Les baisers devinrent plus doux. Et la jeune femme semblait se laisser gagner par la tendresse du Roi. Elle se hissa sur la pointe des pieds, et il s'inclina vers elle, pour lui laisser accès à son visage. Il n'avait pas porté attention à leur différence de taille respective, jusqu'à maintenant. Elle l'appelait son épreuve. Cela l'amusa, intérieurement, mais il ne le garda pas pour lui.
"Et vous êtes la mienne."
Après tout, il n'était beaucoup de femmes qui lui faisait le coup d'éveiller sa passion pour ensuite l'arrêter dans un moment de piété. En fait, nombres d'entre elles auraient probablement jeté leur foi aux orties pour avoir le privilège d'être la Compagne du Roi. Quelque chose chez elle le rendait fou de désir, mais également l'empêchait d'agir accordément; une situation qui ne manquait pas d'intérêt, en soi, mais également de frustration. Elle lui résistait. Le guerrier en lui adorait qu'on lui résiste simplement pour le plaisir de briser cette résistance, et là, maintenant, il ne pouvait pas le faire. Les mains du Roi se posèrent sur les hanches de sa compagne, se glissant sur ses flancs d'Alecto, caressant sa peau nue. Il aurait été si facile pour lui de la soulever, de la jeter sur le lit et lui sauter dessus comme un animal. Et probablement que, dans une autre vie, il l'aurait fait. Mais il n'était plus cet homme.
Les mains du Roi quittèrent les flancs de la jeune femme et passèrent dans son dos. Plutôt que de la caresser et chercher à éveiller son désir, les bras du Roi s'enroulèrent autour de sa fine silhouette et il l'enlaça doucement, fermant les yeux, la serrant contre lui. Elle lui dit qu'il lui était cher, et cette étreinte se raffermit davantage. Est-ce qu'il était ému? Non. Ce n'était pas le mot. Il y avait juste quelque chose dans ces mots que le Roi aurait voulu entendre, par le passé. L'effet était un peu atténué par le fait qu'elle ne connaissait pas toute la portée de ces mots pour lui, et parce qu'ils ne se connaissaient pas depuis assez longtemps. Mais le temps ferait son œuvre, si elle décidait de rester à ses côtés. Il lui accorderait son temps. Alecto méritait une période de douceur, et il méritait une période où personne ne tenterait de gagner en pouvoir à travers une relation avec lui. Alecto était pure de mauvaises intentions, Serenos le voyait bien; elle ne cherchait pas à abuser de lui. Elle ne cherchait même pas à se libérer par lui; elle aurait pu supplier sa protection, mais il sait que s'il le lui demandait, elle lui rendrait le collier et rentrerait chez elle. Pour cette simple raison, elle était digne d'être sa compagne.
"... J'ignore si vous m'êtes chère. Mais je crains déjà le jour où vous me quitterez. Ca compte?"
Cette étreinte dura peut-être trois minutes. Trois minutes de silence, juste à la serrer dans ses bras, à sentir sa respiration contre son épaule, la tête baissée, les yeux clos. Il caressa doucement le grain de sa peau par la suite, et ouvrit les yeux, avant de regarder Alecto et presser doucement son front contre le sien, exhalant un peu d'air dans un soupir de soulagement et de détente, avant de poser un baiser plus ou moins chaste contre les lèvres de la jeune femme.
"Venez. La nuit va bientôt tomber, et je suis prêt à mettre cette journée derrière nous."
C'était plutôt curieux, compte tenu qu'il venait de la faire se changer. Il sonna à nouveau les servantes d'un ordre mentale, et elles n'entrèrent pas plus tard que deux minutes plus tard, préparant un bain pour leur souverain, et une robe de nuit pour sa compagne. La première se précipita vers le Roi et l'emmena vers son bain et s'occupa de lui.
La seconde s'approcha de la Compagne Royale et lui prit la main, l'emmenant un peu plus loin. Elle posa les mains sur le cou de la jeune femme en souriant et défit les cordons qui tenaient la robe accrochée à son cou, puis défit sa ceinture, la mettant de nouveau à nu. Elle inspecta les cicatrices de la jeune demoiselle, puis examina sa poitrine avec un œil expert, avant de l'aider à enfiler la robe de nuit; en somme une longue robe blanche à bretelles fines qui s'arrêtait à la mi-cuisse, le tout en soit avec des rebords en dentelle ouvragée.
