Elle avait donc pris la vie d'une personne de la noblesse. Bien qu'il ne comprît rien à la situation antérieure à son arrestation, faute d'élaboration sur le sujet et peut-être qu'elle ne voulait simplement pas en parler, il ne pouvait dire si elle avait eu raison de le faire, mais vu qu'elle était bien jeune, il trouva que la Cour, malgré sa clémence de l'avoir épargnée, avait fait preuve d'intransigeance. La plupart des pays infligeait des punitions beaucoup plus rigoureuses lorsqu'une personne de haut rang était impliqué, parce que ces gens étaient parfois de la famille des dirigeants ou d'importants collaborateurs, et les dirigeants étaient réputés pour être des gens démesurés dans leur colère et si, par son acte, Alecto avait affecté négativement l'économie de tout un pays en tuant un homme qui avait un poste important, il y avait effectivement un motif pour un emprisonnement, ou une servitude à perpétuité, mais assurément pas l'esclavage. Même s'il était heureux de l'avoir rencontrée, il ne pouvait pas passer outre ce genre d'injustice. Pour le meurtre, au second ou troisième degré, la loi de Meisa avait une forme de clémence, où la famille du responsable devait payer un prix de sang, ou shangric à la famille du défunt, par défaut s'élevait trois ans de salaire, s'il n'y avait pas de facteur pouvant adoucir la sentence. Il en fallait normalement près de dix pour rembourser la totalité, mais pendant ce temps, l'accusé sentait le poids de sa culpabilité.
Le Roi regarda sa belle, qui était maintenant de nouveau sur lui, assise sur son abdomen. Malgré le sujet assez sombre de la conversation, il ne put s'empêcher de croire qu'elle était magnifique. Loin de la femme immaculée, qui n'avait jamais vu la réalité de ce monde, elle se présentait à lui comme une femme aux épaules extrêmement lourdes. Sa peau, couverte de blessures à divers endroits, était une tapisserie à l'éloge de son calvaire. Certains se demandaient pourquoi le Roi n'avait pas montré tant d'attentions aux femmes de la cour; eh bien, voilà pourquoi. Elles étaient pompeuses, confiantes, sûres de leur propre importance, elles ne savaient rien de la dure vie, elles ne savaient pas ce que c'était de souffrir, corps et âme, de faire des choix difficiles. Alecto était belle, assurément, mais elle était au-delà de belle.
Elle l'embrassa, lui disant ensuite qu'elle était heureuse que le sort l'ait menée jusqu'à lui. Il comprenait tout cela. Il acceptait ce qu'il entendait comme étant la vérité, mais cela ne l'empêcha pas d'être courroucé, et ne l'empêchera pas de vouloir laver l'honneur de sa protégée. De trouver ceux qui lui avaient infligés ces marques et exiger qu'ils expient leurs fautes, eut-il tous les trouver et les punir lui-même. Même si Serenos était un homme doux envers elle, il n'empêchait pas que dans sa haine, il était un homme impitoyable, et il refusait d'accepter que quelqu'un puisse lui avoir fait du mal. Elle avait commis une erreur, et jamais cette erreur permettait à quiconque de l'utiliser comme un objet, encore moins d'exploiter son corps.
Cependant, cette colère s'estompa un peu sous les baisers de sa bien-aimée, et elle lui posa alors une question très pertinente, surtout qu'il avait oublié de le lui en parler lorsqu'il lui avait offert cette position. Le Roi prit une pause pour réfléchir à la meilleure façon de formuler la phrase, avant de regarder Alecto.
"Sommairement, je devrai faire une déclaration publique auprès de ma cour. Vous serez naturalisée en tant que citoyenne de Meisa. Évidemment, cela ne révoque en rien votre droit de résidence à l'étranger, hormis peut-être dans certaines provinces d'Ashnard. Des messagers apporteront la nouvelle dans tout le royaume, et nous devrons également faire une cérémonie d'introduction en votre honneur. Cela veut aussi dire que dorénavant, vous ne serez plus esclave. Je devrai donc rencontrer votre maîtresse actuelle et la dédommager monétairement, si elle décide de faire valoir ses droits."
Il glissa ses doigts sur les flancs de sa belle pendant qu'il parlait, les caressant avec douceur.
"Je prendrai l'entière responsabilité de vous, tant que vous accepterez le rôle de Compagne Royale."
Il se redressa doucement et l'embrassa sur les lèvres, à son tour. Évidemment, il y avait encore beaucoup de choses qu'il aurait voulu lui dire, par exemple la possibilité de rencontrer un prêtre pour qu'il leur donne l'autorisation de faire l'amour sans le péché, ou même la possibilité future de donner des fruits légitimes à leur union, qui porteraient le nom de leur mère plutôt que celui de leur père, mais il était beaucoup, beaucoup trop tôt pour eux de parler de ce genre de sujets. Ils venaient à peine de se rencontrer, et si l'attirance était indéniable, dévorante, même, ce genre de sujets donnaient un sens d'obligation qu'Alecto n'était peut-être pas prête à assumer. Après tout, la compagne était, d'abord et avant tout, une dame de compagnie. La dame de compagnie du Roi de Meisa. Un poste non seulement qui la mettait en plein dans l'œil public, mais qui en plus était envier de beaucoup, parce que contrairement au mariage qui obligerait la Compagne à prendre le titre de Reine et qui, pour ce poste, nécessitait de savoir régner, la Compagne pouvait, à n'importe quel moment, prendre ses affaires et partir à son gré.
"En échange, vous me devrez votre présence, votre tendresse. C'est tout. Il n'y aura aucune dette entre nous. Cependant, je vous préviens, Alecto; ce soir sera la dernière fois que je vous fais la promesse de m'arrêter."
Il lui expliqua ensuite qu'il ne disait pas cela à titre de menace, mais à titre d'avertissement; il connaissait bien ses limites. Ce soir, il s'était arrêté. Il s'arrêterait probablement encore deux ou trois fois, mais tôt ou tard, il allait flancher s'ils continuaient à jouer avec le feu, et il ne voudrait pas qu'elle regrette de lui avoir accordé sa confiance. C'était juste excessivement malsain pour un homme sexuellement actif de s'arrêter ainsi si près de l'orgasme. Il avait l'intention de voir jusqu'où cette relation irait. Peut-être qu'elle ne durera que quelques jours, quelques semaines, quelques mois, mais peut-être encore plus longtemps, et il ne pouvait donc pas simplement lui promettre d'être 'chaste'; il la désirait, et il savait qu'elle le désirait. Un jour, il voudrait être en elle, et elle devait être consciente de cela, et décidé si son rôle, en tant que compagne, inclura ou non cette facette de leur relation.