J’ouvre les yeux. Il fait très sombre. Je suis assise sur une chaise. Il n’y a que moi dans la pièce.
-Où… Où suis-je ? Que s’est-il passé ? Oh, ma tête…Elle court. Elle a peur. Elle est poursuivie. Elle ne sait pas ce qu’ils lui veulent.-Qu’est-ce que c’était ? Un souvenir ? Oui, c’était ça…J’essaye de me lever, mais quelque chose m’en empêche. Une corde. Je suis attachée à cette chaise.
Ses poursuivants la rattrapent. Ils la plaquent au sol. Ils lui attachent les poignets et les chevilles. Elle se débat. Elle crie. Ils la bâillonnent. Ils la jettent sur les planches dures d’une charrette. Elle a envie de pleurer. Ils partent, l’emmenant avec eux.-Où ça ? Où sommes-nous allés ?Ils arrivent devant un immense bâtiment. Ils s’arrêtent. L’un d’eux la place sur son épaule. C’est inconfortable. Elle ne résiste pas. Elle a compris que ça ne servait à rien. Ils entrent dans le bâtiment.-Oui, je me souviens… Mais pourquoi ? Que me voulaient-ils ? Oh là là, j’ai l’impression de faire un puzzle avec mon propre cerveau !Ils marchent à travers les couloirs mal éclairés. Ils entrent dans une pièce presque vide. Il y a juste une chaise et une table avec plein d’objets étranges posés dessus en vrac. Il la jette sur la chaise. Il la détache. Il lui met des chaînes pour la forcer à rester assise.
-Ces chaînes insupportables !Je baisse les yeux sur mes bras, que je parviens à peine à voir à cause de l’obscurité. Ils sont couverts de traces que j’identifie, à la douleur, comme des hématomes. J’ai dû beaucoup remuer pour me détacher, mais pourquoi ?
Ils prennent trois objets sur la table. Ils en mettent un sur sa tête. Ça ressemble à un serre-tête avec une grosse fleur dessus. L’objet colle immédiatement à son crâne. Ils mettent un autre objet derrière ses épaules. Celui-là s’accroche aussi à elle. Idem pour le dernier. Ils le mettent sur le bas de son dos.Du mieux que je peux, gênée par la corde et par la chaise, je tâtonne mon dos pour savoir si l’objet y est toujours. Le bout de mes doigts rencontre une excroissance dont je ne me souvenais pas.
-Qu’est-ce que c’est ? On dirait… Une queue ?! Oui, c’est bien ça. Oh par tous les dieux, que m’ont-ils fait…Ils tripotent les trois objets. Un peu comme s’ils essayaient de les régler. Les régler pour quoi ? Ils vont chercher autre chose sur la table. Une petite boîte. Ils l’ouvrent devant elle. Une odeur étrange vient effleurer ses narines. Une sensation très désagréable parcourt tout son corps. La sensation devient douleur. Elle hurle. Elle s’évanouit.
-Je crois que je commence à comprendre. Quoiqu’il en soit, il faut que je sorte d’ici.Je tente de bouger mon nouvel appendice caudal, avec succès. Apparemment son maniement est instinctif. Je m’en sers pour desserrer mes liens et me libérer. C’est à ce moment que je remarque le miroir dans un coin de la pièce. Je me dirige dans cette direction, je veux savoir à quoi je ressemble. J’ai un mauvais pressentiment…
J’arrive devant le miroir. Aussitôt, une lumière s’allume et je vois mon reflet. Je dis immédiatement adieu à mon humanité. Deux oreilles pointues se dressent sur mon crâne. Des oreilles de loup, et les anciennes ont disparu. Je suis donc à moitié louve.
-Non, pas tout à fait. Ma queue est celle d’un lion. Ou plutôt devrais-je dire d’une lionne.En voulant me retourner pour mieux voir ladite queue, j’avise les deux grandes ailes de plumes qui se trouvent juste derrière moi.
-Louve, lionne, et maintenant oiseau ?! Mais qu’est-ce que je suis, à la fin ?Je décide de passer outre ce détail pour le moment, pour concentrer mon attention sur mes vêtements, différents de ceux que j’avais avant d’être kidnappée. Je porte maintenant une tenue aussi blanche que ma peau, c’est-à-dire vraiment très blanche. Une robe sans manches descend jusqu’à la moitié de mes cuisses, laissant voir une toute petite partie de mes jambes, le reste étant caché par de longs bas fins. À mes pieds, une très jolie paire de chaussures à talons pas trop hauts. Mes bras sont couverts par des gants qui remontent jusqu’à mes épaules. Sur ma robe, juste au-dessus de ma poitrine désespérément plate, se trouve un énorme nœud parfaitement fait.
