La jeune fille n'était pas des plus agréables actuellement, mais elle s'en moquait proprement, car que ce soit élèves ou professeurs, ils n'avaient tout simplement pas à lui casser les ovaires comme cela, c'était détestable, fatiguant, et en plus cela lui donnait envie de casser à peu prêt tout ce qui lui tombait sous la main. Pour elle, plus les choses étaient simples, calmes, et plus elle ferait preuve d'un peu de respect envers autrui, mais malheureusement la grande majorité de l'humanité était bruyante, convaincue que sa petite personne était essentielle à la société, et que sa place valait surement dix fois celle de son voisin, amenant à tout cet aspect détestable un orgueil à peine plus acceptable. En tout cas elle pensait que pour une fois, sa professeur n'allait pas insister deux heures pour se faire ouïr par l'élève, mais malgré sa capacité évidente à prouver qu'elle ne comptait pas changer le moins du monde, elle entendit de nouveau la voix de la femme s'élever, accompagné d'un ton qui l'a surprit.
- Rentrer chez vous... Un concept intéressant s'il en est... Vous savez sans doute que les japonais écrivent le mot "maison" en plaçant le Kanji "femme" sous le kanji "toit". En somme, pour eux, la "maison" est l'endroit où les attendent leur femme. Mais qu'en est-il quand c'est une femme qui l'écrit ? Elle ne peut pourtant pas placer le kanji "homme" sous le kanji "toit". Qu'est-ce qui vous attends donc "chez-vous" Mademoiselle Dextra ? Une famille ? Non car, d'après votre dossier, vous ne vivez plus chez vos parents... Votre petit frère peut-être ? Pourtant je me suis laissée dire que son petit boulot le faisait souvent rentrer tard...
- Et ... Et alors ?
Elle avait réagit plus violemment qu'on aurait put le croire de prime abord, la femme ayant commencer à toucher exactement ce que la lycéenne essayait de cacher du mieux qu'elle le pouvait, notamment par le biais de la mention de son frère, qui avait eut le don de la faire frémir un court instant. Non les choses étaient en train de déraper et elle n'aimait pas ça du tout, et observant la femme par dessus son épaule, sa main ayant cessé de tenir la brosse qui s'était de nouveau retrouver sur le bord du tableau, elle vit la femme se lever et prendre une craie pour commencer à marquer rapidement sa pseudo-psychologie au tableau, même si elle mettait de plus en plus souvent ses tirs dans le mille, laissant à Dextra peu de place pour réagir à de tels énonciations. Oui elle avait un chez-soi qui avait été et qui était encore à ce jour un lieu de protection, loin des soucis avec ses parents, loin des soucis avec ses camarades, mais n'était-ce pas la même chose pour tous ? En quoi cela la différenciait-elle d'un autre ? Et pourtant elle se sentait agressée, peu à peu acculée par Tessia, et elle n'aimait pas ça !
- Partant de ce postulat, je songe que cela vous correspond bien. Vous voulez "rentrer chez vous" ? Non, je pense plutôt vous voulez courir vous mettre à l'abri. Mais à l’abri de quoi ? Le Japon n'est en guerre contre personne, aucun obus ne risque de s'abattre sur vous au détours d'une rue et il y'a très peu de chance que l'on cherche à vous tirer dessus, La ville n'a pas assez de brigandage et d’agression pour que ce soit un réel problème. Donc ce n'est pas quoi, mais plutôt qui ? Personne ne vous harcèle, cela se saurait vu votre caractère. De même, vous n'avez aucun problème financier notable et votre frère est un des êtres les plus doux et les plus gentils qu'il m'ait été donné de voir.
- Il sera surement ravi de l'entendre, ironisa-t'elle avec toute la mauvaise foi du monde, jalouse comme tout. Et je vous ferait remarquer que vous êtes en train de détruire votre propre théorie !
Cela ne lui ressemblait pas. Normalement Dextra ne réagissait aux mots des autres que de manières à être certaine de pouvoir définitivement leur couper le sifflet, mais là il n'y avait rien de cela, même pire, elle était en position défensive, essayant de prouver une faille inexistante dans les mots de sa professeur pour la faire douter et se libérer du calvaire qu'elle était en train de lui faire connaître. Elle ne faisait plus attention au jeu de la professeur avec ses petits écrits sur le tableau, elle était plutôt parfaitement focalisée sur les prochaines phrases de son enseignante, qui était d'ailleurs bien la première à la mettre dans une telle situation de doutes et de craintes, sa carapace étant en train de se faire ôtée par des mains bien trop inquisitrices à son goût. Elle l'écouta, la regardant de biais, entendant au fur et à mesure des paroles de Tessia ce qu'elle ne souhaitait pas entendre le plus au monde, à savoir qu'elle puisse être sa propre peur, qu'elle puisse craindre quelque chose qu'on appelait faiblesse... En somme qu'elle puisse être faible, fragile, inférieur !
- De là, cela ressemble non plus à une colère dirigée envers vos camarades mais plutôt à quelque chose chez vous-même qu'il vous révolte de trouver chez les autres. Et cette colère qui déborde un peu de chez vous devient dès lors non plus de l'agression gratuite, mais de l'auto-flagellation par le biais de ce que vous considérez peut-être sans vous en rendre compte, un avatar de vous-même.
