L'enthousiasme de leur cobaye déteignait visiblement sur les jumeaux – déjà extatiques à l'habitude. Ils étaient assez reconnaissants toutefois de ne pas avoir à fournir trop d'explications, car ils n'auraient sans doute pas su tout formuler de manière accessible. Peut-être même n'auraient-ils pas été capables de formuler tout court : ils concevaient parfois des choses suivant des concepts qu'ils ne maîtrisaient pas toujours eux-même. Il y avait en effet des théories que quelques fois ils comprenaient instinctivement en résolvant à un problème donné, et qui se perdaient dans les méandres de leur esprit hyperactif avant qu'ils aient eu le temps de tenter de les mettre au propre…
Néanmoins, ils étaient toujours fiers de pouvoir distiller quelques détails de conception. Touchant des doigts le rebord du casque désormais posé sur la tête de Shenji, Peeter répondit quant à sa composition, rapidement épaulé de sa sœur, qui elle se tenait déjà derrière l'écran de l'ordinateur.
« Non, en fait, on dirait un peu, mais c'est pas métallique. C'est un matériau composite, un polymère. Il ne sert pas vraiment à faire des armatures d'habitude… enfin, on a pas des ressources infinies, alors c'est un peu du bricolage, pour le coup.
– Oui, on l'a recyclé ; on s'en servait pour travailler avec des courants à haute tension. La structure elle-même est très isolante électriquement. Tu pourrais prendre un éclair sur la tête, avec ça, tu pourrais ne même pas t'en rendre compte. Mais évidemment, les impulsions qu'on va t'envoyer circulent dans les fils à l'intérieur. »
Une fois le jeune homme couvert d'électrodes allongé, le jumeau lui adressa un sourire rassurant et rejoignit Stella aux commandes de la machine. Cette dernière annonça :
« On va commencer par une phase de calibrage en état d'éveil. Juste quelques tests qui nous permettent de régler l'appareil. Parce que chaque cerveau est différent et puis surtout… comme tu es le premier, on a pas de pré-réglages. On va y aller un peu à tâtons pour cette fois. On devrait pouvoir faire ça vite, quand même.
– Assez simple, cette étape. Tu ne peux pas le sentir, mais on a déjà accès à ton activité cérébrale, en fait. C'est rien de plus que ça.
– Voilà, il va falloir que tu penses à des choses, successivement, quand on te dit, et nous on fait des relevés. Je pense que ça serait mieux que tu fermes les yeux pour ne pas être troublé par d'éventuels stimuli optiques. Peeter, tu commences la procédure ? »
Le garçon saisit une petite feuille blanche qu'il avait vraisemblablement gribouillé lui-même, et lentement donna des instructions. Étrangement patient, pour une fois, il laissait au moins une dizaine de secondes entre chacune d'entre-elles. Secondes pendant lesquelles Stella pianotait à toute vitesse sur les touches de son clavier.
« Le début est facile, c'est la perception sensorielle. Visualise un bord de mer calme et pense aux vagues. Leur bruit, leurs mouvements. L'odeur du large, aussi. … Puis maintenant, la mer s'agite progressivement… Puis la tempête, un raz-de-marée. Le plus d'agitation possible !
Bon, ensuite, l'étape moteur. Imagine que tu joues au tennis. Tu as une raquette dans la main, et tu frappes dans une balle, qui revient. Essaie de bien imaginer chacun des muscles de ton corps, en mouvement. … C'est bon ? Puis tu cours, dans une allée toute droite. Il y a des haies, mais pas très hautes. Tu les sautes, OK ?
On attaque la partie mnésique… C'est quoi la première chose dont tu te souviens ? Pas la peine de répondre euh… pense-y juste. Quand tu étais petit. Maintenant rappelle toi quand tu nous as croisé pour la première fois, devant le panneau d'affichage. C'était quoi la première question que nous, on t'a posé ? »
L'expérience n'avait pour le moment rien du tout de troublante. Pour cause, la communication était pour le moment à sens unique, et Shenji ne pouvait même pas ressentir que la moindre réaction de son cerveau se retrouvait déjà transmise sous forme de données binaires et aussitôt interprétée par les algorithmes. Finalement, elles s'affichaient sur l'écran de Stella qui paraissait parfaitement à l'aise avec leur flux ininterrompu. Sans doute la stimulation intellectuelle la rendait même un peu trop à l'aise – même si le cobaye n'avait aucune façon non-plus de s'en rendre compte.
« Super Shenji, je crois qu'on a t…
– Il reste la phase psychophysiologique. Tu peux songer à quelque-chose de vraiment triste. Genre euh. La mère de Bambi. Ce que tu veux. … Allez, quelque-chose de joyeux. Une expérience réussie ? … Enfin, pour remonter dans tes instincts primitifs euh… tu peux te projeter dans une situation sexuellement attractive ? Voire sexuellement active, tu vois… »
Peeter avait tourné la tête vers sa sœur et lui avait adressé une expression incrédule. Il n'y avait pas de phase psychophysiologique de prévue, puisqu'ils avaient normalement prévu d'effectuer quelque-chose de semblable par exploration directe de l'inconscient. Celle-ci lui répondit néanmoins, silencieusement, en pointant quelques données sur l'écran. La jeune scientifique avait l'air ravie de pouvoir lire grâce au dispositif dans les pensées du jeune homme comme dans un livre ouvert. Son frère savait très bien pourquoi elle faisait ça, à vrai dire, et dans la même situation – s'il avait été aussi intellectuellement stimulé, il se serait peut-être laissé tenté également. Présentement, il trouvait ça un peu ridicule.
Toujours sans un mot, ils se concertèrent et s'affrontèrent à grand renfort de gestes dans le vide. Le résultat de leur distraction fut de laisser leur cobaye sur cette dernière instruction un peu plus longtemps que prévu.
« Ah euh, c'est bon, ça va toujours ? » fit brusquement Peeter lorsqu'il s'en rendit compte. « On va pouvoir t'endormir, je pense… »