-Ouh là… Non seulement cette tenue est salissante, mais en plus ça va être compliqué de la garder en bon état ! Eh mais… Depuis quand mes cheveux sont-ils aussi longs ?En effet, mes cheveux ont poussé de presque 50cm puisqu’ils arrivent maintenant à hauteur de mes genoux ! Et encore, leur longueur est un peu réduite par le fameux serre-tête qui les remonte légèrement. En examinant mon reflet de plus près, je m’aperçois que mes yeux ont gardé leur teinte dorée dont je suis si fière.
J’entends des pas. Quelqu’un vient. Je ne veux pas qu’ils me trouvent. Je cherche du regard une autre sortie que cette porte à un mètre de moi. Je vois une fenêtre. Je m’y dirige, elle est fermée. En essayant de l’ouvrir, je casse la poignée. Ma force aurait-elle été décuplée ? Sans réfléchi plus longtemps, je brise la vitre. Les bruits de pas s’accélèrent. Ils m’ont entendue. Je me faufile par l’échappatoire que je viens de m’ouvrir. En-dessous de moi, une dizaine de mètres de vide avant le sol. Je saute et déploie mes ailes. Elles m’aident juste à ne pas m’écraser mais ne m’autorisent pas à voler. Je ne dois pas les maîtriser assez bien.
J’atterris tant bien que mal et me relève. Sans un regard pour l’endroit que je quitte, je pars en courant. Plus vite je serai loin, plus vite je serai dans un endroit sûr où je pourrai réfléchir à ce qui m’est arrivé.
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Je m’appelle Linda Croc. C’est un faux nom, parce que j’ai oublié le vrai le jour où je suis devenue une Chimère.
Ce qui me rassure, c’est que je suis restée une femelle. Ceux qui m’ont transformée n’ont pas touché à ça. De toute façon, j’ai été amoureuse de garçons et de filles dans ma jeunesse, même si aucun/aucune n’a voulu de moi, alors pour ce que ça aurait changé…
J’ai 21 ans. Mais, pour une raison que je n’ai pas encore bien comprise, mon apparence reste figée à celle d’une adolescente. Je pourrais m’en servir à des fins plus ou moins légales et avouables, mais ce n’est pas mon style. Mais bon, maintenant que je sais que ça va évoluer d'une autre façon, ce n'est plus très important de connaître mon âge physique humain...
Du temps où j’étais humaine, j’étais une fille assez désagréable, avec un sale caractère et la mauvaise manie de chercher les ennuis sitôt que j’arrivais quelque part. Ma transformation m’a changée. En mieux. Dorénavant, je resterai à l’écart des humains.
Je suis devenue timide, trop timide pour aller vers les gens, il faut que ce soit eux qui fassent le premier pas vers moi. Je n'ai plus trop de problèmes à aller au contact des gens, mais je préfère tout de même la compagnie des animaux. Dans la forêt où je me suis réfugiée, il y a une meute de loups. Je suis devenue leur amie. Avec eux, je me sens en sécurité et je retrouve le sourire que je perds au contact des humains. Quand aux autres espèces dites « intelligentes », elles me font souvent peur
, et je m’en éloigne comme de la peste. Les loups m’ont appris le goût du jeu, plus spécialement les jeux qui impliquent de se battre avec ses camarades.
Avant ma transformation, je pouvais deviner du premier coup quand on me mentait. J’étais également très douée pour suivre une piste, que ce soit celle d’un animal sauvage ou celle d’un criminel en fuite. J’ai gardé ces facultés en devenant une Chimère, mais s’y sont rajoutées quelques autres :
Je peux déployer et faire disparaître mes ailes à volonté. Pratique
tant que je n’aurai pas appris à voler, et en plus maintenant je sais voler. Je peux aussi communiquer avec les loups, et je suppose avec les lions et les aigles. Mais pas avec les autres animaux. De plus, mon ouïe, mon odorat et ma vue sont plus développés qu’avant.
Mais je dois encore apprendre à me servir de ces nouvelles capacités, pour l’instant ça me donne juste le tournis quand j’essaye d’écouter tout ce que mes oreilles entendent.-_-_-_-_-_-_-_-_-_-_-_-_-_-_-_-
Je ne suis plus seule. Plus maintenant. Pour commencer, j’ai
mon père avec moi. Ensuite, il y a nos deux congénères, deux autres chimères que nous avons délivrées lors de notre…passage, dans le laboratoire où tout avait commencé…et où tout a pris fin.
Tout d’abord, il y a
Khimeira. Âgée d’une soixantaine d’années au moins, cette chimère, un mâle a priori, est un mélange de tant d’animaux que leurs odeurs se mélangent et les rendent impossibles à identifier.
