CAHIR
Il s’était adossé contre le mur, tenant ses côtes endolories. Le sang s’y échappait lentement, alors qu’il devait reprendre son souffle. Ce maudit garde ne l’avait pas loupé, et il en restait encore en haut. À tout moment, ils pouvaient descendre, et Cahir n’était clairement plus en état de se battre. Il respirait lentement, et ses pensées étaient tournées vers Adelyn, obnubilées par cette dernière. Il devait se remuer, descendre, et la rejoindre. Chaque seconde de perdue les mettait tous les deux en danger. C’est sur cette idée qu’il se mit à avancer. Sa main gauche était posée sur sa blessure, qui se trouvait à droite, afin de limiter la perte de sang, un réflexe humain, relativement inutile en la circonstance, mais apposer sa main apaisait un peu la douleur. Avec la droite, il se tenait contre le mur quand il se sentait tangué, et se mit à avancer. La route n’était pas très longue à parcourir. Il descendit prudemment les marches. Son équilibre n’était pas assuré, et il ne voulait pas tomber sur le sol. Il rejoignit la salle de détente, jonché des quelques soldats qu’il venait de tuer.
*
Adelyn, pense à Adelyn !*
Pourquoi voulait-il tant se battre pour elle ? Il se mit à soupirer. Le sentiment qu’il éprouvait pour elle... Cahir avait été marié, mais il n’avait jamais ressenti un tel désir avec sa femme, qu’il avait épousé plus par sens du devoir que par amour véritable. Mais Adelyn...Il sentait que c’était différent. Il s’avançait encore, se disant qu’elle était là, juste en bas, posée sur Tonnerre, n’attendant plus que lui pour décamper de ce château de malheur. La blessure n’était fondamentalement pas si grave. Il y avait, sur Tonnerre, des trousses médicales, accrochées à la selle. Il pouvait se faire un bandage, désinfecter la plaie, et attendre que le corps cicatrice, voire même s’aider d’un élixir. L’Hirondelle lui ferait du bien, et apaiserait la douleur, tout en accélérant la cicatrisation de son corps. Dehors, il entendait des bruits, des voix et des hurlements. Les gardes avaient du réaliser que le corps de garde s’était mystérieusement ouvert. Il fallait qu’il se dépêche ! L’apatride avançait lentement, en boitant presque. Il n’y avait pas que sa plaie béante : ce maudit hallebardier l’avait frappé à plusieurs reprises.
*
Tu es un Corbeau Noir, tu as fait partie de l’élite d’Ashnard ! Un guerrier d’exception ! Alors quoi ? C’est un simple petit coup de couteau qui va te mettre à terre ? AVANCE !*
Ses voix internes essayaient de l’encourager, et il atteignit l’escalier, le descendant lentement, claudiquant laborieusement. Remonter ses jambes lui faisait mal, car sa plaie se réveillait brutalement, provoquant des frissons et des élancements dans tout son corps. Des gouttes de sueur roulaient le long de son front quand il rejoignit enfin le corps de garde...
... Pour sentir un carreau d’arbalète frôler ses cheveux, filant juste au-dessus de sa tête, pour rebondir dans un creux.
«
C’est eux ! L’apatride et la comtesse ! -
Arrêtez-les, empêchez-les de fuir ! -
Ils veulent foutre le camp ! »
Cahir soupira, voyant Tonnerre, juste à côté. L’adrénaline se mit à battre dans ses veines. Le cheval remua légèrement sa crinière, nerveux par les coups de flèches pleuvant autour de lui. Un simple cheval serait déjà parti, mais Tonnerre était un cheval de guerre. Son cheval. Les Ashnardiens savaient les dresser. Cahir soupira, et rejoignit son cheval.
