Parler de ses origines n’était pas une option. Une fugueuse n’en avait pas. Si elle avait fui son passé, ce n’était justement pas pour en reparler, et elle préférait user de sa curiosité, tombant sur n’importe quel subterfuge pour détourner le sens de la conversation... Et ce livre lui semblait être une bonne option. Bien que Seikusu soit une ville regorgeant de Portails dimensionnels et de magie, elle n’en avait encore jamais vu, et ne savait donc pas que ça existait. Pour elle, la magie appartenait au cinéma, au monde du Seigneur des Anneaux, et, quand Shenji lui avoua que c’était un livre de magie, elle crut à un truc de farces et attrapes... Un numéro de prestidigitateur, le mot dont tous les dyslexiques avaient horreur, spécialement inventé pour les faire hurler de rage, et impossible à traduire. Shenji lui avoua que c’était avec ce bouquin qu’il avait fait décamper les hommes qui l’avaient agressé.
« Tu leur as fait un tour de magie ? sourit Amélie. T’as fait sortir un lapin de ton chapeau ? »
Le ton était évidemment moqueur, plaisantin. Elle avait déjà assisté à un tel numéro chez elle, à Paris. Lors de l’anniversaire d’un camarade de classe, ses parents avaient réussi à obtenir un magicien, qui leur avait fait tout un tas de numéros impressionnants. Étant encore jeune, Amélie avait rigolé comme une idiote en applaudissant le magicien, ébahie devant ses tours. Et, si Amélie avait bien compris une chose, c’était qu’un magicien ne révélait jamais ses secrets. C’était presque une espèce de loi immuable et inviolable. S’il existait un Code déontologique des magiciens, alors Amélie pouvait deviner son article premier : « Tu ne divulgueras point nos secrets, sous peine d’être émasculé en public ». Elle comprenait donc pourquoi Shenji ne tenait pas particulièrement à en parler. C’était un secret.
Amélie souriait donc, amusée. Elle ne comprenait pas que la « magie » dont parlait Shenji était très différente de la « magie » qu’Amélie avait en tête. Il avait du utiliser un tour de passe-passe pour leur faire peur. Impressionnant.
« Ton père est magicien ? demanda-t-elle. Il fut un temps où je me voyais bien en magicienne, à faire sortir des lapins de mon chapeau... Mais le destin en a décidé autrement. »
Elle préférait se renseigner là-dessus, plutôt que d’évoquer son propre passé. Généralement, les magiciens étaient comme les agriculteurs et les forains, une profession héréditaire. Autant en savoir plus sur l’homme qui l’avait sorti du sacré pétrin dans lequel elle s’était fourrée, dans le fond.