Il fallait reconnaître à Shaeg comme à Hibari qu’ils ne se répandaient pas en paroles inutiles. Ils étaient même plutôt d’un genre taciturnes, à ne pas dire grand-chose, ils semblaient absorbés par d’autres pensées, loin de l’instant présent et de la réalité. En fait, seule Victoria avait l’air d’avoir la tête à leurs problèmes actuels. Etonnant, quand on savait qu’elle était une morte-vivante, et qu’elle ne craignait donc rien de ce qui pouvait leur arriver. Elle souffrait comme tout le monde, mais elle ne mourrait pas, quoi qu’il advienne.
En tout cas, ce fut la seule qui répondit à la jeune femme aux cheveux de neige, lui intimant de descendre de son canasson. Séra obéit, s’approchant de la vampire, cherchant la carte des yeux. Elle se doutait que le petit objet qu’elle tenait dans la main, de quelques centimètres à peine, devait avoir son utilité, cependant, elle était incapable de dire laquelle. C’est pourquoi, quand une image parfaite de la région apparut, reprenant chaque dénivellation avec des indications précises au mètre près, agrémentée de lignes de niveau et de figurés représentatifs du type de terrain, le tout parfaitement clair, elle eut comme un sursaut à moitié réprimé. La technologie tekhane, bien sûr. Elle ne s’y ferait jamais… Elle observa cependant en détails la carte holographique, renonçant à essayer de comprendre le fonctionnement de cet objet. Quelqu’un avait dit un jour quelque chose du genre « passé un certain seuil, la technologie est indiscernable de la magie ». Ce type ne devait pas imaginer à quel point il avait raison…
Quand Victoria parla à la jeune femme, c’était d’une manière tout à fait normale, cependant, la jeune femme avait l’impression qu’on lui chuchotait à l’oreille. Sans doute à cause de la teneur de ce que lui racontait la vampire. Il fallait avouer que ce n’était pas très gai. Mais ils savaient dans quoi ils s’engageaient dés le début. Enfin, vaguement…
-
Effectivement, rien de tout ça n’est très engageant, convint la jeune femme.
Tu as raison, pour l’itinéraire, inutile de nous faire remarquer plus que nécessaire, et surtout, inutile de risquer nos vies pour la beauté du geste. De toute façon, je te suis, tu as plus d’expérience de la guerre que moi. Séra observa leur site de campement. En regardant sur la carte qu’elle faisait zoomer ou dézoomer d’un geste des doigts, elle put s’assurer qu’ils ne trouveraient pas mieux avant la tombée du jour. La nuit avait l’avantage d’être la période de prédilection de Seras Victoria, ce qui les sécuriserait grandement, car la nuit était toujours une condition favorable pour une attaque surprise. Avec un vampire parmi eux, ce serait au contraire le plus mauvais moment. Surtout quand on voyait ce qu’elle portait sur le dos.
Capitaine ? Séra eut un petit sourire. Elle ne s’était pas vraiment vue prendre la tête des opérations, même si d’un côté, c’est ce qu’elle avait fait, plus ou moins sciemment. De toute façon, elle doutait que les autres acceptent son autorité tranquillement. Et en fait, elle s’en fichait, elle n’avait pas l’âme d’une meneuse d’hommes, elle n’avait pas de vrai sens de la tactique, plutôt un fort instinct de survie.
Mais on verrait bien. Cependant, elle était en désaccord avec la vampire. Leurs frères d’armes en devenir avaient peut-être l’air de guerriers prétentieux qui pétaient plus haut que leur cul, il n’en empêchait qu’ils devaient tous avoir un certain potentiel. Séra ne leur faisait pas confiance. Mais Stag le Vampire lui avait fait bonne impression, et il n’avait pas dû choisir une bande de ballerines pour se lancer dans une entreprise suicidaire comme ça.
