais le Roi ne se sentait pas de jouer de son cerveau. Elle était honnête et ouverte avec lui, du moins autant que son conditionnement et sa loyauté d'esclave le lui permettait, donc il se contentait de lui rendre la pareille; honnête et loyal en tout point, sauf en ce qui attrait les choses de l'état. Elle n'avait pas besoin de savoir les choses de la guerre ou les opérations militaires, non pas parce qu'elle est une femme, les esprits savent que les femmes sont les bienvenues dans la vie militaire, mais parce qu'elle était sa compagne et qu'elle était d'une douceur qu'il se sentirait éternellement mal de souiller avec ce genre d'histoire peu intéressante.
La jeune femme ne lui laissait aucune chance; elle l'attisait des mots les plus tendres et la plus grande adoration à laquelle il n'eut jamais le malheur d'être confronté. La qualifier de tentatrice l'insulterait certainement, vu comment l'Ordre détestait tout ce qui était tentation, séduction et affection autre que l'adoration du Seigneur, mais que ce soit par ses mots ou par ses gestes, une force inconnue et étrange le tenait par les tripes et l'attirait inexorablement contre la jeune femme, et ce n'était rien de magique; si c'était la magie, il le ressentirait, maintenant. Non, c'était quelque chose d'unique.
Elle parvenait même à faire rougir ses joues devant une telle tendresse. Le souverain n'en était pas à sa première dame, et pourtant, elle le faisait sentir comme s'il était de nouveau un jeune homme. Loin d'être vieux, étant dans la force de l'âge et à l'apogée de sa forme physique et mentale, le Roi savait pourtant ce que c'était que d'être jeune et frétillant de romance, et il était fort flatteur que la jeune femme, qui pourrait aisément avoir un jouvenceau de son âge comme compagnon, ait accepté d'être sa Compagne Royale. Bien entendu, il aurait voulu consommer les promesses de son corps et de son amour, mais il savait jouer la patience et la tendresse lorsqu'elle s'imposait. Les coups de foudre, aussi rare soit-il, étaient également de bien piètres conseillers en matière de stabilité, et au-delà de sa passion, c'était une chose que le Roi recherchait; la stabilité.
Pourquoi est-ce qu'un homme dans sa prime rechercherait une chose aussi banale? Eh bien tout simplement parce que les magiciens vivaient leurs émotions avec une telle intensité que sans une forme de régularité, de contrôle, ils ne pouvaient s'empêcher d'être consumés par la passion, ce qui risquait également de propager la corruption dans le corps du Roi; la passion menait aux émotions les plus vives du Spectrum. S'il tombait amoureux, là, maintenant, ou s'il acceptait d'être amoureux, peut-être qu'il deviendrait prompt à la jalousie, parce que faute de connaître réellement et complètement sa partenaire, il ne saurait interpréter certains de ses gestes, le poussant à la jalousie, à la méfiance et à la peur. La peur, par l'ignorance, menait également à la haine, et haïr, surtout pour un magicien, était quelque chose de très dangereux.
Le Roi enlaça doucement sa partenaire et pressa son front contre le sien. La sentant se dresser sur la pointe des pieds, il fléchit légèrement les jambes pour enlacer ses jambes et la soulever de terre, la maintenant à la hauteur des yeux. Avec un sourire coquin, il lui accorda d'autres baisers, caressant du pouce l'arrière de la cuisse de sa belle. Alors qu'il sentait son désir dévorant monter en lui, un toussotement sonore se fit entendre et brisa la magie du moment, arrachant un frisson de frustration au Roi.
"Mon Seigneur Roi!"
"Mon râteau", marmonna le souverain, sans doute pour faire rire sa belle tout en la en déposant.
Lorsque la jeune femme se retourna, un homme se tenait là, debout, un
homme d'environ son âge, blond, avec des incroyables yeux d'émeraude. Il portait une armure, mais contrairement au noir et blanc de Meisa, il s'y retrouva beaucoup de bleu et d'argent, et s'approcha du couple avant de mettre un genou en terre devant son seigneur et sa dame.
"Vous m'avez fait mander."
"Oui, je vous avais fait appeler
ce matin."
"Pardon, monseigneur, mais sur le chemin, mon cheval a glissé sur une dalle des routes pavées et il s'est foulé une patte. J'ai été obligé de faire le reste du chemin à pied."
Le Roi ne pouvait bien sûr pas se fâcher contre le jeune homme.
"Alecto, voici le seigneur Gwyhin, chevalier de l'Ordre Uni de la Chevalerie des Trois Royaumes."
Le regard du chevalier se posa alors sur la jeune femme, et leurs regards se croisèrent. Les yeux verts du chevalier étaient d'une pureté intimidante, chaleureuse, même. Le jeune homme leva une main, et spontanément lui dédia un poème. Le Roi lâcha un soupir, sachant que le jeune homme ne s'arrêterait pas.
"Le Seigneur Gwyhin est également un grand poète. Le plus agaçant pour tous ses confrères, c'est que, non content d'être
beau,
éloquent et
très aimé du peuple, il est également un remarquable soldat. Cependant, faites attention, sa liste de conquête est plus longue que celle qu'on me prête. On dit que l'on chante ses louanges dans tout le pays. M'est avis qu'il a lui-même lancé la rumeur."
Interrompant son poème, Gwyhin leva les yeux vers son Roi, avec un sourire amusé.
"Mais enfin, votre Majesté, je n'y peux rien si je n'ai jamais trouvé pour épouse potentielle une dame aussi naturellement élégante que votre ravissante… euh…"
"Compagne."
Cette révélation sembla prendre le jeune homme par surprise.
"Oh, mes aïeux! Il s'agit de ma Dame votre Compagne! J'allais dire… erm… conquête."
"Je sais."
Sur le point de rajouter quelque chose, Serenos leva une main pour le faire taire. Le terme conquête avait également une connotation sexuelle en Meisa, et comme le Roi et sa compagne n'ont jamais consommé cette relation, elle n'était pas une conquête, d'autant plus qu'il n'autoriserait personne à parler d'elle de cette façon.
Bizarre…, pensa-t-il.
"Gwyhin est également l'un de mes plus loyaux subordonnés, adoubé par mes soins. C'est également un ami."
Le chevalier se redressa alors avec un sourire, et le Roi enroula doucement un bras autour de la taille de sa bien-aimée, posant un baiser sur son crâne. Il était évident que le Roi, même s'il lui accordait le respect qui lui était dû, ne pouvait s'empêcher d'être protecteur de sa belle et innocente jeune compagne.
"Gwyhin, je vous demanderais de vous retirer, maintenant. Nous nous verrons dans l'après-midi pour discuter de vos progrès."
"Oui, messire."
"Et que je ne vous surprenne pas à séduire les dames de la cour, la plupart sont mariées, vous savez!"
"Et cela ne les rend que plus délectable, monseigneur!"
Et sur ces mots, le chevalier se retira.
Le Roi poussa un long soupir avant de regarder sa belle et poser un petit baiser sur sa joue, avant de se mettre sur les genoux et de venir lui enlacer le ventre, cachant son visage dans son abdomen.
"Toujours du travail. Par mes ancêtres, ce que j'ai hâte que le bal soit commencé, pour qu'il finisse…"
Le souverain souffla doucement au creux du ventre de sa belle avant de se relever, avec un sourire, avant de l'inviter à s'asseoir. Bien vite, des serviteurs s'approchèrent d'eux et dévoilèrent au couple ce qu'ils avaient préparés pour eux. Des galettes, des saucisses, du potage, des fraises à la crème, et du vin sucré.