Vous avez déjà ressenti cette sensation ? Celle d’être à la fois présente... Et absente ? D’être à la fois « in » et « out » ? C’est une sensation qu’on ressent souvent quand on regarde un film nul, une émission télévisée, et qu’on approche de Minuit. On se tient là, assis sur le fauteuil, la chaise, ou le sofa, et on fixe l’écran, hagard, avec la sensation d’avoir vu votre intelligence être aspirée par les débilités que vous entendez à l’écran. C’est une sensation très curieuse, parce qu’on est là, qu’on est physiquement là, qu’on entend ce qu’on nous dit, mais sans être là, parce qu’on ne réagit pas aux stimuli extérieurs, ou, tout du moins, difficilement... Et, dans tous les cas, on arrive pas à se concentrer. C’est comme si le cerveau était en train de faire une pause, de se faire un break.
Et c’était comme ça que j’étais pendant toute la durée de la journée. Alexanders-senseï était aussi belle qu’intrigante, et j’avais du mal à croire à ma chance, ou à me dire que tout ça était sérieux, et que ce n’était pas une sorte de mauvaise blague. Woow, quoi ! Elle m’avait invité à faire l’amour, et, surtout, à lui montrer mes talents avec une autre fille. C’était... Putain, c’était tout simplement dément ! Quand je sortais de mes phases d’absence, je trépignais surtout sur place, mes mains n’arrêtant pas de trembler. Comme une petite vieille qui avait de l’arthrite. J’avais beau serrer mes poings, out enter de reprendre mon calme, en respirant lentement, je continuais à vibrer. Sous tension, je soupirais encore, me mordillant les lèvres en plein cours, essayant vainement de m’intéresser à ce cours.
Alexanders-senseï m’avait invité, et, dans ma tête, je savais déjà ce que j’allais faire. Ça, honnêtement, ce n’était pas le problème, mais... Je ne l’avais encore jamais fait avec une personne adulte, et a fortiori une femme qui semblait... Si sûre d’elle, et si expérimentée. Pour moi, c’était vraiment une première, et j’étais aussi impatiente que nerveuse à l’idée d’être à ce soir. Est-ce que je serais à la hauteur de ce qu’Alexanders-senseï attendait ? Impossible à dire... J’avais bien fait quelques essais chez moi, mais c’était avec de jeunes gens inexpérimentés, et, si je pouvais fanfaronner, j’étais loin d’avoir le talent de mon père, ou son calme légendaire. Quand je voyais la manière dont il saucissonnait les magnifiques femmes du village, et ce sans sourciller, ou sans jamais trembler des mains, j’étais toujours éberluée.
La journée défila à vitesse d’escargot, tandis que, dans ma tête, j’étais clairement ailleurs. Impossible de me concentrer sur le moindre cours, je ne voyais que des cordes qui défilaient dans mon esprit. Des liens, des mouvements, des cordes qui glissaient sur des corps, se frottant contre de la peau en sueur... C’était beau, c’était magnifique, et difficile à ôter de l’esprit. Comment penser à son cours de mathématiques quand on avait en tête la vision de corps emmêlés, enchevêtrés dans des assemblages de nœuds et de cordes ?
Je finissais aujourd’hui à 16 heures, ce qui me laissait amplement le temps de revenir chez moi, et de récupérer le travail nécessaire avant d’aller à mon rendez-vous avec Alexanders-senseï. Je m’effectuais donc à la tâche, en sentant toujours la nervosité me traverser.
« Calme-toi, calme-toi, me disais-je pour moi-même. Respire, Asuka, respire... »
Ouais, autant demander au vent de ne pas remuer vos cheveux... J’allais perdre ma virginité ! Avec une prof’ !! Comment étais-je censée rester calme ? Une soirée de folie m’attendait, et, rien qu’à y penser, j’en avais l’estomac qui bondissait comme un kangourou. Néanmoins, je m’évertuais à me dépêcher, car il était impensable d’arriver en retard. Je retrouvais donc ma combinaison violette, et la mettais dans une mallette, avec un jeu de cordes, et quelques produits. Des cordes personnelles. Ceci fait, je m’étais assise sur un fauteuil, afin de me calmer... Sans trop de succès.