Derrière le paravent, on entendit Serenos protester, avant d'entendre sa voix noyée dans une nouvelle averse d'eau versée sur sa tête, avec la servante qui lui rappelait qu'il avait une dame, maintenant, et qu'il était hors de question qu'elle le laisse sortir du bain sans lui avoir fait la totale. Le Roi sembla un peu penaud, mais accepta. Après tout, en tant que militaire, il avait été habitué à l'hygiène de campagne, et au courant de ses voyages, ses baignades dans les lacs et rivières avaient suffi, mais visiblement, les servantes savaient tenir tête au Roi quand il s'agissait de leur travail.
Tout en la préparant pour le lit, la seconde servante commença à parler à la jeune femme.
"Vous savez, ma Dame, c'est la toute première fois qu'on voit des yeux aussi bleus ici! Tout le monde a les yeux bruns, gris ou rouge, mais c'est la toute première fois que je vois des yeux aussi clairs! Vous venez des Terres du Nord? C'est pour ça que vous avez la peau aussi blanche? Oh! Non, non, c'est vrai, vos vêtements sont nexusiens… Oh, j'ai demandé au couturier de la remettre en état, mais malheureusement, je ne crois pas que ce soit possible, elle est beaucoup trop endommagée! Vous êtes tombée? Mon mari, il tombe tout le temps, donc il faut toujours que je recoude ses vêtements. Mais vous savez, mon mari, il est très très beau et très très fort. Je l'aime beaucoup!"
Visiblement, la jeune servante était très fière de son mari, et de ses enfants, au point d'en parler à la jeune femme librement. En Meisa, les femmes, même des castes sociales plus basses, n'avaient pas peur de parler. Au contraire; la société Meisaenne, bien que patriarcale dans son gouvernement, était farouchement matriarcale; les femmes donnaient la vie, mettaient au monde les enfants. Les femmes étaient beaucoup plus libérées ici que dans la société nexusienne. De plus, c'était un échange culturel; la jeune servante lui enseignait comment les femmes se comportaient. Ainsi, la jeune Alecto apprit que, dans cette société, il était important de socialiser et de tisser des liens.
"Marina! Apporte-moi le pantalon du Roi!"
La seconde servante, apparemment celle appelée Marina, cessa donc de parler à Alecto, se relevant immédiatement et se jetant sur l'énorme lit, rampant dessus pour atteindre la commode, l'ouvrir et en tirer un pantalon de lin.
"Mais le Roi, il ne dort plus nu?"
"Je t'en pose des questions, moi?" gronda la voix du Roi.
"Non non, sire!" s'exclama-t-elle en gloussant.
Elle lui apporta donc son pantalon. Visiblement, ni l'une ni l'autre ne savait si le Roi et sa Compagne avaient une liaison amoureuse, et elles ne posèrent aucune question.
Le Roi marcha hors du paravent, ses cheveux proprement brossés et lavés, sa barbe également. Il avait toujours cet air un peu négligé, mais maintenant, il avait l'air moins… bourru.
"Merci, mesdames. Maintenant, laissez-nous, vous avez votre congé pour la nuit."
"Très bien, mon Roi! Nous n'allons surtout pas rester derrière la porte pour écouter…" fit la première servante.
"Non, vous n'allez pas faire ça. Allez, déguerpissez." Grommela le Roi.
Les deux servantes les quittèrent de nouveau.
Le Roi soupira, se frottant la tête avec agacement, avant de s'approcher de sa belle Compagne, la soulevant doucement. Il souleva la couverture légère, et se glissa avec elle en dessous. Il y avait évidemment assez d'espace pour qu'ils se distancent, si elle le désirait, mais pour l'instant, le Roi la gardait près, un bras sous l'oreiller, soutenant sa tête royale, l'autre posée sur la hanche de la jeune femme. Ses yeux continuaient de l'observer, comme s'il cherchait à lire en elle sans l'usage de sa magie.