Louane lui répondit, avouant n’avoir que peu avancé... Cahir ne dit rien. Retrouver quelqu’un sur Terra était difficile, mais pas impossible. Il fallait juste connaître les bons réseaux, et c’était en partie pour cela que l’apatride avait rejoint un réseau terroriste. Sur Terra, il fallait rejoindre des groupes, ce n’était pas plus compliqué que cela. Toute la planète se résumait à un ensemble de liens et de réseaux, essentiellement ce qui concernait Nexus et Ashnard. Cette logique se heurtait un peu quand on entrait dans la sphère d’influence tekhane, mais, pour le reste, on restait dans un système féodal. Et, dans un système féodal, l’accent n’était pas mis sur l’individu, mais sur le groupe. Seule, les chances de Louane d’obtenir des informations sur son père frôlaient le néant absolu. Cahir le savait très bien, mais il n’avait jamais vraiment eu le temps de parler à la kitsune des réseaux d’informations terrans. Il faillit lui en parler, mais elle eut alors une autre idée... Infatigable, comme d’habitude. L’apatride eut un léger sourire quand Louane mentionna qu’elle l’aurait à l’œil. C’était la kitsune, son élève, qui veillait sur lui, le mentor. L’image, indéniablement, ne manquait pas d’une certaine forme d’ironie, et il la laissa partir, non sans un certain pincement au cœur.
« Ne t’en fais pas pour moi, Louane... »
Depuis qu’il avait été banni d’Ashnard, et déchu de tous ses droits, de son patrimoine, et même de sa nationalité, l’ancien guerrier ashnardien avait eu peu de véritables connaissances, peu d’amis. Et, quand bien même il était un solitaire, la présence de Louane l’avait marqué plus qu’il ne l’aurait cru. L’aider, la protéger, lui avait permis de se rapprocher d’elle, et, maintenant qu’il la revoyait, Cahir réalisait à quel point sa présence lui avait manqué. L’homme eut un léger sourire, et observa l’auberge. Son contact ne tarderait maintenant plus longtemps. Il se demandait ce que Louane avait en tête, et ne tarda pas à obtenir la réponse en la voyant revenir en tenue... En tenue de maid. L’apatride se mordilla les lèvres, et ne dit rien. C’était une tenue assez discrète, oui, mais, vu la bouille qui se tenait au-dessus, Louane ne passerait pas inaperçue. La tenue, pour être honnête, lui allait plutôt bien. Il se racla la gorge, et préféra regarder ailleurs.
Il n’eut fort heureusement pas trop longtemps à attendre, avant d’apercevoir un homme s’avancer, et se poser dans un coin. Il avait une légère capuche en toile, et, surtout, un pendentif avec une croix pendant le long de son cou. Des rides ornaient les doigts de l’individu, qui s’assit pesamment. Des bandes noires recouvraient ses poignets et ses paumes, et il commanda à Louane un pichet de vin. Cahir ignorait s’ils étaient vraiment discrets, avec leurs capuches. On aurait dit deux espions dans un mauvais film, et l’homme dut le réaliser, car il en profita pour ôter sa capuche, révélant un visage presque chauve. Il avait des cheveux blancs, des rides, et un regard acéré.
*C’est mon homme.*
Le moine avait sorti de sa poche un jeu de cartes, probablement pour jouer, et ainsi diminuer les soupçons. Cahir attendit un peu, sachant que le premier à se ruer serait le premier suspect. Un joueur un peu éméché finit par s’avancer, au bout d’une dizaine de minutes, et alla se positionner devant le moine.
« Une p’tite partie ? demanda l’homme.
- Si la lumière de Dieu éclaire tes mains, mon fils, alors cette lutte sera dédiée aux miracles du Sauveur » répliqua posément l’homme.
Cahir reconnaissait cette phrase pour être une formule, et était alors sûr d’avoir affaire à son homme. Le joueur haussa les épaules, puis s’assit devant le moine. Les jeux n’étaient pas proscrits dans un monastère, car ils étaient un bon moyen de réfléchir en se détendant. En revanche, les jeux d’argent, eux, étaient interdits. Mais le moine fit exception de cette règle ici. A Nexus, on oubliait toutes les lois applicables pour retenir cette règle fondamentale de la loi du plus fort, le plus fort s’exprimant dans cette ville comme le plus offrant.