Du haut de ses trois mètres, il ne lui reste de l’humain qu’il a été que le visage. Et encore, il a été arrondi par les années. Derrière ce visage sphérique aux yeux rouges encadré de cheveux noirs et surmonté de deux bois de cerf, on peut voir tout ce qui a été rajouté ensuite : une épaisseur de fourrure blanche couvre tout son poitrail, orné d’une étrange gemme rouge, ainsi que de deux défenses d’éléphant, mais qui partent en l’occurrence de sous ses pattes avant. Pattes qui sont celles d’un ours brun. Le reste du corps a tout du lion, et il est terminé par une queue de serpent. Ou plutôt, par un serpent en guise de queue, avec des écailles vertes et des crocs venimeux. Un étrange masque est également relié à la base de sa queue par un long cordon. Et enfin, Khimeira possède de grandes ailes d’aigle aux plumes vert sombre. C’est ce que je peux voir, mais il y en a sûrement plus, et c’est trop difficile de tout repérer sur une créature aussi complexe.
Autrefois sympathique et chaleureux, tout a changé le jour de son hybridation, jour où Khimeira a perdu la mémoire, comme nous tous. Longtemps troublé par cette absence de passé, autant que par les morts successives de tous ceux qui faisaient également partie du projet de chimères, il s’est néanmoins ressaisi avec le temps. Plus précisément, les années d’emprisonnement l’ont vu passer de la folie à la sagesse. Pendant les premières années en effet, Khimeira a vu son état mental se dégrader à mesure que sa transformation physique progressait. Il avait du mal à accepter son nouvel état, et encore plus la mort des autres cobayes. Il est devenu progressivement violent, de plus en plus sauvage, puis au bout d’une quarantaine d’années la folie a cédé la place à la sagesse. Cessant de lutter contre sa condition, il l’a pleinement acceptée et est parvenu à une maturité intellectuelle impressionnante, couplée à une grande connaissance. Il garde un caractère assez solitaire, même s’il ne rechigne pas à accompagner les trois autres chimères de notre petit groupe pour les aider en leur dispensant son savoir.
Il n’y a rien à dire sur son passé, si ce n’est tout ce que je viens de vous dire. L’amnésie n’aide pas beaucoup, le projet de chimères a détruit plus d’une vie, nous forçant à repartir sur de nouvelles bases, sans histoire sur laquelle nous appuyer.
Vient ensuite
Catod. Lui n’a qu’une dizaine d’années, mais pour un chien c’est déjà une belle durée de vie. Encore une fois, il n’a pas de passé à raconter, alors il est inutile de s’attarder sur ce qui est inexistant.
Le corps de Catod est beaucoup plus simple que celui de Khimeira. Au lieu d’être un mélange de presque dix animaux, il n’a que deux implants, ce qui fait de lui un hybride de trois animaux. Du chien il a gardé l’apparence globale, notamment au niveau du visage, puisqu’il arbore toujours yeux orange brillant de rage lorsqu’il s’énerve, oreilles pointues à l’audition très développée et gueule pourvue de crocs perçants. En revanche, ses implants ont créé quelques changements à côté desquels on peut difficilement passer. Sa part humaine réside dans son apparence globale. En effet il est difficile de ne pas remarquer son anthropomorphie. Un chien brun de presque deux mètres se tenant sur deux pattes est assez remarquable, avouons-le… Au sommet de son crâne, aussi, se trouvent deux cornes, celle d’un chamois, qui lui servent à se défendre aussi bien que ses crocs et ses griffes.
Catod est avant tout un chien, il ne faut pas l’oublier. Et surtout, c’est un chien sauvage. Sa bestialité n’a cependant pas été amplifiée par son hybridation. Bien au contraire, son côté humain l’a…eh bien l’a humanisé, et il est désormais plus réfléchi. En fait, il est assez lunatique. Il alterne sans transition entre des périodes de calme pendant lesquelles il est très sympathique, presque humain en dépit de son apparence, et des périodes sauvages dans lesquelles il redevient la bête agressive et incontrôlable qu’il a été. On pourrait associer ce trait de caractère à de la folie, mais comme il le dit lui-même : « il est difficile de perdre la raison quand on n’est pas habitué à en avoir une. » Ainsi on ne peut pas vraiment dire que Catod est fou, puisqu’il n’a jamais été réellement sain d’esprit, étant à la base un chien sauvage.
Tous deux possèdent les caractéristiques « classiques » d’une chimère : sens très développés, en particulier l’odorat, pics de force à apparitions aléatoires. Pour Catod, cette force est déjà naturellement très élevée, ce qui fait de lui un adversaire de taille en cas d’affrontement. Khimeira possède deux ailes, dont il est incapable de se servir, faute d’entraînement.