«
Allez... On se casse ! »
Il nota qu’Adelyn avait retroussé sa robe pour pouvoir passer. C’était malin. Lui, il aurait utilisé un couteau pour la fendre en deux, mais ça aurait gâché la robe. Les soldats se rapprochaient, mais seuls les arbalétriers étaient au sol. Ils tiraient précipitamment, sous l’effet de la nervosité, et mettaient du temps à recharger leurs armes. Cahir posa un pied sur la selle, et enjamba son cheval, atterrissant dans le dos d’Adelyn, et grimaça. Il attrapa les rênes du cheval, et donna un coup dessus.L’étalon s’é&broua, et se mit à s’avancer.
«
Allez, allez, fonce, fonce !! »
Cahir multiplia les coups, et Tonnerre hennit, avant de filer, se mettant à galoper rapidement. Il traversa le pont-levis, alors que, depuis les remparts, des archers se mettaient à leur tirer dessus. Les flèches tombèrent autour d’eux, se fichant dans le sol. Tonnerre était trop rapide pour eux, et rejoignait la ville, dévalant la pente qui permettait d’accéder au château.
«
Nous l’avons fait. Vous êtes libre, Adelyn ! » souffla Cahir.
LYRAËL
Cet incendie fatiguait Lyraël, tout en l’amusant. Comme tous les elfes, il méprisait les humains, ce qui ne l’empêchait toutefois pas de travailler pour eux. Si une vermine lui permettait de tuer de la vermine, il n’hésitait pas... Et, si ses missions impliquaient de tuer des elfes, alors il le faisait sans problème. Lyraël ne croyait pas vraiment à la supériorité de la race elfique, à la théorie des
Aen Seidhe, les elfes anciens de sang-pur, mais il reconnaissait volontiers que l’humanité était pathétique. Des animaux, des porcs, uniquement préoccupés par le fait de baiser, faisant preuve d’une espèce d’inexplicable hypocrisie en s’efforçant de le nier, alors que toutes leurs actions étaient uniquement dominés par le sexe. Le même scénario, ceci dit, s’appliquait pour les elfes. Les contes et les ballades avaient fait des elfes des êtres purs, d’une bonté et d’une sagesse infinie... Foutaises ! Les elfes étaient arrogants, prétentieux, et les cités elfiques indépendantes acceptaient difficilement le fait que la plupart de leurs villes aient été reprises par les humains. Nexus, la capitale d’un important royaume
dh’oine, en était le bon exemple. Pour beaucoup d’elfes versés dans l’Histoire, Nexus était jadis une cité elfique très développée, très cosmopolite, avant que les
dh’oines ne prennent progressivement le contrôle, ce qui, du même coup, avait marqué l’âge des hommes, l’âge du mépris et de la faiblesse.
Il était amusé de voir toutes ces vermines grouiller autour de lui pour éteindre les flammes. L’incendie était criminel, ça ne faisait pas l’ombre d’un doute, et il ne pouvait venir que de cette proie que Lyraël devait retrouver. Lyraël n’avait pas directement traité avec Grandchester, mais avec son bras droit, celui qui servait à lui tenir le chibre quand il avait de le soulager. Narcisse le bellâtre... Aussi arrogant et raciste que son maître, mais Lyraël l’était aussi. Traquer ce
dh’oine ne lui disait trop rien, mais, la fille... Une [i}]noble[/i]... Une noble ! Voilà qui, indéniablement, le changerait des paysannes qu’il trouvait dans les campagnes et terrorisait pour le compte de cet humain imbécile. Un seul homme ne pouvait l’effrayer. Aussi doué et adroit à l’épée soit-il, il ne pourrait rien faire contre lui.
Lyraël entendit alors le remue-ménage venant de l’extrémité du château. Il fronça son sourcil unique, se demandant ce qui se passait. Le feu l’avait absorbé, lui rappelant le goût joyeux des bûchers qu’il organisait dans les villages qu’il razziait, les hurlements délicieux, les craquements des bûches de bois et des os. Le feu était la purification, et Lyraël était très attaché à cette notion.