-
Je pense que tu te trompes sur leur compte. Le gamin aux oiseaux a l’air de taper fort, même s’il manque un peu de retenue, je le verrais bien en berserk, et le misanthrope doit se valoir aussi. Mais bon, c’est pas faux, le nombre nous fait cruellement défaut. Bon… On repart ?Tandis que Seras rangeait sa carte, Séra vérifia que sa gunblade coulissait bien.
-
Au fait, merci de t’inquiéter pour moi, dit-elle avec un franc sourire.
Elle sauta en selle et reprit la marche vers leur futur campement. Elle s’étonnait sans cesse de sembler être la seule à avoir pris un cheval. Elle transportait avec elle, outre une épée, une gunblade, un jeu de poignards, des balles, un violon, une flute, plusieurs cartes et du matériel de calligraphie, elle avait donc bien besoin des bâts d’un cheval pour l’aider à porter tout ça. Quoi que Seras se baladait avec ses cent kilos habituels de barda, et ne s’en plaignait pas plus que ça.
Elle lui proposa de porter un peu de ses affaires tandis qu’elles marchaient.
<><><><><>
-
Bon, on campe ici ?Il ne faisait pas encore nuit, il leur restait assez de temps de soleil pour chasser et ramasser du bois pour le feu. Le plus gros inconvénient était qu’il n’y avait pas l’ombre d’une forêt à perte de vue, et que le plus gros gibier du coin devait être le crotale. Les bêtes gigantesques qui avaient laissé ces squelettes grandioses étaient disparues depuis des lustres.
Peut-être n’avaient-elles jamais existé ? Cette pensée étonnante traversa Séra comme un éclair, et disparut aussi vite, sans qu’elle puisse déterminer ce qui l’avait motivé. En effet, c’était stupide : comment auraient-ils pu arriver là ?
La jeune femme descendit de son cheval, guère étonnée de ne pas entendre des conversations enjouées entre ses compagnons. Elle défit le paquetage de sa monture grise, et les posa au sol. Leur campement était en fait un unique rocher jaillissant du sol, il formait une cavité trop petite pour être qualifiée de grotte sur un de ses flancs, elle était creusée en son centre d’un canal, lit asséché d’une rivière ancienne qui débutait au fond de la cavité. Il n’y avait plus que de la poussière. Le sol était recouvert d’une matière qui ressemblait à
de la poudre d’osdu sable blanc mais avait une consistance plus proche de celle de la farine. Un crâne était posé au sommet du rocher, comme une ancienne sentinelle oubliée. Il avait une forme étrangement humaine, mais en bien plus grand, avec un front court et une mâchoire au contraire très longue, un menton bas. Il fixait l’horizon, ce
crâne de titanvestige de temps anciens, aux orbites vides, et il ne voyait rien. Il était relié à une colonne vertébrale qui descendait sur toute la longueur du rocher et s’enfonçait dans le sol, mais on ne voyait aucun autre os, et elle était brisée en son milieu, dévoilant un intérieur creux, depuis longtemps dépourvu de toute moelle. On pouvait aisément y enfoncer le poing.
-
Je propose de prendre le premier tour de garde, Seras le second, Shaeg le troisième, et Hibari le dernier, ça vous va ?Elle avait dit ça tout en cherchant des yeux du bois, n’importe où, qui pourrait leur permettre de se réchauffer. Les températures étaient acceptables le jour, ni très hautes ni très basses, mais elle avait le sentiment que la nuit serait glaciale.
Quant aux tours de garde, ils n’avaient pas été choisis au hasard. Simplement, le premier et le dernier étaient les plus agréables, car permettant de faire son sommeil d’une traite. Seras étant une vampire, il semblait normale de considérer qu’elle se sentirait aussi bien à n’importe quel moment, et Shaeg avait l’air solide. Et puis, Seras en première, car ça lui ferait une plus longue tranche de sommeil avant le départ sous un soleil qui l’affaiblissait légèrement.
-
Je me demande ce qui a pu créer cette cavité…dit-elle finalement.
Trop régulier pour être naturel, mais qui irait creuser ici dans du granit ?