Séraphina leva les yeux vers le ciel par-delà son chapeau à larges bords. Il était clair et bleu, d’une pureté de cristal, mais bientôt, il allait s’assombrir, et le noir se ferait, comme en pleine nuit. Mais Séra ne s’en faisait pas, les contrées du Chaos n’étaient plus loin. Elle avait dix kilomètres dans les jambes depuis sa précédente halte, ce qui représentait quelques heures de marche rapide, mais elle ne se sentait pas fatiguée pour autant, elle avait eu beau temps et le trajet s’était fait sans anicroches depuis son départ de Nexus. Une légère brise se leva, mais elle était chaude, et fit voltiger les basques de son long manteau. Puis elle retomba, et l’air redevint immobile. Des gouttes de sueur perlaient sur le front de la jeune femme, mais elle savait que le temps était généralement plus frais quand on s’approchait des terres du Chaos.
Bientôt, elle passa une énième colline, seule sur son chemin de terre, et à son regard se dévoilèrent les chutes d’eau de Terra et l’immense muraille naturelle du haut de laquelle elles s’écoulaient. Les chutes en forme de fer à cheval faisaient un vacarme à réveiller les morts qui s’entendait même de là où elle était, à plusieurs kilomètres encore.
C’était là une merveille de la nature qui précédait les terres du Chaos, avec un débit parmi les plus importants de tout Terra, peut-être même le plus élevé. Elle en était encore loin quand le roulement de tonnerre permanent de l’eau dévalant les chutes devint réellement tonitruant.
Les chutes donnaient dans une cataracte au pied de la falaise, de laquelle partait un fleuve large de cent mètres à sa naissance et de quelques quinze kilomètres à son embouchure. Cet endroit était verdoyant, tant à cause du climat tempéré que de l’humidité de l’air qui était propice à un fort développement de la flore. Pour cela, on avait l’impression de changer de monde, on passait de plaines mornes et plates à un relief faillé et basculé. Il y avait une courte ascension avant de rejoindre le pied des chutes, qui faisait que le fleuve était tumultueux et infranchissable sur quelques kilomètres après sa naissance, jusqu’à ce qu’il s’élargisse plus loin.
Quand Séraphina arriva finalement devant la cataracte, elle comprit tout de suite pourquoi des fous s’amusaient à s’enfermer dans des tonneaux ou des capsules de métal et de bois pour sauter du haut des chutes. Elles semblaient là pour ça, même s’il fallait être complètement givré pour passer à l’acte. Le bruit de l’eau était tellement fort qu’elle n’entendait rien d’autre. Elle eut beau hurler, sans autre raison que de vérifier si elle s’entendait, elle n’eut aucun retour, sa voix noyée par le rugissement de la cascade.
Il ne fallut pas longtemps pour qu’elle soit trempée, ses cheveux collés sur ses tempes et son front, mais malgré le cadre enchanteur, elle ne s’attarda pas, et rejoignit la base de la falaise. En la suivant vers sa gauche, elle arriverait à des degrés taillés à même la roche, et elle pourrait gravir la paroi verticale, avant de s’enfoncer dans un défilé étriqué qui lui permettrait de rejoindre le sommet de l’à-pic et plus loin la taverne.
Les marches étaient glissantes et couvertes de mousse pour certaines, et, bien qu’on voyait clairement qu’elles avaient été autrefois taillées à la perfection, leurs angles et leurs arrêtes étaient maintenant arrondis. Séraphina dut concentrer toute son attention sur son avancée pour ne pas faire une chute de, à la fin de son ascension, plusieurs dizaines de mètres, mais elle finit par trouver le point où la paroi rocheuse se fendait en deux, formant comme un canyon qui déboucherait sur les terres chaotiques. C’était un chemin étroit, un véritable coupe-gorge, et elle ne voyait qu’une bande de ciel au-dessus d’elle, entre les parois du défilé, mais c’était plus sûr que les marches à flanc de falaise.
Cependant l’endroit n’était pas moins humide, de l’eau gouttait des parois parfaitement lisses, si bien qu’il n’y avait aucune prise pour s’empêcher de glisser. Au final, si la progression était plus facile, elle n’en demandait pas moins de concentration.