Purifier par le feu. Il comprit rapidement ce qui se passait. Ayant une très bonne vision, il vit, au loin, un cheval, avec une femme en robe blanche.
«
Ne partez pas si vite, voyons, j’ai un cadeau pour vous... »
Lyraël se mit à courir, sans chercher à dégainer son arc, et à tirer. Il était trop loin, et il y avait trop de gens qui couraient autour de lui, gesticulant en tout sens. Il renversa d’ailleurs un page qui était sur sa route. Ce dernier portait un seau rempli d’eau, qui se déversa sur le sol. Sans tenir compte des protestations de ce dernier, le Drow s’avança rapidement vers l’un des escaliers menant aux remparts. Il se mit à courir rapidement le long de cette dernière, en foulées rapides, respirant et inspirant. Le cheval se mit à hennir, il l’entendit très distinctement grâce à ses grandes oreilles, et s’arrêta sur une tour. Il grimpa l’escalier en colimaçon, montant rapidement, et arriva en hauteur, puis dégaina son arc, et se mit à viser. Il était sur le flanc, et voyait le cheval dévaler la pente.
Il pouvait tuer le cheval, tuer la femme, ou le guerrier. Le choix se fit rapidement. S’il tuait el cheval, leur course s’arrêterait, la garde leur mettrait la main dessus, et il ne pourrait pas s’amuser. S’il tuait la femme, il ne pourrait pas s’amuser avec elle, et profiter de sa beauté... Car cette
dh’oine était belle, suffisamment pour qu’il se délecte de ses hurlements quand il la torturerait. Or, on ne pouvait pas vraiment entendre les morts hurler. Par élimination, il ne restait donc que l’homme.
Il portait une armure en ébonite. L’erreur classique serait de viser la nuque. L’ébonite était renforcée à cette distance pour éviter des chocs mortels. Sa flèche se briserait, mais Lyraël connaissait ces armures, et leurs points de faiblesse, les endroits où la protection était plus faible, à hauteur du bas du dos. Il nota que l’homme était blessé au flanc, ce qui représentait une autre ouverture possible... Il tenait les rênes à deux mains. S’il atteignait directement la peau, sa pointe
havekar ferait des ravages, et ce d’autant plus qu’elle était imbibée d’un poison redoutable, qui augmentait sensiblement, au fil des heures, la toxicité du sang. Les élixirs de soin classique aggravaient encore plus l’état de ce poison, car un élixir augmentait la toxicité du sang.
Il visa soigneusement. Le plus important était de prendre son temps. Le cheval était en déplacement, à bonne distance. S’il y avait eu un peu plus de vent, le Drow n’aurait pas réussi un tel tir, mais l’air était calme. Il tendait son arc, et tira. La flèche s’envola dans les airs, décrivant une courbe furtive, la gravité l’appelant progressivement à elle. Lyraël était un franc-tireur elfe, un virtuose.
La flèche
havekar atteignit sa cible, en plein dans le mille.
Il n’avait plus qu’à sortir du château, et retrouver les fugitifs avec ses hommes. À cette idée, un sourire mauvais traversa ses lèvres. Cette femme était vraiment
belle.
Il lui tardait de la retrouver.
CAHIR
Il ne hurla pas. La douleur explosa, et coupa sa respiration. Ainsi, au lieu de hurler, il gémit, presque comme s’il toussait... Mais, en éternuant, du sang jaillit de sa bouche, atterrissant près de l’oreille d’Adelyn, alors qu’il sentit tout son corps se raidir.
*
Poison !* comprit-il rapidement.