Avance rapide sur le séjour en bus me ramenant au lycée, jusqu’à ma rencontre avec la soumise d’Alexanders-senseï... Sakura Tōsaka. Le nom ne me disait rien, mais la femme était plutôt belle, avec une peau bronzée, ce qui changeait de la pâleur habituelle du corps japonais féminin.
« En... Enchantée également, Tōsaka-san. J’espère bien être à la hauteur de vos attentes... »
Ne pas trop s’engager, et jouer la carte de l’humilité, c’était toujours nécessaire dans ce genre de choses. Tandis que nous parlâmes de choses et d’autres (Sakura me demandait comment je trouvais Seikusu, depuis combien de temps j’y étais, ce genre de banalités mondaines, alors qu’on pensait à des trucs qui n’avaient rien de mondains !), moi, j’observais son corps... Non pas pour me rincer l’œil (enfin, pas que pour ça), mais aussi – et surtout – pour observer son corps, et réfléchir à ce qu’elle pouvait faire, ou où mettre les corps. Aucun corps n’était semblable à un autre, et, si le kinbaku était une chose excitante, il ne fallait pas non plus oublier que mon père faisait toujours signer un contrat. Il était bien entendu confidentiel, mais il y avait dedans des clauses limitatives de responsabilité si le client oubliait d’avertir le professionnel de sa condition de santé. Le kinbaku n’était pas qu’un art du plaisir, c’était aussi (et ça se complétait, selon moi) un moyen d’infliger de la douleur. Pour autant que je me souvienne, certains grands maîtres du kinbaku avaient aussi été de redoutables bourreaux. On pouvait torturer quelqu’un avec ces cordes, en les serrant trop fort, par exemple, coupant ainsi la respiration ou la circulation du sang. Une torture « propre », car il n’y avait aucune effusion de sang, et qui s’accompagnait d’une économie de moyens, car il fallait juste des cordes.
Le trajet vers l’appartement d’Alexanders-senseï se fit dans le silence. J’avais ma mallette avec moi, mon uniforme de lycéenne toujours sur le corps, et je continuais à trembler sur place. J’avais enfin en tête le corps sur lequel j’allais m’exercer... Et c’était un corps magnifique, prouvant qu’Alexanders-senseï savait bien s’entourer. Nous finîmes ainsi par nous retrouver dans son appartement. Mon tour se rapprochait rapidement, Alexanders-senseï m’expliquant les différents détails. Je hochais la tête, avant de me réfugier dans le professionnalisme, et ouvris ma mallette.
« Soit... Je ne prendrais pas votre virginité, alors. »
Je ne comprenais pas trop pourquoi cette femme tenait à rester vierge, mais bon... Chacun son trip ! D’un côté, je la comprenais, parce que j’avais déjà fait perdre bien des virginités sans jamais m’impliquer moi-même. J’ouvris donc ma mallette, et en sortis une lotion.
« Quand vous aurez fini votre douche, enduisez-vous ça sur le corps. C’est un lubrifiant, décidé à protéger la peau des irritations. »
Je parlais d’une voix chaude et doucement excitée, car, dans ma tête, j’avais l’image de combinaisons de latex sur le corps de cette femme. Ce lubrifiant ne servait pas tant pour les cordes que pour les combinaisons en latex, en fait. Le fétichisme, le bondage... Pour moi, tout cela faisait partie du même ensemble, celui dans lequel j’avais décidé de me spécialiser : la domination sexuelle... Ou la soumission, mais c’était un peu pareil, parce qu’il n’y avait pas soumission sans domination, ou inversement.
« Le temps que vous preniez votre douche, je déposerais sur la clenche de la salle de bains la tenue que vous porterez. Vous irez avec cette tenue sur vous dans la chambre d’Alexanders-senseï. »
S’il y avait des poulies et des cordes, c’était le mieux.
Nous allâmes donc dans la chambre, et j’observais le tout, que ce soit les poulies ou les cordes, avant de demander à voir les tenues.
« J’ai... J’ai moi aussi ma propre tenue dans ma mallette. Je... J’aimerais bien voir la tenue de chat, et... Vous voulez que je me change ici... Ou dans une autre pièce ? »
Étant entendu que me déshabiller sous les yeux d’Alexanders-senseï ne risquait pas vraiment de me déranger...