Séra finit par émerger sur les terres du Chaos. Elle regarda autour d’elle, sur sa droite se trouvaient les rapides qui chutaient deux cent mètres plus bas, et tout autour, le même relief déchiqueté mais verdoyant. Son manteau de cuir était couvert de gouttelettes qui ruisselaient lentement au sol, et sa chemise se plaquait contre sa peau et virait au transparent.
Quand elle fut au sec, elle s’empressa de vérifier ses balles. Elle dut en jeter quatre de celles qui se trouvaient dans le barillet, mouillées, et mit les deux autres de côté. Celles dans son ceinturon plié dans sa besace n’avaient pas été atteintes et c’était tant mieux, elle avait du mal à se procurer ses munitions et n’aimait pas les gaspiller.
Une heure plus tard, la lune commençait à grignoter le soleil. Ce fut d’abord lent et imperceptible, puis la tâche noire en périphérie du cercle jaune devint clairement identifiable, bien que la jeune femme s’abstienne de la fixer trop longtemps. La lumière commençait à décroitre, et, elle le savait, bientôt ce serait l’obscurité d’une nouvelle lune qui régnerait.
La nuit irréelle approchait de son apogée quand elle arriva finalement aux trois fusillés. La taverne n’était pas loin de la cascade, à la limite de la zone de végétation luxuriante, mais l’éclipse se déroulait rapidement. Elle parcourait la dernière centaine de mètres quand la lune occulta complètement le soleil, ne laissant qu’un liserai d’or qui éclairait plus que faiblement les alentours, mais quand même mieux que ce à quoi s’était attendue la jeune femme. Aidée par cette lueur et les éclats des chandelles de l’auberge, elle poussa la porte en bois, entrant dans une sale.
Il n’y avait pas grand monde dans la salle de bar, quatre joueurs de cartes autour d’une table, avec des coquilles de noix en guise de jetons, qui semblaient engagés dans une partie de contrée qui ne passionnait aucun d’eux, du genre « quatre-vingt trèfle…passe…passe…passe » dits d’un ton morne. Un larron avec une dégaine qu’elle n’avait jamais rencontré sirotait un breuvage ambré, whisky sans doute, assis au comptoir, et le barman essuyait placidement des verres salles avec une serviette qui n’avait pas l’air beaucoup plus propre. Deux trois autres personnes étaient éparpillées dans la salle, un vieil homme devant l’âtre d’une cheminée, deux buveurs avec une choppe de bière qui tenaient des messes basses, un gars à l’allure patibulaire assis seul dans un coin ; pas de femmes. Il n’y avait pas beaucoup d’animation non plus, mais quand elle entra, un des clients émit un sifflement admiratif et pas particulièrement raffiné. Elle poussa un soupir. Sa chemise était toujours assez transparente pour dévoiler plus qu’elle ne cachait, mais son manteau, par-dessus, la couvrait du col aux pieds, et ne révélait pas particulièrement sa silhouette.
Elle ne s’attarda cependant pas spécialement à relever ce qu’elle jugeait comme un affront, et alla s’installer au comptoir, pas trop près de l’autre type étrange. Observant brièvement tous les occupants de la taverne, elle chercha à savoir lequel était Stag le vampire, malheureusement, il ne portait pas son nom en étiquette, et n’avaient pas les canines qui pendaient jusqu’au sol. L’éclipse ne durerait pas éternellement…Elle se demanda qui pouvaient être ses potentiels compagnons de route.
-Faut consommer ‘dame. Je vous sers quoi ?
Elle leva les yeux vers le barman. Et si tout ça n’était qu’une vaste farce ? Ou un piège, pour la capturer ? Elle haussa les épaules. Si tel était le cas, du sang allait couler, et elle trouverait bien un moyen de s’enfuir, ou sinon…Elle verrait bien.
-Une hydromel, répondit-elle, laconique, en tirant une de ses dernières pièces.
La somme ne suffisant pas, elle fit suivre deux autres piécettes de cuivre qui tintèrent sur le bois du comptoir. Elle allait simplement attendre que Stag fasse quelque chose qui le caractérise, ou la reconnaisse lui-même, et s’il ne se passait rien, elle partirait.
[edit : Tiens au fait, on peut avoir des précisions sur les trois fusillés stp ? Parce que là c'est à la fois une auberge à une croisée de chemins, au-delà d'immenses chutes de 200m, et un bistrot dans un petit village avec des cascades de 6m de haut, et on est encore que 2 à t'avoir répondu xD]