Impossible de s’arrêter, la garde allait les poursuivre. Cahir sentit la panique s’emparer de lui. Un humain normal n’aurait jamais pu réussir un tel coup... Et il comprit de qui il s’agissait quand la pointe de la flèche ennemie s’ouvrit dans sa plaie, formant comme des petits poignards qui lacérèrent son flanc. Il trembla sur place, ses doigts se crispant sur les rênes, son corps venant s’affaler sur celui d’Adelyn, manquant de la faire tomber. Cahir se mit à grogner, serrant ses lèvres, fermant les yeux, sentant une douleur ivre le traverser. Il avait entendu des histoires sur ces elfes qui imbibaient leurs flèches de poisons. Le poison avait une sorte d’effet anesthésiant, et empêchait les victimes d’hurler. Ainsi, une sentinelle ne pouvait pas prévenir les autres par sa souffrance, et se tortillait lentement sous la douleur. Cahir se surprit à pleurer, en sentant des frissons le parcourir. Il entreprit de se redresser, se sentant extrêmement faible.
Tonnerre était un bon cheval, et savait que rester sur la route n’était pas indiqué, car il y avait d’autres gardes. Il s’enfonça dans la forêt sans rechigner, tandis que, peu à peu, Cahir perdait pied avec la réalité. Il voyait les branches se succéder à d’autres branches dans un univers flou. Il avait envie de vomir, mais n’y parvenait pas, comme si tout son corps était en train de fonctionner au ralenti. Il avait très froid, et en même très chaud, et n’arrivait plus à bouger son corps. Tonnerre continuait à mettre de la distance, mais Cahir flottait, inconscient du temps qu’il mit, avant de lentement ralentir, en étant bien éloigné du château. Une minute ? Dix ? Une heure ? Non, il serait déjà mort...
Cahir tourna la tête vers sa plaie, et vit une flèche qui en ressortait... Ainsi que du sang, formant des rivières qui luis emblaient grotesques et énormes. Il tentait de parler, de dire à Adelyn de le laisser là, de fuir, mais il se sentait aussi faible qu’un vieillard sur le pas de la Mort...
«
A... A... » marmonna-t-il, avant de défaillir.
Il tangua sur la gauche, et n’arriva pas à se retenir. Cahir glissa, et tomba lourdement sur le sol, s’écrasant sur le dos. Son pouls battait nerveusement, hurlant dans sa poitrine, et il tentait d’aspirer de l’air. Son front était étonnamment blanc, et il était agioté de spasmes nerveux. Tonnerre s’était arrêté, alors que Cahir voulait lui dire de partir. Il connaissait les effets de ce poison. On ne pouvait rien faire pour lui, à moins de le conduire devant un guérisseur chevronné... Mais ce genre de personnes n’existait pas en pleine forêt, à moins de tomber sur une vieille sorcière hirsute... Est-ce qu’Adelyn lui parlait ? Il ne l’entendait plus, comme si un voile le recouvrait. Il se mit à éternuer, crachant encore du sang.
Le poison se répandait dans tout son corps, augmentant la toxicité de son sang, jusqu’à un stade critique. Dans son état, Cahir n’avait pas pu entendre les bruits de pas se rapprocher... Et, même s’il n’avait pas été empoisonné, il ne l’aurait probablement pas senti, car l’individu qui s’approchait était quelqu’un qui connaissait la forêt, et qui veillait à faire le moins de bruit possible. Alors que Cahir gisait sur le sol, l’être se rapprocha entre les buissons, voyant un cheval vigoureux, qui attendait patiemment, une femme dans une belle robe, et un chevalier en armure noir, une flèche plantée dans le flanc. La créature estima rapidement qu’ils ne présentaient pas une menace, et s’avança.
«
Ton homme est en train de mourir, femme, annonça-t-elle.
Moi et mes sœurs vous prenions pour des éclaireurs venus nous traquer pour nous chasser, mais il semblerait que vous soyez plutôt des fugitifs. »
La femme qui venait de parler, dans le dos d’Adelyn, portait une longue épée en acier à sa main droite, des tatouages sur le corps, s’appelait
Danaé, et était, entre autres choses, une Amazone.