- Je... Vous délirez senseï, je n'ai rien à me reprochez, rien à devoir me faire pardonner, rien à considérer chez moi comme une anomalie. Non seulement je ne vois pas de quoi vous tirez une telle idiotie mais en plus j'ai bien l'impression que vous vous ridiculisez à chercher à théoriser mon comportement, alors qu'il n'y a pas plus simple à comprendre : Les autres m'énervent alors je m'énerve, point. Maintenant si vous voulez bien cesser, ce sera du temps de gagner pour moi comme pour vous !
Elle tremblait légèrement, et avait d'ailleurs un peu reculer en arrière de manière instinctive, comme si elle se sentait réellement en danger depuis quelques minutes alors que la femme approchait peu à peu de la vérité sur le comportement incendiaire de Dextra envers elle-même et envers les autres. Un peu plus et elle aurait surement déjà explosée, fait voler quelques chaises puis se serait barrer sans demander son reste, mais étrangement elle ne se sentait pas pleinement satisfaite à cette idée, comme si... comme si elle était vraiment obligée de donner tord à la femme pour être certaine de ne pas perdre le contrôle des choses en ce lycée. Elle ne se doutait pas qu'elle puisses se trouver un tel ennemi parmi les enseignants, mais pour le coup, la femme venait vraiment de la mettre dans la situation la plus délicate qu'elle n'avait jamais eut à connaitre, et cela la mettait dans un état proche de la crise de panique, où seul son contrôle quasiment parfait d'elle-même l'empêchait de perdre pied face à cette femme à la si fine intuition. Le bruit de la craie posée sur le cadre en fer la rappela à son adversaire :
- Il y'a de nombreux moyens de remédier à ce genre de problème, mais ce n'est en tout cas pas en faisant le vide autour de vous que vous y arriverez. Au contraire, vous agissez ainsi pour pousser les gens à ne plus vous mettre sous le nez vos propres soucis. Ce n'est pas une façon de régler quoi que ce soit. C'est une fuite en avant. Un moyen pour vous de vous voiler la face. C'est pourquoi, je vais vous donner une chance de me promettre, ici et maintenant, d'essayer de calmer le jeu avec vos camarades. Sinon, je serais obligée d'attaquer la mal à la racine, à savoir : votre estime de vous. Car, pour moi, il ne fait aucun doute que c'est votre sentiment de devoir être supérieur aux autres en tout point qui vous fait haïr vos propres défauts.
Deux choses venaient de lui sauter à la figure alors qu'elle ne s'était pas du tout douter de cela de prime abord. Non seulement la femme avait déjà eut le temps de l'observer comme il le fallait, la cernant quasiment parfaitement en quelques jours, ce qui la mettait particulièrement mal à l'aise, mais surtout, elle venait enfin de se rendre compte de ce que la femme venait d'inscrire sur le tableau. Le cercle de convocation qu'elle venait de faire était parfait, et la jeune femme passionnée d'occultisme venait de découvrir que sa professeur était loin d'agir dans la parfaite légalité que ses prédécesseurs avaient tant mis en avant quand ils avaient choisis de lui faire quelques remontrances bien senties envers son comportement généralement peu apprécié au sein du lycée. Elle ne savait pas ce qu'elle comptait appeler, ni comment, mais une chose était sure, même en tant que débutante, Dextra pouvait très bien se rendre compte qu'elle était non seulement en danger du point de vue mentale, l'analyse de Tessia étant quasiment sans défaut, mais surtout, elle risquait gros au moindre faux pas, ce genre de cercle d'appel démoniaque n'étant clairement pas fait pour appeler un quelconque diablotin...
- Malheureusement pour vous mademoiselle Dextra, personne n'est parfait. Et ceci est une vérité absolue. La seule constante à laquelle vous puissiez vous raccrocher. Soit vous l'admettez et vous essayez de changer pour vous y adapter. Soit alors, dans votre intérêt, je prendrait des mesures drastiques qui ne vous plairons pas du tout.
- Des mesures drastiques, hein ? Dites moi Tessia-senseï, quel genre de professeur menace son élève en créant sur son tableau un sigle d'appel d'entité démoniaque, hein ? Elle s'arrête un instant, faisant deux petits pas en arrière avant de rencontrer le premier bureau sur son chemin, et d'y placer une main ferme. Non seulement je ne comptes pas changer, mais je le ferais encore moins sous l'emprise d'une quelconque promesse de "correction". Amusez vous donc avec ce que vous comptez convoquez, moi je ne restes pas une seconde de plus !
Courir vers la porte la plus proche la rapprocherait du tableau et de la professeur, alors elle n'hésites pas une seconde et tourne le dos à le femme tout en tirant la table dans le chemin, afin de se créer un rapide obstacle, et court vers les portes coulissantes du fond, ne voulant clairement pas finir entre les mains d'une quelconque entité plus que gênante ! Elle s'enfuit du mieux qu'elle peut, révolutionnant surement son record personnel de sprint et espère que la femme n'aura pas le temps de prononcer les quelques paroles nécessaire à sa convocation, chose dont elle doute car seule une parfaite idiote utiliserait un appel nécessairement long alors que sa cible aurait tout le temps de s'évader le temps qu'elle finisse de prononcer son appel. Et sa senseï avait prouvée juste avant qu'elle était loin d'être une idiote en lisant clairement dans son comportement protecteur de jeune lycéenne incapable d'accepter sa plus infime faiblesse ! Elle est à portée de la porte quand elle sent l'ambiance de la salle changer, et retient du mieux qu'elle peut un élan de panique, plaçant sa main sur la porte afin d'ouvrir avec fracas celle-ci...
Mais surement est-il trop tard.