La Caravan était un jeu de cartes avec six piles, chaque joueur ayant trois piles à constituer avec les cartes de son jeu. Avoir plusieurs fois les mêmes cartes, comme un dix de pique, n’était pas proscrit, et on pouvait mettre dans son jeu autant de cartes que possible, avec un minimum de 30 cartes. Le principe du jeu était de faire trois piles en cumulant les chiffres sur les cartes, pour arriver à un score compris entre 24 et 27. En-dessous, le score ne comptait pas. Au-dessus, la Caravan était surchargée. Chaque joueur commençait ainsi la partie en plaçant une carte pour former sa pile, et plaçait ensuite d’autres cartes en devant respecter un principe d’ordre. La seconde carte qu’on plaçait déterminer un ordre, croissant ou décroissant, qu’on devait suivre. En gros, si un joueur plaçait un 5 comme seconde carte, puis un 6, il ne pouvait pas mettre un 4. Le premier qui formait les trois piles remportait la manche.
Les règles étaient à la fois simples et complexes, et se compliquaient quand on prenait en compte les atouts : la Dame, le Roi, et le Joker. La Dame permettait d’inverser l’ordre d’une pile, et de pouvoir, concrètement, placer n’importe quelle carte après une autre carte. Le Roi permettait de doubler la valeur d’une carte. Un Roi placé sur un 9 donnait ainsi une valeur de 18, mais on pouvait cumuler les Rois sur une même carte. Le Joker, lui, permettait de retirer une carte du jeu. Les atouts, contrairement aux simples cartes, pouvaient se placer sur n’importe quelle pile, même les piles adverses... D’où la nécessité de bien faire son jeu, et d’avoir toujours en main des atouts pour, soit embêter l’adversaire, soit se sortir d’une situation compliquée.
Le moine s’avérait plutôt doué dans cet art, et, après deux ou trois parties, le joueur qui l’avait rejoint partit. Le moine battit à nouveau les cartes, et Cahir rebut un peu de vin. Un second protagoniste vint, et le moine répéta la même formule qu’au premier, qui offrit encore une réponse vaseuse. Venir en tant que joueur était une bonne idée ; la moitié des clients étaient des joueurs. Cahir attendit que le second joueur se fasse plumer, et ne décide de rejoindre le moine. Il lui présenta son jeu, et s’assit devant lui.
« Si la lumière de Dieu éclaire tes mains, mon fils, répéta l’homme, alors cette lutte sera dédiée aux miracles du Sauveur. »
Cahir s’humecta les lèvres, et répondit donc la formule qui avait été convenue :
« La lumière de Dieu ne m’éclaire plus depuis des années, mon père.
- C’est un péché, mon fils, décréta l’homme d’un ton sombre.
- Tout comme jouer aux cartes en misant avec de l’argent », répliqua calmement Cahir.
Il y eut un court moment de silence, et l’apatride rajouta :
« Et je crains fort que la lumière de Dieu n’éclaire plus cette ville depuis longtemps...
- La lumière de Dieu éclaire la Création toute entière, mais des nuages ont terni sa lueur. »
Cahir constituait son tas parmi toutes les cartes qu’il avait. Lors du jeu, il se battrait avec cinq cartes, et le joueur d’en face devait mélanger les cartes de l’autre, pour éviter des tricheries. Comme Louane se rapprochait d’eux, Cahir s’éclaircit la gorge, tourna la tête vers elle, et lança, sur un ton neutre, professionnel :
« Une carafe de vin, je vous prie. »
Louane était maintenant devenue une espèce d’espionne, et il se doutait que l’image devait ravir l’intrépide kitsune. Elle se rapprocha donc du comptoir, quand un client sur un banc l’arrêta en se levant devant elle. Il puait l’alcool à plein nez, et baragouina quelques mots :
« T’es sexy comme neko serveuse, toi, ma belle... J’t’em... J’tembauche, yeps ! A la santé de la neko, les gars !! »